Arrivés avec un peu d’avance à l’Ubu, on évalue assez rapidement qu’il y aura foule ce soir, étant donné le nombre de spectateurs attendant le concert. C’est avec une certaine curiosité qu’on attend de découvrir le nouveau projet d’Alden Penner, ex membre de The Unicorns et Clues, et à l’origine de The Hidden Words avec Jamie Thompson, compagnon de route de The Unicorns.
On avait eu un peu de mal à saisir la finalité de son projet, approche à la fois mystique et théologique. Peu d’éléments à glaner puisque le projet est né d’un concert à Montréal qui devait être unique. La collaboration entre les 6 musiciens composant ce combo récent a permis la création de plusieurs titres qui devraient voir le jour sur un album prévu au printemps prochain.
Alden Penner commence son set en essayant de nous expliquer ce projet dans notre langue. Il nous explique tout d’abord que dans le cadre de ses dates en France, il se présente en solo. Il nous explique aussi que les textes de ses compositions sont issus de The Hidden Words of Baha’u’llah, un écrit de la moitié du 19ème siècle regroupant des textes mystiques résumant les vérités communes à toutes les religions. Son set de 9 morceaux est essentiellement composé de titres en anglais, avec cependant un en espagnol et un titre en français (sur la bénédiction des différentes formes d’habitat). On est parfois perdu par les explications du chanteur, probablement parce qu’il nous explique un propos complexe, entre philosophie et théologie, dans une langue qui n’est pas la sienne. On sent la volonté de faire passer un message d’universalité et de respect mutuel, avec sa musique comme l’un des vecteurs possible de ces valeurs. Il nous précise d’ailleurs que l’un des titres qu’il joue signifie qu' »à l’intérieur de chaque parole ou mélodie, il y a une multitude de significations ».
Vous pourrez retrouver prochainement l’artiste canadien dans l’Echo du Oan’s, enregistré quelques heures avant sa prestation à l’Ubu, où l’on devrait en savoir plus sur la nature de son projet.
Mais si le message nous a quelque peu échappé, Alden Penner a su nous captiver musicalement parlant. On est d’abord agréablement surpris par son joli timbre de voix, souvent grave dans les couplets et s’envolant dans les aigus sur les refrains, parfois même en voix de tête parfaitement maitrisée.
Et puis il y a surtout la virtuosité du bonhomme, aidé par une technique irréprochable. Ses compositions se promènent dans une variété de genres musicaux impressionnante. Il se balade dans un univers souvent bluesy, avec des incursions plus pop ou folk, voire americana sur son dernier titre joué. Il y a aussi un très joli moment qui nous fait penser à un morceau traditionnel sud-américain.
La voix se fait parfois religieuse, dans des envolées en voix de tête. Sur l’un des morceaux, les intonations, très proches d’Ali Farka Touré, nous rappellent les origines africaines du blues. Et son jeu (sur guitare classique s’il vous plait !) est au service de ses compositions, avec une utilisation du picking particulièrement efficace sur les notes de basse, qui donne une ampleur à sa prestation solo.
Un vrai joli moment, qui nous donne envie de découvrir ces compositions sur album avec l’ensemble du groupe.
Petite pause, mais un public encore plus nombreux vient s’installer sur les marches de cette salle atypique. Atypique car peu de salles de concert proposent une proximité aussi grande, avec la particularité pour une partie du public d’être à la même hauteur que les artistes. Le genre de salle parfaite pour accueillir Mathieu Boogaerts et son set tout en complicité avec son bassiste et avec le public.
Mathieu arrive sur scène avec le bassiste Zaf Zapha, compagnon de route depuis de nombreuses années déjà. Le duo s’amuse des petits soucis techniques de début de concert : on se retrouve tout de suite dans l’univers de l’artiste qui aime rebondir sur les petits imprévus.
Dans le cadre de leur tournée, Mathieu et Zaf nous proposent un set rodé lors des concerts dans le club parisien La Java, concerts qu’il a effectué tous les mercredis dans ce club d’octobre 2009 à juin 2010. Ces concerts ont d’ailleurs donné lieu à une captation live sortie fin novembre 2010, sous le titre Mercredi ! A la Java !. L’originalité de cette prestation repose sur le récent changement de processus de création du musicien : sur son dernier album I Love You, il a préféré élaborer ses compositions à partir de rythmes, délaissant quelque peu la création acoustique à partir de sa guitare. Le résultat est beaucoup plus percussif et funky, parfois même dansant. L’originalité du set proposé lors de ce live est d’alterner morceaux de son dernier album et réorchestration de ses anciens titres.
La moitié des compositions proposées par le duo est tirée du dernier album de Boogaerts, I Love You. On sent le côté beaucoup plus groovy qui marque ce virage musical. Le duo se régale sur ces titres très rythmés, comme l’excellent All I Wanna Do et son pont final, ou le très jazzy Come To Me. Mathieu nous envoie même de grosses basses de dub sur Do You Feel Ok.
On retrouve aussi la douceur de ses premiers albums, avec le côté lunaire qui marquait alors l’univers de Mathieu (Attention sur l’opus J’en ai marre d’être deux), notamment sur les quelques morceaux où il joue seul (Las Vegas sur 2000, Dommage sur Michel).
Mais ce qui est particulièrement surprenant et réjouissant, c’est de voir ce que le duo a pu faire de quelques anciens titres, complètement réinventés pour cette formation inédite. Le Ciment (2000) était un reggae tout en douceur, comme on peut le voir sur la captation live Mathieu Boogaerts en concert « solo ». Le morceau devient beaucoup plus rythmé avec un jeu de basse funky à souhait pour un titre qu’on redécouvre avec bonheur.
Et on sent que Mathieu et Zaf en ont pas mal sous le coude, car ils se permettent de choisir le mode de réorchestration, comme sur Bel et Bien là : très doux sur la captation live, et joué à l’Ubu de manière « heavy » comme le dit Mathieu, dans une débauche d’énergie très rock.
On peut aussi noter que Zaf Zapha ne se contente pas d’être le bassiste de Boogaerts. C’est un duo à part entière qui s’est présenté ce mercredi soir, avec une véritable complicité. Les deux musiciens jouent ensemble, s’amusent de leurs improvisations respectives. Ils se taquinent aussi, taquinent le public dans un jeu de duettistes qu’on sent particulièrement rodé. Mais ce qui est le plus saisissant, c’est la synchronisation musicale du duo, entre douceur et moments plus rythmés. Ils jouent sur le difficile exercice de ruptures de rythmes sans jamais se rater. Et les chœurs de Zaf sont toujours présents au bon moment, au service des compositions de Mathieu.
Et puis le talent de Boogaerts est de réussir à vous mettre à l’aise, à vous parler, de manière drôle et touchante, sans jamais en faire trop. Il fait participer le public sur quelques chœurs, notamment sur Jambe, et on sent qu’il y a de nombreux fans qui prennent plaisir à participer. Avec une fin de concert tout aussi originale quand les deux musiciens sortent de scène en continuant à jouer en coulisses.
On avait déjà trouvé que le virage musical de Mathieu Boogaerts était réussi sur album, la prestation live est aussi particulièrement jouissive. Au détour d’un petit aparté, on a cru comprendre qu’il composait à nouveau. On a hâte de découvrir le résultat d’un éventuel prochain album, mais surtout de revoir en concert cet artiste généreux et attachant, si possible dans un cadre aussi intime que l’Ubu.
Photos : Solène
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