Un « no man’s land » juridique permet-t-il la vidéosurveillance depuis un hélicoptère ?

Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 11 mai et c’est peu de dire qu’elle est attendue. Pourquoi ? Parce que nous saurons officiellement, si oui ou non, des images captées par une caméra embarquée à bord d’un hélicoptère de la gendarmerie nationale  peuvent  être utilisées pour identifier des manifestant·es dans le cadre d’une procédure judiciaire. 

Retour en arrière.

En avril dernier, une femme et deux hommes comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Rennes pour des violences commises sur des personnes dépositaires de l’autorité publique par l’intermédiaire d’engins pyrotechniques.Source Les faits se seraient déroulés au cours de deux rassemblements dans notre ville, le 5 décembre 2020 (contre la loi sécurité globale et les violences policières, NDLR) et le 23 janvier 2021 (pour le droit à la culture et contre la répression des événements festifs, NDLR). Pour identifier les responsables de ces actes, les enquêteurs de la sûreté départementale se sont basés sur des images extraites principalement de deux vidéos :

  • L’une a été dénichée sur la plateforme YouTube ; comme quoi, répétons-le, poster une photo ou vidéo n’est pas un acte anodin (Lire ce texte « De l’usage des caméras en manifestation », NDLR) ;
  • L’autre est issue des enregistrements de la vidéosurveillance réalisée, et conservée depuis, par l’hélicoptère de la gendarmerie nationale ; Hélicoptère bien connu des rennais·es à cause de ses nombreux vols stationnaires au-dessus de leurs têtes dès qu’une dizaine de personnes partent en manif’ autour du centre-ville commerçant.

Or, la surveillance de l’espace public depuis le ciel n’a jamais été « sanctionnée ni par le juge ni par la Cnil et n’est toujours pas, encadrée par le moindre texte de loi », comme le rappelle la Quadrature du Netsource. L’association de défense et de promotion des droits et liberté sur Internet indique d’ailleurs que « c’est exactement cette  même illégalité qui a conduit à interdire l’usage des drones en France par le Conseil d’Etat d’abord, par la Cnil ensuite. »

Pour ou contre la vidéosurveillance ? Là n’est pas la question (même si, personnellement, elle est vite répondue source : Vidéosurveillance à Rennes : un rapport démontre son inefficacité !). Le sujet est ici simplement technique. La vidéosurveillance existe, elle peut être utilisée, soit ! Néanmoins, dès qu’elle permet d’identifier ou de rendre identifiable des citoyen·es alors elle constitue un traitement de données à caractère personnel qui doit être encadré par une disposition législative ou réglementaire. En résumé, pas cadre juridique ⇒ pas de vidéosurveillance. Simple. Basique.Source

Une drone d’époque / Rennes -mai 2020)

Maître Nicolas Prigent, l’un des avocats des prévenu·es  que nous avons pu joindre par téléphone, résume bien la problématique.  « Ce cadre juridique doit prévoir certaines garanties et répondre à une série de questions essentielles : Qui peut filmer ? Qui  peut conserver les données ? Pendant combien de temps ? Comment informe-t-on les personnes qu’elles sont filmées et par quel biais peuvent-elles avoir accès à leurs données personnelles et si besoin, comment peuvent-elles exercer leur droit à l’effacement des images captées ? »

Avec son confrère Maître Olivier Pacheu et sa consœur Maître Delphine Caro, ce dernier a donc légitimement déposé une exception de nullité de la procédure. « Non seulement, rien n’autorise la gendarmerie nationale à procéder à la captation d’images de personnes se trouvant sur la voie publique mais de surcroît, rien ne l’autorise à conserver, enregistrer et détenir ces images. » Si le tribunal leur donne raison, nul doute que les affaires de leurs client·es se dégonfleront aussi précipitamment qu’elles feront « pschitt » pour paraphraser un ancien super-menteur président.

Le point soulevé par Maître Nicolas Prigent est d’une importance cruciale car d’après un rapport détaillésource de l’inspection générale de l’administration de 2016, les hélicoptères de la gendarmerie réalisent en moyenne plus de 9000 heures de vol pour des missions de police (sans compter les missions de secours), soit 25 heures par jour en moyenne. En 2015, à Rennes, bien avant son utilisation systématique pendant les manifestations contre la « Loi Travail » (49.3 #onoubliepas, NDLR), l’hélicoptère comptait déjà près de 350 heures de vol à son actif. En mars 2019, la gendarmerie a annoncé avoir effectué 717 heures de vol au-dessus des manifestations, pour un coût total de 1 million d’euros.Source  En 2020, c’est l’escalade. Alors qu’on manquait de masques et d’équipements de protection individuelle ‎mettant en danger le personnel soignant, on gavait de gasoil les réservoirs des hélicoptères appelés en renfort des drones pour faire respecter les règles de confinement.source

https://blogs.mediapart.fr/surveillonsles/blog/280421/7-peches-capitaux-de-la-police-3-l-helicoptere-de-police-un-mouchard-de-haut-vol

Or, malgré cette utilisation régulière et répétée, aucune autorité n’est venue rappeler le droit et la loi. Le député (FI), Ugo Bernalicis, s’en est d’ailleurs ému en novembre dernier à l’Assemblée Nationale et a flingué ce «  no man’s land juridique » qui permet au gouvernement « d’utiliser des hélicoptères de la gendarmerie, dotés de caméras haute définition.source »  Cela est d’autant plus dommageable que, comme nous le signale Nicolas Prigent, « à la différence d’une caméra de vidéosurveillance classique dont le champ et l’angle sont limités, le spectre d’une caméra aéroportée est extrêmement large avec un angle à 360°. Le matériel utilisé est superpuissant. »  

En effet, la presse locale, toujours loquace pour vanter les équipements de nos forces de l’ordre, nous apprend que la section aérienne de gendarmerie de Rennes dispose d’un Eurocopter EC-135 équipé d’une caméra permettant d’identifier un individu à 1500 m de distance source ou de lire une plaque d’immatriculation d’une voiture distante de plus de 2 km, de jour comme de nuit, grâce à ses capteurs thermiques.Source

Drone, vidéosurveillance, capteur, balise GPS, reconnaissance faciale etc., la liste s’allonge et le Manifeste disponible sur le site Technopolicesource alerte depuis longtemps sur cette « mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières. » Sans garde-fou ni garantie que le pouvoir de l’État ne s’exerce pas de façon arbitraire et excessive, il est facile d’imaginer les conséquences désastreuses si cet arsenal sécuritaire tombait entre les mains de personnes malintentionnées aux projets mortifères. « Il n’existe aucune limite à ce qu’a pu faire et ce que peut faire aujourd’hui la police en termes de surveillance de la voie publique par hélicoptères », déplore la Quadrature du Net.  A Lyon, un référé déposé contre leur utilisation en manifestation a pourtant été rejeté au début du mois de mai. Le tribunal administratif a estimé qu’il n’y avait pas de caractère d’urgence à tranchersource. Répondre sur la forme plutôt que sur le fond rend encore plus importante la décision du tribunal de Rennes.

Mais n’arrivera-t-elle pas déjà trop tard ?

Sécurité globale, globalement sécuritaire.

En matière de surveillance, puisque tout ce qui n’est pas autorisé est interdit (enfin dans l’absolu, hein ), le gouvernement, sentant poindre un vent de mécontentement (#SpoilerAlert : ceci est un euphémisme, NDLR), s’est empressé de rectifier ce No Man’s Land Law en votant le mois dernier la loi de Sécurité Globale, renommée ironiquement, et comme un bras d’honneur, « Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ».

Bien planqués derrière l’article 24 qui a monopolisé une grande partie des attentions cachant indirectement l’ampleur des atteintes aux droits et aux libertés individuelles de cette nouvelle loi, les articles 22 et 22 bis accordent désormais l’usage de caméras sur les aéronefs pour « procéder à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images pour faciliter et sécuriser la conduite des opérations. » source Les images pourront être utilisées en direct (dans une salle de commandement par exemple) ou conservées le temps de leur exploitation dans une procédure judiciaire. Source Et même si le gouvernement juge lui-même qu’il existe de fait des «  risques d’atteintes au droit à la vie privée »source, ces articles entreront bien en vigueur une fois les décrets d’application publiés légalisant de fait la vidéosurveillance « vu du ciel ». À moins que…

À moins que les différents recours déposés auprès du conseil constitutionnel n’invalident toute ou une partie de la loi. Source  Source De toute manière, comme le clame haut et fort le musicien Daniel Paboeuf dans son dernier album, « ce n’est pas l’hélicoptère qui va nous faire taire. »

 

 

 

Dronologie rennaise

Vidéosurveillance à Rennes : un rapport démontre son inefficacité !

[chroniques confinées] Ashes ? de Daniel Paboeuf

1 commentaire sur “Un « no man’s land » juridique permet-t-il la vidéosurveillance depuis un hélicoptère ?

  1. Lolman

    Un peu avant la fin j’ai décroché, fatigué de tes articles militants de gaucho de base, c’est dommage, vraiment

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