Confinées mais pas mortes, les scènes musicales rennaises continuent de vivre malgré la morosité ambiante et la privation de concert jusqu’à date indéterminée. Histoire de soutenir celles et ceux qui se bagarrent pour continuer de défendre une vision frondeuse et indépendante de la musique, nous vous proposons quelques chroniques de disques plus ou moins locaux à découvrir dans le respect des gestes barrières aux grandes plateformes. Aujourd’hui, on vous cause d’Ashes ?, le nouvel album du toujours aussi fringant Daniel Paboeuf dans lequel on croise nombre d’ombres mais aussi d’espiègles lumières.
Cela fait déjà remarquablement longtemps que Daniel Pabœuf est un acteur essentiel des scènes musicales rennaises et hexagonales. Depuis ses débuts dans les années 80 (Marquis de Sade, Tohu Bohu, Ubik…), il a su conserver avec une fraicheur remarquable une soif inextinguible de projets et d’aventures musicales. Son sax reconnaissable dès la première note a ainsi accompagné aussi bien des légendes comme Afrika Bambaata, Ima Sumac ou Rowland S. Howard que des pop stars bien de chez nous comme Étienne Daho, Alain Chamfort, Niagara ou Françoise Hardy. Plus récemment, ses pas vagabonds l’on amené chez Dominique A ou encore au sein du classieux collectif Trunks (en compagnie excusez du peu de Laetitia Sheriff, Régïs Boulard, Stéphane Fromentin et Florian Marzano). Là encore, le monsieur n’a cessé d’explorer, de renouveler, de pousser dans ses retranchements ce son de sax si envoûtant et caractéristique que Dominique A n’hésite pas à comparer à une voix. « Une voix qui, en l’occurrence, ne vieillit pas, et qui se régénère, sans être altérée par les contingences, et en dépit d’un écho public bien en deçà de ce à quoi elle pourrait légitimement prétendre. » dixit monsieur Ané. Ce merveilleux bonhomme poursuit désormais ses aventures avec son projet initié en solo en 2007 : DPU (pour Daniel Paboeuf Unity). Accompagné de Mistress Bomb H (laptop, voix), Nicolas Courret (batterie) et David Euverte (claviers), il a sorti sous ce patronyme trois déjà très recommandables albums : DPU en 2008 puis Ce qu’il en reste en 2015 et enfin Golden Years en 2018. On vous causait d’ailleurs plus en détails de ce dernier par ici. Voilà le bonhomme de retour en 2021 avec l’interrogatif Ashes ?, à sortir le 5 février prochain.
Cette nouvelle aventure sort cette fois sous l’appellation simple et directe de Daniel Paboeuf. Vu le passif du monsieur, on peut difficilement le soupçonner d’une crise d’égocentrisme. Le projet est présenté comme solo mais on y retrouve deux complices fidèles avec Nicolas Courret derrière les futs et Thomas Poli à l’enregistrement, aux synthés et aux bidouilles. Nous subodorons donc plutôt une volonté de souligner à quel point ces morceaux lui sont personnels. Ashes ? est en effet présenté comme un clin d’œil au premier groupe de son adolescence Ad astra (vers les étoiles).
Le disque démarre pourtant un peu en trompe l’œil avec un tube revendicatif et malicieux : l’hélico. Daniel Paboeuf y joue les rebelles facétieux en se payant la fiole de l’onéreux et inquisiteur moulin à vent de la préfecture désormais indissociable de n’importe quelle manif locale, tout en clamant avec une ferveur de jeune homme notre soif de vérité et de respect. L’album s’assombrit nettement par la suite. Il est ainsi question de bilan douloureux (I’m a wreck constat implacable à la mélodie pourtant vive et aérienne), d’angoisse du futur (Who will remember en forme d’ample complainte tout en sensibilité), de résignation (l’envoutant It’s too late) ou plus loin de guerre (le sombre et métallique War). Malgré ces thématiques bien ténébreuses, il se dégage de l’ensemble un humour et une énergie étonnamment revigorante. Comme sur la très belle pochette cendreuse de Sébastien Thomazo (mise en page par Eric Mahé), les nuages sont de plomb mais le bleu se devine et perce, ici et là, par petites touches. Au rayon éclaircies, on compte aussi cette superbe version dépouillée et à fleur de cuivre du Lonely Woman d’Ornette Coleman mais également deux splendides incursions vers les astres avec Arcturus (une étoile de type géante rouge, en fin de vie) et M-87 (une des plus lumineuses galaxies proches de notre Terre). Avec leur batterie impérieuse, leurs chœurs samplés, leur rythmique de papier froissé et leur sax en apesanteur, ces deux somptueux instrumentaux sont, pour nous, le double cœur mélancolique et spatial d’un disque à la fois dur et lumineux. Autour de ces deux respirations galactiques viennent donc orbiter des chansons souvent crépusculaires mais pas désespérées pour un ensemble hautement contrasté où le froid du vide côtoie l’espièglerie et des lueurs lointaines mais célestes. Le disque se conclut sur le point d’interrogation d’Ashes ? et ses volutes brumeuses de sax qui vous laisseront libres de la destination finale de ce périple hautement recommandé.
Plus d’1fos sur
la page de Daniel Paboeuf
le bandcamp de Daniel Paboeuf et D.P.U.
L’illustration de la pochette n’est pas de moi mais de Sébastien Tomazo (http://sebastienthomazo.com). Je n’ai fais que la mise en page.
Merci de cette précision on corrige ça.