(Vrai) boulot oblige, on aura mis du temps à finir ce compte-rendu qu’on n’avait même pas prévu d’écrire, mais comme le dit l’adage, mieux vaut tard que jamais. Dont acte.
Entre deux concerts sur la dernière tournée de Shannon Wright, on s’éclipse un soir jusqu’au Stereolux à Nantes pour aller y écouter ses frères d’âmes et proches amis de Low (Shannon passe leur dernier album tous les soirs dans la salle avant de monter sur scène). Sûrement aussi fans des musiciens que l’est l’Américaine, on ne manquerait pour rien au monde la venue du trio de Duluth par ici, et au vu de la tripotée de Bretons qu’on retrouve dans la grande salle, on est loin d’être les seuls. Stereolux, salle maxi. Concert assis. Tant pis. Ou finalement tant mieux tant l’immersion a été intense. Compte-rendu.
Exit les frottements électroniques telluriques de Quorum, le morceau qui ouvre l’époustouflant et séminal Double Negative, dernier album en date du trio de Duluth. Les crépitements sourds et profonds ont disparu et pourtant ce premier titre râpe à gros grains. En version guitare, basse, batterie, le morceau ne perd rien en puissance et les coups de boutoir de Mimi Parker accompagnant les riffs tranchants d’Alan Sparhawk sur une coda déjà hypnotique raclent tout autant l’âme, porté par la voix de Mimi tellement sublime en contrepoint.
La scène est plutôt sombre, laissant les trois musiciens dans une ombre aussi hypnotique que protectrice. Derrière eux, un triptyque de trois panneaux lumineux, simple mais captivant, par contraste avec ses rayonnements incandescents plonge encore davantage le trio dans l’obscurité. Comme des stores baissés qui filtrent la lumière, la découpent mais aussi la dévoilent, les panneaux laissent voir des images mouvantes, la flamme dansante et fragile d’une bougie, un œil ouvert, des paysages morcelés, un trajet dans une ville les yeux au ciel… Offrant fréquemment de superbes contrepoints visuels à la musique du trio.
Always up (Double Negative) suit avec son premier numéro de voltige vocale, la voix d’Alan Sparhawk montant sur l’écho grave de celle de Mimi Parker : I believe I believe, répète Mimi sur un doux tapis de guitare qui résonne quasi comme un banjo, ancré par la basse mailloche qu’elle tient à la main. Un balai dans l’autre, Mimi martèle, annonçant un premier emballement qui affole les cœurs. Et s’achève dans une première déflagration d’applaudissements.
Les arrangements volontairement épurés de No comprende (Ones and sixes) fascinent encore davantage une salle soudainement silencieuse. Accords scandés au ralenti sur la six cordes, appuyés par la basse ici minimaliste de Steve Garrington, catapultés au sommet par la voix profonde et chaude d’Alan Sparhawk : le morceau se déploie, prenant le temps des nuances et de l’émotion qui sourd. La silhouette de Mimi Parker se détache sur la flamme d’une bougie à la fois puissante et fragile, donnant malicieusement à la musicienne réservée l’aura qu’elle incarne. Alors les voix d’Alan et Mimi se répondent, s’enchevêtrent, dans la magnifique et lente construction de cette cathédrale vocale où les contrepoints mélodiques chavirent profondément les cœurs. Dans la salle, le timbre de Mimi se découvre encore davantage, clouant les cœurs et les âmes tout ensemble avant que la guitare ne s’épaississe d’une distorsion poisseuse collant à une batterie encore plus minimale. La flamme disparaît : ne reste que le rouge flamboyant de braises qui couvent et brûlent. Les lumières deviennent incendie, consumées par les lentes déflagrations de la guitare et de la basse, décochées à pleine puissance. Quand il n’en persiste que de noires et sombres cendres, une flamme ressurgit alors, espoir vacillant, entretenu et nourri par la voix désormais aérienne et bouleversante de Mimi. Sur la toute fin du titre émergeant des décombres de quelques accords rêches qui retentissent, sourds, ne demeure que la voix de Mimi. Silence total dans la salle. Juste avant qu’un nouvel ouragan d’applaudissements et de cris ne vienne ranimer les braises.
L’obscurité s’illumine alors de lumières dansantes, lucioles virevoltant dans le bleu nuit, étoiles scintillantes qui accompagnent les accords à la guitare sèche de Plastic Cup (The Invisible Way). Les voix d’Alan et Mimi harmonisent, réconfortantes et apaisantes tandis que l’aube point de frais et blêmes éclats sur un pont où les arpèges d’Alan accompagnent les notes aériennes et enveloppantes chantées par Mimi Parker. L’instant suspendu se prolonge magnifiquement avec Holy ghost (The invisible way) où le chant lead est assuré par Mimi et dont la voix devenue encore plus profonde saisit au cœur. L’imparable What part of me (Ones and sixes) passant de lumières chaudes d’un violet rougeoyant à de flamboyants orangés culmine en merveilleux sommets mélodiques découpés par les harmonies souvent à la tierce de la deuxième voix assurée cette fois-ci par Mimi Parker. Sans ne rien calmer des tempêtes d’applaudissements qui l’achève.
Des échos profonds surgissent alors de boucles mystérieuses pour accompagner le très vieux Do you know how to waltz (The curtain hist the cast). Un effet delay transforme les cordes grattées à la guitare, à la basse, en nappes profondes, magmatiques. Derrière les silhouettes du trio, sur les panneauxs lumineux, le temps devient fou et les temporalités entrent en collision : un corps se meut au ralenti tandis que les aiguilles d’une horloge foncent à tombeau ouvert. Low se joue du temps, ralentit, accélère, étire ses montées et part pour une quinzaine de minutes aussi ébouriffantes qu’époustouflantes, emmène la salle de ralentissements en montées, d’explosions toujours différées en accalmies à pleurer avant un final sensationnel tout en stridences, hyper bruitiste, où la lumière crépite comme au centre d’un orage de brumes électriques. Low sait tout faire : des pop songs irrésistibles, des ballades imparables ou flirter avec la noise la plus rêche et hypnotique. L’encore plus ancien Lazy (I could live in hope), orage qui couve, avant que les premières grosses gouttes s’écrasent sur le sol, directement enchaîné confirme encore la maîtrise du trio, qui dépose les âmes sur une implacable et bouleversante répétition.
L’immense Dancing and blood (Double Negative) arrive alors dans des rouges profonds : sur une rythmique raclée à l’os, telle des battements cardiaques, la voix de Mimi Parker, quasi a capella, passe de graves désarmants en amples notes aériennes. S’ensuit un tour de passe-passe funambule où Mimi comme Alan assurent tour à tour voix lead et harmonies, les voix aigües comme les graves, tourbillon vocal de haute voltige qui liquéfie les cœurs encore davantage. Alan remercie chacun de s’être déplacé pour le concert, souligne la chance qu’ils ont de pouvoir tourner et de vivre « this strange and beautiful thing » avant d’enchaîner sur Always trying to work it out (toujours sur Double Negative) sur laquelle les nuances du timbre de sa voix trouvent un réel espace pour se déployer : rythmique minimaliste, basse enveloppante ou quelques notes, parfois tordues et distordues à la guitare. Less is more.
Le lancinant et répétitif Poor sucker (Double Negative) démontre encore à quel point les deux voix du couple se complètent mais aussi se révèlent par la présence de l’autre : Alan Sparhawk dans les aigus, Mimi Parker dans les graves enveloppants et les deux qui se magnifient plutôt qu’ils ne s’étouffent. Avant d’encore enfoncer le clou avec l’indispensable Nothing but heart (C’mon) qui débute par une guitare qui décape profond, toute en distorsion, lourde, quasi menaçante, avant de basculer sans prévenir sur une version dépouillée, d’abord sur quelques notes de guitare claire et la voix d’Alan, puis quelques touches de basse et une charley toute en discrétion. Sur les répétitions d’I’m nothing but heart, la salle prend cher à l’arrivée de la voix de Mimi Parker d’une beauté à couper le souffle. Le couple prêche en écho, harmonise, I’m nothing but heart. La répétition s’amplifie, gagne en puissance, mais joue sur la retenue, sur l’explosion que la foule attend, désormais suspendue à chaque harmonie. L’instrumentation s’épaissit, l’explosion gonfle en un grondement sourd, long, profond, qui grimpe et dévale les gradins, illuminant la scène d’un déluge de lumières colorées, le public, happé, attend le moment où la voix de Mimi part sur un virage mélodique à tomber, mais c’est sans compter sur la guitare qui se met soudainement à cracher sa disto et enfouit encore davantage la répétition dans un orage électrique vertigineux. Tout s’entremêle, le public ne sait plus où donner de l’oreille, où commencent les palpitations cardiaques, les vertiges de l’estomac. Les voix se fondent dans les nuées électriques, et s’en élèvent en même temps dans un tourbillon fou et sublime.
A peine le temps d’applaudir que le trio enchaîne avec la splendide Especially me (C’mon) sur laquelle Mimi Parker assure le chant lead et dont les harmonies d’Alan Sparhawk résonnent comme dans une église. Le violon tournoyant de l’album disparaît mais les notes de la guitare le remplacent avec la même intensité, notamment sur le final, avant un passage quasi a capella, quand une distorsion enveloppante et profonde vient en raviver le tournoiement. Et la ferveur des applaudissements.
Les accords grattés de l’essentiel et somptueux Lies (Ones and sixes), merveille mélodique addictive qui redonne foi en l’humanité toute entière, sont accompagnés d’un paisible paysage ensoleillé, d’arbres doucement agités par le vent, de nuages hauts dans le ciel, d’une route qui défile, de bleus aériens et de feuillages d’or dans des couchants tantôt dorés tantôt d’un rouge mordoré. La basse de Steve Garrington chaloupe toute en douceur, tandis que d’une voix aérienne et profonde, Alan Sparhawk interprète le morceau avec une émotion d’une justesse bouleversante. Des frissons courent dans les veines, sur les peaux. Encore ravivés par le pont aux notes hautes de Mimi Parker, diva soul qui s’ignore et fait couler tout l’or du monde dans sa voix. Applaudissements en cascades et cris amoureux concluent le morceau qui en a bouleversé plus d’un.
Ça ne s’arrange pas avec le poignant Fly (Double Negative) dont seule la rythmique cardiaque se trouve ici conservée avec quelques notes à la guitare. La voix lead de Mimi Parker tutoie les hauteurs avec une classe retenue tandis que la basse de Steve Garrington épaissit la rythmique de quelques notes rondes et profondes. Les cœurs restent en apesanteur. Disarray (Double Negative) juste après, voit également son traitement électronique en partie abandonné, mais sans que la qualité et l’impact du morceau ne perdent non plus en efficacité et en intensité : accords en ostinato à la guitare, basse sur tous les temps, les voix de Mimi Parker et Alan Sparhawk jouent de nouveau les funambules : Mimi assure les graves tandis qu’Alan est en voix de tête. Le morceau monte alors en puissance et son final punchy conclut le set, comme le dernier album, dans un dernier orage sonore lumineux. Applaudi avec tout autant d’intensité par son public, le trio américain quitte la scène dans une tempête de cris alors que les trois lettres de Low s’affichent sur le triptyque lumineux.
En rappel, le trio nous offrira le superbe Murderer qui achèvera un set immense de la plus belle des manières. D’aucuns diront que le trio de Duluth avait concocté une setlist impeccable en choisissant de jouer tous ses tubes. Ne nous y trompons pas, c’est davantage l’inverse : tous les titres que Low joue sur scène deviennent instantanément des classiques tant les Américains les incarnent et les revisitent avec une classe à tomber. Un concert immense. Au bout du compte, avec ce Double Negative Tour, moins par moins font plus et Low is more.