Dans notre petite escapade pour voir Shannon Wright en concert un peu plus loin que Rennes, on a profité d’un jour off pour filer jusqu’à l’Ancienne Belgique à Bruxelles écouter Julia Jacklin (-dans un tout autre style que Shannon, bien évidemment, il faut le préciser-), qu’on adore et qu’on n’a pas pu voir à Paris quelques jours avant. Avec ses deux albums d’une intense élégance, Dont’ let the kids win (2016) et le tout récent Crushing (février 2019), l’Australienne convie une pop folk sincère tout en subtilité. D’apparence très classique, avec des touches sixties, des accents country, la musique de Julia Jacklin se révèle progressivement terriblement addictive. On avait hâte de l’entendre en live. Bien nous en a pris.
Après une chouette première partie assurée par Olympia (une voix puissante, une belle présence, un set solo guitare électrique/voix plein de nuances et un final plutôt punchy qui finit d’emporter les suffrages) dont on attend désormais le deuxième album avec une grande curiosité et un appétit émoustillé, les rangs se resserrent encore à l’attente de Julia Jacklin et ses musicien.ne.s. Le sympathique club de l’Ancienne Belgique est complet et les quasi 400 spectateur.trice.s s’agrègent en mailles serrées autour de nous devant la scène.
On est arrivé suffisamment tôt pour ne pas seulement distinguer les nuques de nos voisin.e.s mais aussi apercevoir nos Australien.ne.s préféré.e.s entrer en scène (mention spéciale tout de même à ces grands types qui se plantent tout devant sans penser aux plus petit.e.s -qui parfois les accompagnent ! – et qui passent la soirée les bras en l’air pour filmer le concert avec leur téléphone – tenant absolument à un plan en pied pour profiter également de la jupe et des cuisses de Julia Jacklin à l’image, classe). A gauche, c’est Blain Cunneen qui assure la guitare et les chœurs. Derrière lui, tout en flegme et en cheveux Clayton Allen s’installe derrière les fûts. L’élastique Harry Fuller tient la basse en fond de scène tandis que Georgia Mulligan s’assoit derrière les claviers (avant de prendre elle aussi en main guitare et chœurs) et que Julia Jacklin, telecaster à l’épaule, se glisse derrière son micro.
C’est avec Body, le morceau qu’on a écouté pendant des jours entiers et qui ouvre Crushing, que le set débute. La voix de Julia Jacklin est un poil plus grave qu’à l’accoutumée, mais déjà complètement prenante. Avec son faux rythme, lancinant et flottant, appuyé sur les deuxièmes et quatrièmes temps mais plutôt au fond du temps, le morceau s’étire sur un groove subtil, léger mais terriblement hypnotique.
On quitte subrepticement la Belgique. Dans les lumières des gyrophares le tarmac de Sydney fond sous une chaleur étouffante et la lenteur qui l’accompagne nous arrête. I’m gonna leave you, I’m not a good woman when you’re around chante Julia Jacklin sur des accords doucement plaqués au clavier par Georgia Mulligan, à peine rehaussés de guitares tout aussi délicates. On entre en combustion lente sur ce downtempo addictif. Remember the early days, when you took my camera, Turn to me, 23, naked on your bed, looking straight at you Do you still have that photograph ? Would you use it to hurt me ? poursuit Julia devant un public déjà tout ouïe, et nous passablement ému.e.s. La basse, juste parfaite de classe nous enveloppe encore davantage. Well i guess, it’s just my life and it’s just my body. Pffft, se dit-on, si ça commence comme ça, on va prendre cher. Tout est parfaitement en place, roule, coule, et même si on soupçonne une gorge douloureuse, la voix de Julia est à peine plus grave et on a déjà plongé profond.
La doublette particulièrement sixties Eastwick (ep 2017)/ Leadlight (Dont’ Let the kids win, 2016) enchaîne. Julia Jacklin y funambule parfois quasi a capella, parfois accompagnée (merveilleusement) par Georgia Mulligan et Blain Cunneen, à peine en retrait. On y navigue d’arrangements discrets mais toujours justes à des guitares plus épaissies (légère disto) et un duo basse-batterie solidement ancré, avant de chalouper dangereusement, le tout avec une élégance folle. Les mélodies sont imparables. La voix de Julia superbe.
L’Australienne a beau souffrir d’une extinction de voix (« je ne peux pas parler, mais je peux chanter » s’excuse-t-elle dans un sourire, alternant boisson chaude et whisky – piqué à son guitariste et qui doit juste empirer les choses, avoue-t-elle-) et cacher ses quintes de toux en se tournant vers son batteur, les années de technique vocale (elle a pris des cours de chant classique dès 11 ans) sont un solide bagage sur lequel s’appuyer et elle nous stupéfie par sa maîtrise vocale. On ose à peine imaginer quand elle est en forme ! Pas d’esbrouffe là-dedans, Julia Jacklin chante avec la même classe que ses arrangements sobres mais tirés à quatre épingles accompagnent ses morceaux. Une émotion palpable déchire chaque note dans sa voix et nous serre la gorge, comme sur le refrain du si Beth Ortonien Motherland (Dont’ Let the kids win). Julia Jacklin a beau batailler contre sa gorge douloureuse, elle atteint vocalement des instants de grâce et Don’t know how to keep loving you (Crushing) est à tomber.
Tout aussi à l’aise sur la soul délicate de Good Guy, qui prend le temps du balancement subtil, Julia Jacklin pose ensuite sa telecaster et fait signe au groupe qu’elle se sent assez à l’aise pour tenter un When the family flies in (morceau qui lui tient particulièrement à cœur, évoquant la disparition d’un proche) à trois avec Georgia Mulligan aux chœurs et Harry Fuller passé aux claviers. Elle a beau s’excuser de sa voix croaky, le public belge est emballé. Et nous avec. On chante les paroles de Don’t let the kids win qui suit, quasi du début à la fin Don’t let your grandmother die while you are away… Don’t let the time go by without sitting your mother down and asking what life was like for her before you came to be around and tell her it’s okay if she puts herself first, us kids will be alright if we’re not the centre of her universe sur une version dépouillée parfaite de bout en bout.
Le plus direct et sautillant You were right, dont les montées successives se révèlent encore plus irrésistibles en live, suit : le quintet déroule avec une classe infinie et le dégingandé Clayton Allen y glisse mille petites trouvailles rythmiques particulièrement enthousiasmantes à coups de baguettes facétieuses pour qui y prête attention. Et la salle ne cache pas son enthousiasme. Alors oui, on connaît vraiment les morceaux par cœur, et ce que d’aucuns prennent pour un final, est pour nous le pont de Turn me down. Sur disque, il nous cueille à chaque écoute et on a du mal à ne pas se liquéfier. En live, ça n’arrange en rien nos yeux humides. C’est même pire. Julia Jacklin a eu beau prévenir qu’elle n’était pas sûre de passer les notes, déjà périlleuses en temps normal, elle les survole avec une telle justesse et une telle émotion qu’on s’y dissout immédiatement.
Avant de repartir à toute bringue sur la triplette infernale et irrésistible finale. Autrement dit le canon d’excellence du slow sixties, Pool Party, qui voit la salle belge toute entière dodeliner et chalouper à qui mieux mieux. Et ce, bien que Julia Jacklin ne puisse achever le morceau vocalement, terrassée par une quinte de toux et aussitôt superbement secondée par Georgia Mulligan qui reprend le lead sur quelques mesures avant un final instrumental tout en simplicité aux guitares lumineuses et éclatantes.
Le groupe enchaîne sur un autre de nos morceaux fétiches, Head Alone qu’on reprend immédiatement à tue-tête, i don’t want to be touched all the time, i raised my body up to be mine (spéciale dédicace à notre ami au téléphone), véritable bombinette pyromane qui embrase doucement l’Ancienne Belgique avant un final étincelant. Pressure to party tout aussi envolée, et tout aussi convaincante, dont on ne sait comment Julia arrive à suivre le débit de paroles avec sa gorge douloureuse et son nez pris, achève le set et la salle de la plus belle des manières et quand Julia finit, la tête jetée en arrière, sur quelques notes inédites, on est définitivement ému.
On comprend aisément que malgré les applaudissements chaleureux, Julia Jacklin ne revienne pas pour un rappel (on l’aurait d’ailleurs manu militari ramenée dans sa loge avec écharpe et médicaments appropriés si elle s’y était risqué, d’autant que les dates de cette tournée marathon s’enchaînent jour après jour et que dès le lendemain, c’est à Amsterdam que le groupe se produit). On a de toute façon d’ores et déjà pris une belle dose d’élégance et d’émotion sincère. Avec sa folk racée, nappée de touches sixties, qui semble à première écoute, juste terriblement classique, mais se révèle (pour nous) aussi addictive que subtile, l’Australienne et ses comparses touchent au cœur. Alors sûrement pas le meilleur concert de la tournée de Julia Jacklin, du moins pas celui que l’Australienne aura vécu le plus agréablement, mais pourtant une super date, qui donne envie de la ré-entendre et de la voir à nouveau. Et qui nous aura indéniablement touché.e.s.
Prochains concerts en France :
- le 5 juillet 2019 au Pointu Festival (Six-Fours)
- le 7 juillet 2019 aux Eurockéennes (Belfort)
- le 22 août 2019 au festival Check in Party (Guéret)