Non contents de sortir un des plus beaux albums de ce début d’année, les Rennais de We Only Said organisent avec la complicité des Disques Normal une soirée tout aussi emballante que leur disque samedi 24 janvier au 1988 live Club. Ils y joueront en compagnie du pétillant BeaTch et des incandescents Møller Plesset. Détails des réjouissances et rencontre avec Florian Marzano, le maître d’œuvre du groupe.
On l’avoue, même avec sa programmation plutôt audacieuse et des échos hautement positifs, nous avions encore quelques réticences à franchir les portes de la discothèque le Pym’s pour y assister aux concerts du 1988 live Club. Trop de réminiscences douloureuses de soirées estudiantines vaguement minables sans doute. On se doutait que ça ne durerait pas bien longtemps et la soirée du samedi 24 janvier organisée par l’excellent label Les Disques Normal nous fournit la parfaite occasion d’enfin franchir le pas.
Car il faut bien avouer que cette soirée a une sacrée allure. D’abord parce que c’est l’occasion de venir fêter dignement la sortie d’un grand disque : Boring Pools, second album de We Only Said.
Le guitariste rennais Florian Marzano avait d’abord un premier projet, I only said, nommé ainsi en référence à un morceau de My Bloody Valentine. Et puis il a rencontré d’autres musiciens. Certains ont joué sur un premier album, d’autres l’ont rejoint plus tard, certains sont partis. Et entre temps le groupe est devenu, forcément, We Only Said. Leur premier album, sorti sur le label Range ta chambre fin 2009, a su séduire les critiques musicales d’ici et d’outre Atlantique mais aussi les oreilles de Bob Weston, le bassiste de Shellac qui a accepté de masteriser l’album. Entre post rock chanté, et pop indépendante d’obédience américaine, la musique de We only said rappelle les groupes de Chicago et de Louisville les plus calmes et les plus mélancoliques. En parallèle, le musicien fait aussi partie de Trunks et de Pink Iced Club (le projet à huit guitares mené par Olivier Mellano) mais We only said est son projet le plus « personnel » (retrouver l’interview à occasion du premier disque ici).
Aujourd’hui le groupe s’est stabilisé sous la forme d’un quintet composé en plus de Marzano au chant et à la guitare, de deux autres guitaristes de talents : Loïg Nguyen (Ladylike Lily) et Mathias Prime (Saïtam) de l’épatant Stéphane Fromentin (Trunks, Chien Vert, Ruby Red Gun) à la basse et de l’impérial Pierre Marolleau (Fat Supper, Ladylike Lily, The Enchanted Wood… et on en passe) derrière les fûts. Avec Florian Marzano en chef d’orchestre, la bande a concocté pour cette seconde galette neuf titres qui ont mis à genoux d’extase une bonne partie de l’équipe d’alter. C’est peu dire qu’on meurt d’impatience de savourer ces compositions en live. On revient dessus plus en détail dans l’interview ci-dessous parce qu’en plus de ça les deux autres formations invitées ne sont clairement pas en reste.
BeaTch est le projet solo de Guillaume Léchevin. Les plus anglophones d’entre vous apprécieront le magnifique calembour bricolé par le bonhomme. Il avait déjà officié comme guitariste chez Milgram (groupe noise de Dunkerque un poil culte sur les bords) et avait déjà tenté l’aventure en solitaire sous le patronyme Billy B. Beat pour une sorte d’electro-clash bien punk et déconnant. Depuis 2010, il officie donc sous le nom de BeaTch et a sorti fin 2012 Girls/Death, un chouette vinyle à mollusque bivalve sur lequel on trouve 13 titres d’indy-rock pétillants et décontractés ayant une fâcheuse tendance à vous coller le sourire aux lèvres et des fourmis dans les pieds. Exactement ce qu’il vous faut donc pour entamer en beauté la soirée, surtout qu’il y a de fortes chances que le monsieur soit rejoint sur scène par des membres des autres formations présentes.
Nous retrouverons également avec un immense plaisir les furieux Møller Plesset qui ont eu la riche idée de dédier leur concert rennais annuel à l’événement. Depuis plus de 15 ans le groupe prouve avec classe et nonchalance que Chicago n’est finalement pas si loin de Rennes que ça. Leurs trois galettes : Rather drunk than Quantum, (2002), the perturbation theory (2005) et Hartree-Fock method (2011), font définitivement partie de nos disques de chevet. Le duo de guitare Régis Gauthier/Thomas Le Corre est aussi fascinant dans la puissance que dans des élans retors et labyrinthiques où ils font preuve d’une complicité et d’une complémentarité exemplaires. L’impressionnant jeu de chausse trappe rythmique de Fred Sorgnard à la batterie enrobe parfaitement les circonvolutions abrasives des deux six cordes et le chant déchirant d’intensité de Gilles Trotin (souvent savoureusement mis en contrepoint avec celui de Régis Gauthier) achève de rendre le tout totalement imparable. Parce que derrière la fureur et les syncopes à trois temps, les lascars vous planquent de redoutables compos qui vous accrochent par l’oreille dès la première écoute et ne vous lâchent plus.
Sur scène leur rock noise retors et classieux nous a toujours mis dedans dehors. On parie un billet sur le fait qu’ils ne dérogeront pas à la règle ce soir-là.
Retrouvez sur le site la bande en interview pour leur participation à la compilation du label In My Bed.
Samedi 24 janvier 2015 – 1988 Live Club, 27 place du Colombier, Rennes – 20h – 5€
La camarade Isa avait déjà rencontré Florian Marzano en février 2011 pour un long et passionnant entretien dont elle a le secret. Pour cette seconde discussion, nous avons eu envie de parcourir en sa compagnie les neuf titres du magnifique Boring Pools.
alter1fo : Après Range Ta Chambre pour le premier disque, votre second album sort chez les excellents Disques Normal. Comment s’est passé la rencontre avec Martial ?
Florian Marzano :J’ai eu un premier contact avec Martial il y a des années, au tout début de We Only Said, il y a 7 ou 8 ans. Il s’intéressait déjà à mes premières maquettes sur Myspace et m’avait proposé à l’époque de sortir le premier album. Mais je m’étais déjà engagé avec le label Range ta Chambre (aujourd’hui disparu)… Quand on a commencé à envisager l’écriture du deuxième disque, je n’ai même pas cherché un autre label, je lui ai directement demandé s’il était toujours partant. Et il a accepté les yeux fermés, sans écouter une seule note. C’est comme ça que j’aime travailler : avec des gens passionnés, qui te font confiance, qui te soutiennent aveuglément. C’est le cas de Martial et de son label.
Je te propose maintenant une série de questions suivant le tracklisting de Boring Pools. Le disque s’ouvre sur le très beau Dry As Dust où s’entrelacent de façon délicieusement alambiquées les guitares et la batterie de Marolleau. Etait-ce évident que ce serait le morceau d’ouverture ? Comment s’est passé le choix de l’ordre des titres ? Quelles étaient vos envies pour ce nouveau disque ?
Pour moi, c’était le morceau idéal pour ouvrir le disque. Il contient toute l’essence de We Only Said. Des changements rythmiques binaires/ternaires, les voix doublées tout du long, un final qui monte crescendo, étire le morceau et l’emmène ailleurs… Les autres membres ont aussi apporté beaucoup d’idées d’arrangements, il y a pas mal de parties improvisées en studio. C’est un de mes morceaux préférés car il ne ressemble pas à ce que j’avais en tête en le composant, chacun a trouvé sa place et se l’est approprié.
Concernant le tracklisting, c’est toujours moi qui m’y colle, j’adore ça. Tu peux faire un album complètement différent si tu changes l’ordre des morceaux. C’est toute une ambiance à créer, une petite histoire qui dure le temps de deux faces, avec une coupure nette au milieu (je pense toujours à la version vinyle en priorité). Je fais mes disques pour qu’on les écoute en entier et dans l’ordre, bien évidemment… Ce n’est pas juste une somme de morceaux collés les uns après les autres, il y a un sens à tout ça. Tout est important, jusqu’au temps de silence entre deux morceaux.
Nos envies pour ce nouveau disque étaient surtout de montrer que We Only Said était devenu un groupe, et pas juste des musiciens autour de moi. Je continue à écrire tous les morceaux, mais ça n’a plus rien à voir avec le premier album. Tout le monde est libre d’apporter son idée d’arrangement. On en discute, on joue, et on prend ce qui marche le mieux. De plus, on a presque tout enregistré dans des conditions live, en faisant 2-3 prises par morceau, pas plus. Un peu à l’ancienne. Il n’y a pas de clic sur l’album, tout est joué naturellement et ça se ressent, je crois. Je trouve que le premier album était assez figé, alors que le nouveau est bien plus groove, si on peut dire. Pas dansant non plus, quand même, faut pas exagérer.
Le second titre A Fearful And Violent Hurry bref, intense et retenu dégage comme un grande partie de l’album une ambiance entre colère et mélancolie mais pourtant jamais plombante. Tu as à nouveau demandé à Nathalie Burel d’écrire les textes. Est-ce que votre façon de travailler a évolué ?
On a évolué également au niveau de l’écriture des paroles car on était un peu frustrés suite à notre première expérience. Avant, Nathalie me donnait ses textes, je piochais dedans, un peu au hasard, en découpant ce qui me plaisait, pour les faire rentrer dans les « cases » d’un morceau, d’une mélodie. Ce qui donnait souvent une autre interprétation du texte, forcément.
Pour le nouvel album, j’avais déjà toutes mes mélodies de prêtes, et quelques phrases déjà écrites. Des titres de morceaux, aussi. A partir de ces bouts de phrases, elle a fait les paroles de chaque chanson en discutant avec moi du sens que je voulais donner à tout ça. On a fait aussi énormément attention à la sonorité de chaque mot, pour qu’il sonne le mieux possible à tel ou tel endroit de la mélodie. On a donc changé pas mal de phrases pour qu’elles soient plus musicales, que le texte soit le plus fluide possible. On a fait ça en direct, dans sa cuisine, avec une guitare sèche. Ça a été assez immédiat et il y a eu un vrai partage, bien plus qu’avant.
Viens ensuite Mitch qui s’ouvre sur une somptueuse ligne de basse rappelant les belles heures de groupe comme The For Carnation. Les 90’s restent-elles « la meilleure décennie de musique » pour toi ? Qu’est ce qui t’inspirent ou te plaît particulièrement dans les groupes de cette période ?
Bien sûr, pour moi, la décennie de musique la plus riche est celle des années 90. Tout simplement parce que c’est ma période 15-25 ans, celle où chacun se forge son identité musicale, sa base, pour le reste de la vie. Et c’est la période que je connais le mieux. Pas étonnant pour le coup que tout ce que je fais sonne comme tout ce que j’aime.
La tension monte encore d’un cran avec Everything Turns Cold et son final parfait. Ce qui frappe, sur ce morceau comme sur tout l’album c’est l’équilibre impressionnant entre la voix, les multiples entrelacs de guitares et la sinueuse rythmique. Comment travaille-t-on ça ? Comment se sont passés l’enregistrement et le mixage avec Eric Orthuon ? Qu’est ce qu’apporte Bob Weston a qui tu as à nouveau fait confiance pour le master ?
Tout cet équilibre se travaille déjà en amont, dans le jeu, les prises. Même si on a très peu répété finalement pour ce disque (pas plus d’une semaine), on savait exactement où on allait et ce qu’on voulait faire. Une sorte de cadre solide avec la paire basse-batterie et la structure du morceau, et par dessus deux autres guitares, des propositions d’arrangement, des improvisations, des voix, des chœurs, qui s’ajoutent de façon immédiate, spontanée. Si on avait fait ce disque la semaine d’avant ou d’après, il aurait été complètement différent, c’est ça qui est intéressant. Et c’est là qu’Eric Orthuon, l’ingénieur du son, intervient pour l’équilibre de tout ça. Il a passé de longues semaines à enregistrer, mixer, choisir les meilleures parties, le meilleur son, à rendre ça encore plus cohérent, à prendre les décisions avec moi. En tout on a passé 6 jours en studio, puis deux mois de mix. Sans penser à autre chose. Un boulot à en devenir dingue.
Concernant le mastering, Bob Weston apporte son expérience évidente et il est une sorte de garde-fou pour nous. C’est lui qui nous donne une dead-line, on sait qu’on doit lui envoyer le mix final à une certaine date, ça nous permet de se dire qu’à un moment, il faut arrêter et accepter le morceau tel qu’il est. Pas si simple.
Et sa touche ultime est toujours un bonheur, il comprend et apprécie ce que l’on fait, ça se ressent dans son travail et les échanges qu’on a avec lui. On est aussi complètement fan de sa carrière en tant que musicien et surtout en tant qu’ingénieur du son. Je sais aussi qu’avec lui, on peut parler, modifier et ajuster son master. Ça ne marche jamais du premier coup, mais dès le deuxième essai, c’est tout bon.
Retour au (faux) calme avec Here Comes The Thirteenth Lie où après un départ épuré on retrouve pour une construction plus alambiquée. Un chronique enthousiaste d’« A découvrir absolument » vous avait qualifié de Grammatical Rock (par distinction avec Math Rock). As-tu eu l’impression d’aller vers le plus simple ou le plus complexe dans tes compositions ? Votre manière de composer a-t-elle changé depuis le premier album ?
Ce morceau est différent de tous les autres car il provient d’une session de répétition, enregistré avec 3 pauvres micros et un ordi. Mais on ne l’a jamais si bien joué que là, en improvisation quasi-totale, la première fois. J’ai tout fait pour qu’il soit sur le disque, parce que je savais que c’était cette prise ou rien. Et on n’a jamais réussi à le rejouer de la même façon, aussi libérée (d’ailleurs on ne le joue pas en live, impossible pour l’instant). C’était compliqué car le son de base était totalement différent du reste des prises de l’album, il fallait pourtant qu’il puisse trouver sa place. Encore une fois, c’est Eric qui a réussi à le faire sonner. C’est mon morceau préféré du disque.
Pour revenir à la question, je passe mon temps à aller vers le plus simple. Même si certains morceaux ont des constructions un peu alambiquées, ce n’est pas fait exprès, c’est venu comme ça, sans réfléchir. Et on fait tout pour les épurer le plus possible, les rendre accessibles. Que la complexité ne soit là que pour la beauté de l’ensemble. Et tout ça n’a pas vraiment changé depuis le premier album. C’est notre façon de faire de la musique.
Arrive l’éponyme (Along All) Boring Pools, un de nos morceaux favoris du disque avec son ébouriffant final. Après une très évocatrice carcasse rouillée, vous avez choisi un superbe dessin d’Eric Mahé. Comment est venu ce choix ? D’où est venu le titre de l’album ?
J’adore le travail d’Eric Mahé depuis des années, je rêvais d’une pochette avec lui, c’est aussi simple que ça. Je lui ai envoyé les démos du disque, il a travaillé en se plongeant dedans et cette pochette est née. En vinyle elle est magnifique.
Le titre de l’album est venu sur un coup de tête, en sortant des prises de ce morceau. Il était particulier aussi, on venait tout juste de l’écrire et on ne s’attendait pas à un résultat comme ça. C’est un morceau fragile et fort à la fois, assez dur à décrire.
Le disque enchaîne sur le très émouvant My Distance With You. Quels sont les disques qu’y t’émeuvent à chaque écoute ?
Il y en a tellement. Tout ce que j’aime, de Notwist à Shipping News, Thee More Shallows ou Minus Story.
Comme son titre l’indique le morceau Get Out Freakie (Alternative Version) est une nouvelle version d’un titre déjà présent sur le premier disque. C’était pour faire le lien ? Pour mesurer le chemin parcouru ? Comment as-tu l’impression que le groupe ait évolué depuis le précédent disque ?
C’est exactement ça. Pour faire le lien. Pour mesurer le chemin parcouru. On fait en sorte que les morceaux ne soient jamais figés, on recherche constamment des nouvelles directions, des nouvelles idées. Donc c’est important à un moment de les enregistrer à nouveau, je trouve. Pour moi ce sont des morceaux complètement différents. On avait déjà commencé à faire ça en enregistrant un 45 tours il y a deux ans qui contenait 3 versions alternatives du premier album.
L’album se clôt sur le limpide et poignant Killing For A Job qui malgré son feu couvant nous évoque pourtant le furibard My Job des Møller Plesset. Pour notre plus grande joie leur concert rennais annuel aura lieu lors de votre release party. Qu’est ce qui te plaît dans ce groupe ? Quelles affinités partages-tu avec eux ?
Møller, ce sont des copains depuis 20 ans. On est de la même génération et on a la même façon de faire de la musique, pour nous, pas pour la gloire. C’est pour ça que c’est un groupe qui dure. Et c’est un des meilleurs que j’ai vu. Aucun artifice, aucune frime, aucune envie de révolutionner quoi que ce soit, aucun plan de carrière, juste le plaisir de jouer.
A-t-on encore une chance de voir aboutir ce projet de concert filmé en studio ? Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
Oui, bientôt j’espère. Je trouve ça assez intéressant comme idée, il faut juste trouver une façon originale de le faire.
Et pour les mois à venir… rien de vraiment défini. Faire quelques concerts avec un peu de chance, travailler de nouveaux morceaux, se faire plaisir, bref, continuer à exister et à avancer, c’est déjà beaucoup.