Le concert de Civil Civic le vendredi soir à la Route du Rock a jeté quelques centaines de spectateurs dans un pogo furieux et jubilatoire. Pour notre part, on s’est retrouvé immédiatement compacté contre les barrières, concassé même. On n’a pourtant pas boudé notre plaisir, malgré un set au son un peu brouillon qui gratte et qui dissonne, tant on aime les les morceaux du duo, leur mélancolie dissimulée à coup de disto, cette tension entre mélodie et agressivité.
Duo composé de deux Australiens (ainsi que de The Box, leur boîte à rythmes, troisième membre à part entière selon leurs dires) qui ne s’étaient jamais rencontrés dans leur pays d’origine, à Melbourne, les Civil Civic ont finalement pris contact une fois émigrés en Europe. Pourtant l’un des deux était à Barcelone, l’autre à Londres. Qu’importe, la révolution numérique leur a permis de composer essentiellement à distance des tubes addictifs mêlant tout à la fois noise et synth-rock.
Dès la première écoute, leur album, Rules (novembre 2011) est devenu totalement obsédant. On ne sait ce qui est le plus addictif : ces trois notes au synthé qui nous rappellent Robert Smith sur Airspray, le morceau d’ouverture, ces murs shoegaze à la My Bloody qui déboulent à la sortie d’une ligne droite à la guitare claire à la Cure et d’une basse nerveuse et mélodique à la Joy Division sur Street tap. On est tout autant complètement emporté par ces guitares noisy à la Sonic Youth qui débutent Run overdrive que par l’énergie post-punk d’un Grey nurse. Civil Civic, en fait, c’est un peu comme si toutes nos amours d’adolescence étaient réunies en un seul groupe : la cold wave de Cure, la pop des Smiths, les guitares noisy de Sonic Youth, les sons crades de My bloody et l’évidence mélodique des Pixies. Alors à l’idée de rencontrer les Civil Civic une poignée d’heures avant leur set à la Route du Rock, on a de nouveau 17 ans. Rencontre.
Alter1fo : Vous venez d’Australie. Pourquoi être venus vous installer en Europe ?
Ben (basse) : Je suis parti vivre à Berlin en 2005, parce que l’Australie c’est super petit, et super ennuyeux ! (rires) Si vous y grandissez et si vous y vivez depuis toujours, tout ce que vous pouvez faire, c’est… partir. En 2005, tout le monde disait : « Berlin, Berlin, Berlin », donc j’y suis parti pour deux ans. Mais l’hiver, c’était trop ! Donc je suis parti à Barcelone. J’y suis depuis cinq ans maintenant.
Aaron (guitare) : Je suis à Londres depuis cinq ans. Ben dit que c’est petit. Bien sûr, l’Australie est un pays très grand par la taille. Mais il n’y a pas beaucoup d’habitants. C’est surtout désertique. Si vous jouez dans un groupe en Australie (ce que l’on a fait tous les deux), il n’y a que quatre ou cinq villes où jouer en concert. Il faut conduire pendant dix heures entre chaque ville, c’est impossible ! Sur une distance donnée, en France vous pouvez faire quatorze concerts là ou en Australie vous ne pouvez en faire que deux. Et en plus de tout ça, en tournée en France, on vous loge, on vous nourrit, et on est gentil avec vous !
Ben : En Australie c’est plutôt : « voilà tes cinquante dollars, joue ta putain de musique et fais pas chier » (rires). En réalité, ce n’est pas à ce point-là, mais bon…
Aaron : On est venu en Europe, car il y avait plus d’opportunités pour nous en tant que musiciens. L’Australie est un pays jeune. C’est bien de venir en Europe, voir d’où viennent nos ancêtres, voir le monde.
Vous ne vous connaissiez pas à Melbourne. Vous vous êtes rencontrés en Europe. Pouvez-vous nous expliquer comment et de quelle manière vous avez décidé de monter un groupe ensemble ?
On s’est rencontré via internet. On avait beaucoup d’amis en commun. On ne se connaissait pas en Australie, mais on connaissait les mêmes personnes de la scène de Melbourne, on n’était pas de complets étrangers l’un pour l’autre.
Mais tout de même, l’un de vous vit à Londres et l’autre à Barcelone !
Ben : Ce n’est pas vraiment un problème, pour être honnête. Du fait des distances en Australie, la distance entre Londres et Barcelone, c’est à peu près Melbourne et Sydney. Pour nous c’est une distance raisonnable, ça ne pose pas de problème. En Europe, les gens nous disent : « mais comment vous faîtes c’est de la folie ! »
Aaron : Et puis il y a Internet ! Vous avez internet en France, non, c’est vraiment bien, n’est-ce pas ? (rires)
Ben : Et sinon en France vous avez des taxis aussi… Et fêtez-vous les anniversaires ? (rires )
Aaron : Donc, oui avec Internet, ça ne pose pas de souci. On ne compose pas dans une même pièce ensemble. On s’envoie des enregistrements, on les développe. On rajoute une couche ici, on coupe là, c’est comme un tableau, une toile que l’on s’envoie et où chacun peint par dessus. C’est une bonne méthode pour travailler ensemble. Je ne m’imagine pas en avoir une autre, en fait.
Votre musique est un mélange de tout ce qu’on aime, un peu de Sonic youth, de Cure, de My Bloody Valentine… Vous êtes d’accord ? Quelles influences revendiqueriez-vous, de votre côté ?
Aaron : Oui, c’est tout à fait ça ! On rajouterait des groupes post-punk : Nick Lowe, Elvis Costello, Gang of Four, Midnight Oil, hum quoi d’autre… Les B’52s…
Ben : Oui les B’52s, vraiment ! Avec cette guitare anguleuse ! Vous ne mettriez peut-être pas les B’52s dans les groupes « durs » mais ça l’est ! Si vous écoutez le break sur Rock Lobster, leur single le plus célèbre… Autour de 2 minutes 10 : ce break c’est le plus dur que vous puissiez entendre !
Aaron : Il est impressionnant !
Mais il y a aussi des groupes plus récents, plus électroniques qui influencent notre musique. On est un peu comme un groupe post-punk instrumental avec des synthéthiseurs et une boîte à rythmes… C’est le contraste, l’opposition qu’on essaie de créer.
Justement, quand on vous écoute, on se dit que votre musique repose sur un autre contraste, la tension entre la mélodie et une certaine agressivité. C’est quelque chose que vous recherchez ?
Aaron : Absolument ! C’est exactement ça. C’est comme une sorte de dance-party violente, à laquelle tu n’as pas peur d’assister mais où tu sens plutôt ému, où tu as fumé de l’herbe et où tu t’amuses. Ou alors tu t’amuses juste comme ça, par toi-même.
Ben : C’est comme si tu étais à cette soirée et que tu te sentais vraiment triste parce que quelque chose de vraiment moche vient juste de t’arriver. Mais comme tu es avec des amis, tu ne peux pas être totalement triste. Tu es en même temps triste et tu passes un bon moment. C’est cette espèce de sentiment mélangé dont il est vraiment question dans notre musique.
Aaron : Comme quand tu regardes les étoiles, et que tu réalises à quel point tu es insignifiant, ça te libère vraiment de ressentir ça.
Ben : Tu entends ce poum-tchack (il bruite la boîte à rythmes) et tu te dis « ouiii ! » (rires)
Aaron : Tu bois 36 bières et tu danses comme un dingue… (rires)
Votre premier album est totalement « do it yourself » (enregistrement, pressage, distribution…). Est-ce que vous aimeriez signer sur un label dans le futur ?
Aaron : Faire tout soi-même, c’est beaucoup de boulot. Tu en retires aussi un vrai bénéfice. Si on était signé, cela aurait vraiment changé la façon dont les choses se sont passées. Ca donnerait quelque chose qui, si ça se trouve, ne nous plairait pas.
Être indépendant, c’est génial pour contrôler les choses, pour faire ce qu’on veut quand on veut, et n’avoir à répondre de rien à quiconque. Mais en même temps, personne ne te pousse dans tes retranchements, personne n’attend rien de toi et tout repose sur ta motivation. Et on est juste humain, un peu paresseux parfois (rires) On n’arrivera pas à se bouger tout seul continuellement… (rires)
Ben : Oui, c’est ça… Ce n’est pas comme si on était resté indépendant parce qu’on est contre l’industrie du disque. Nous ne haïssons pas l’industrie du disque. Nous ne restons pas indépendant pour une question d’honneur… Si quelqu’un arrive en disant : « ce que vous faites est chouette, travaillons ensemble » , alors bien sûr on écoutera ses propositions. Mais, en même temps, on veut sortir notre musique et on ne va pas attendre que quelqu’un d’autre nous dise : « ok, vous pouvez le faire » . On peut le faire.
Aaron : C’est très simple, ce n’est pas tant un DIY éthique, mais plutôt un DIY par nécessité. C’est très facile de tout faire soi même avec internet maintenant. Et nous n’allions pas ne pas sortir notre disque parce que personne ne voulait le sortir. Ce n’est pas une éthique punk, c’est plutôt une approche « homme à tout faire ».
Vos fans et amis ont financé le disque…
Ben : Oui, exactement, et on les remercie pour ça ! Et si vous nous avez donné de l’argent, (il mime un baiser) [en français :] cimer beaucoup, cimer la meuf et les mecs ! (rires)
On vous retrouve dans deux heures sur la scène de la Route du Rock. Qu’est-ce que vous aimez quand vous êtes sur scène ?
Ben : On aime bien sonner, faire un bon concert. Quand on joue dans un groupe, on a une vague idée de ce que les gens entendent devant nous… Les retours, sur le devant de la scène, c’est notre seule réalité. Si ça sonne bien, on écoute et on se dit « hé, ça sonne vraiment bien » alors on se met à danser en se disant : « putain on est super bon, écoutez ça ! » C’est vraiment ça, si les retours sur scène sont bons, tu te sens en confiance, le public réagit bien et te suit.
Aaron : Il n’y a rien de mieux qu’une salle pleine de monde, qui réserve son jugement. Le public pense « ok, toi le groupe, vas-y, fais ce que tu as à faire », et à la fin ce sont tes amis. Ca, c’est le concert parfait. De temps en temps ça arrive, et là c’est parfait.
Vous jouez avec The Box [la boîte à rythme, troisième membre à part entière selon les dires du duo] . Est-ce que vous imaginez jouer avec un batteur à l’avenir ou bien est-ce que The Box est totalement irremplaçable ?
Aaron : Oui la Box est le troisième membre du groupe. Hum… Avez-vous déjà rencontré un batteur ? (rires)
Ben : Un chanteur peut-être, un batteur jamais ! (rires) On a de très bons amis batteurs, qui sont de bons batteurs. On les respecte, mais… Désolés ! Vous ne pouvez pas jouer dans notre groupe.
Est-ce que jouer avec the Box vous laisse tout de même une part d’improvisation sur scène ?
Aaron : Oui, complètement. The Box est ce qui se fait de plus appliqué ! Elle ne joue pas seulement un morceau du début à la fin. Nous avons une pédale, qui permet de passer d’une étape à une autre dans le morceau.
Et puis, elle ne râle pas en coulisse. Elle est toujours dans le tempo ! C’est fantastique ! Cela nous permet d’improviser. Il y a des morceaux qui sont différents tous les soirs.
Vous aimez être en tournée ?
Aaron : Oui, cela dépend où on tourne, mais oui.
Ben : Moi j’adore être en tournée.
On a justement lu vos aventures sur votre blog : vous semblez vraiment vous amuser… Et faire de bons gueuletons aussi. (rires) Vous nous expliquez ?
Aaron : Vous avez lu le blog ? C’est Ben qui l’écrit.
Ben : Oh oui, de sacrés gueuletons ! Nous avons un tourneur en Italie, qui s’appelle Paolo Vizio. Il s’occupe d’un festival qui s’appelle Indie Rocket, sur la côte est à côté de Rome [Naples]. Et tous les jours, il cherchait sur son Iphone et nous disait : « bon, je pense que je sais dans quel restaurant nous allons manger dans telle ville ». On y allait et à chaque fois c’était : « oh my goooood ! » (rires)
Dernière question, très vite, car nous n’avons malheureusement plus de temps. Un second album est-il en préparation ? Peut-on s’attendre à une sortie d’ici peu ?
Ben : Oui, sûrement en février ou mars 2013. Ce sera un album différent de ce qu’on a fait jusqu’à présent.
Mais ce soir c’est la même chose que d’habitude : très fort, dans ta face. [En français : ] Voiiilà (rires).
Merci !!!
Aaron et Ben : Merci beaucoup !!
Photos interview, prise de son, transcript, traduction : Caro – Photos Live : Solène
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