CHRONIQUE
Faîtes le test vous-mêmes si vous le voulez mais lorsque l’on évoque le mot « grunge« , on s’aperçoit qu’il est généralement associé au groupe Nirvana. C’est un peu normal en même temps, il n’y a qu’à voir les nombreuses biographies consacrées au « trio qui sentait bon le déodorant féminin » vues à travers le prisme de ce mouvement musical. Et pourtant, avec plus de 60 millions d’albums vendus dans le monde, Pearl Jam fut aussi (et on l’oublie trop souvent) l’un des groupes phares et emblématiques du grunge et de la scène rock alternative de Seattle.
« Officialisé aujourd’hui comme le plus gros vendeur de disques rock des années 90 », Pearl Jam mériterait donc d’avoir une bibliographie plus conséquente. C’est sans doute l’une des raisons qui a poussé Cyril Jégou à prendre son courage à deux mains ou plutôt entre un clavier et un crayon pour tenter de réparer cette grossière injustice : « Il n’y a jusqu’à présent absolument rien d’écrit sur eux, juste un livre qui est sorti il y a peu sur leurs 20 ans. », confirme-t-il. « Pearl Jam : Pulsions vitales», paru aux éditions du « Camion blanc », permet donc de (re)découvrir l’ histoire de ce groupe hors norme, emmené par son leader charismatique tant par sa voix que par la fougue de ses prestations scéniques, Eddie Vedder.
Une des forces du livre tient au fait que son auteur est aussi musicien (entre autre, car il dessine aussi… multitâche le garçon!) et que forcement, la musique, ça le connaît ! Cyril Jégou est un spécialiste et cela se sent tout au long de la lecture : « Pearl Jam : Pulsions vitales» est hyper documenté, maîtrisé et se lit d’une traite tant on est happé par cette formidable aventure humaine et musicale. De nombreuses informations souvent inconnues (vous le saviez vous que le batteur de RATM Brad Wilk a joué avec Eddie Vedder dans « Indian Style »…??), des chansons de P.J. expliquées et contextualisées, des anecdotes, une dose d’humour…bref, toutes ces raisons font de ce livre une véritable mine d’or.
De plus, à travers l’histoire du groupe, Cyril retrace avec brio la scène musicale de Seattle depuis la fin des années 80 et remets certaines idées en place. Et oui, il y a bien eu une vie avant et après Nirvana : du punk au label Sub Pop, des majors mal intentionnées aux cures de désintox, de l’explosion du grunge qui déferlera sur le monde, aidé par un « certain matraquage » des bulldozers médiatiques comme MTV, Vogue ou le Time, entrainant bon nombres de groupes vers la célébrité (Alice in Chains, Soundgarden, Mudhoney…) mais aussi à leurs pertes. « Pearl Jam : Pulsions vitales» n’est pas qu’une simple biographie comme tant d’autres mais un joli ouvrage de référence sur le « Seattle Sound », un livre passionnant écrit par un passionné, à mettre entre toutes les mains.
« Le grunge est mort, vive le grunge ! »
INTERVIEW
► Alter1fo : Salut Cyril, peux-tu déjà commencer par te présenter ?
Cyril : Alors, je ne suis pas du coin, je suis 100% paimpolais. J’ai fais des études d’art plastique que j’ai arrêtées. J’ai donc fait quelques petits boulots alimentaires et bizarrement, je m’en suis vite lassé (rires). Du coup, je me suis remis à dessiner en « auto prod » et dans des fanzines, et en parallèle à l’écriture. J’ai pondu un polar il y a quelques années « Rennes kangourou box ». Dernièrement, je me suis lancé dans un roman pour enfant/ado mais je suis resté bloqué sur la fin, un peu comme si tu avais une crampe. L’histoire avait tellement été changée…modifiée que je me sentais coincé pour trouver la fin. Du coup, j’ai fait une pause et là est arrivé « Pearl Jam » !
► Du coup, « Pearl Jam: Pulsions vitales » est ta deuxième parution ?
Oui, enfin non, c’est le troisième exactement car il y a déjà eu un premier bouquin sorti en « auto-prod » sur Pearl Jam. Il est sorti en aout 2011 et s’intitule « Pearl jam au pays du grunge ». En fait, ce premier bouquin ne parlait que des premières années du groupe et a finalement entrainé le deuxième puisque l’éditeur « Camion Blanc » m’a contacté suite à ce premier livre pour faire la suite. Par contre, ils m’ont demandé de faire quelque chose de plus long et de plus étoffé. Pour le clin d’œil, « Pearl jam au pays du grunge » est devenu le titre d’un chapitre dans ce nouveau livre.
► Ça a du te faire plaisir de bosser avec eux : les éditions du « Camion Blanc » sont une sacré référence dans l’édition Rock, d’ailleurs ils s’aiment se décrire eux-mêmes comme étant « un éditeur qui véhicule le rock »… ?
Oui, j’ai connu pour la première fois cette édition grâce à des copains qui m’ont filé des bouquins d’eux sur « les Cure » et sur le mouvement punk, de mémoire. Malgré le fait que cet éditeur n’est peut-être pas aussi connu que cela, il reste l’éditeur rock effectivement. Leur catalogue est tellement riche que c’est un peu « culte» pour moi d’être chez eux.
► Pourquoi se lancer dans l’écriture d’une telle biographie, aucune n’existait déjà ? Sentais tu un « vide » de ce côté ?
Le problème, c’est qu’à la même époque que Pearl Jam, il y a eu Nirvana et beaucoup de biographies sont sorties sur eux, en occultant un peu Pearl Jam. Dans ce genre de bouquins, on ne parlait qu’un petit peu des autres groupes de la scène de Seattle, souvent relayés dans un seul chapitre, en fin de livre, avec parfois des infos erronées. Le seul bouquin que j’ai pu trouver sur P.J. est un livre, sorti en 98 pour les fans mais qui était mal traduit donc bon…sinon il y a bien eu des livres aux États-Unis dans les années 96 ou 98 mais après, plus rien… Du coup je me suis lancé dans cette aventure car j’avais certaines idées et certains trucs à défendre ! Il n’y a pas que Cobain (rires…)
► Et toi, comment es-tu devenu « accroc » au groupe Pearl Jam, quels sont tes premiers souvenirs avec eux ?
Alors, je me rappelle avoir vu une publicité du groupe dans un magazine et ne pas avoir accroché, mais alors pas du tout, sur celle-ci car elle utilisait une de ces formules un peu ridicule et « bateau » du genre « le renouveau du rock ». Cela ne me donnait juste pas envie d’aller écouter…Par contre, j’ai dû garder malgré moi dans un coin de ma tête la photo de la pochette de l’album qui représentait la gueule du mouton.
Et puis, un jour en me baladant, je suis tombé de nouveau sur le CD avec ce mouton. Je ne savais pas où je l’avais déjà vu, mais ça m’intriguait car il n’y avait rien, pas de nom de groupe ni de titre d’album. Cela m’a donné envie de l’écouter pour voir ce que c’était…comme quoi la pub malgré tout n’était peut-être pas si mauvaise que ça…Et c’est de là que tout est parti !
Je ne savais rien de ce groupe, ni de la mouvance grunge. J’habitais à l’époque dans une petite vallée et on ne recevait pas les chaines qui passaient des clips. Je connaissais un peu Nirvana parce qu’on en parlait au lycée, tout le monde faisait un peu « chier avec ça », limite ça gavait un peu (rires)
► Le titre du livre est assez original. On parle souvent de « pulsions » de manière péjorative, comme des pulsions morbides. D’où est venu l’idée de ce titre et était-il déjà présent avant de commencer le bouquin ?
Au départ, il n’y avait pas de titre « anticipé ». Souvent, l’éditeur « Camion Blanc » aime bien avoir juste le nom du groupe en titre mais il y avait quelques bouquins qui existaient déjà, cela n’aurait été pas top pour le référencement du livre.
Il y a quelques années, j’avais feuilleté un ouvrage de photos couleurs sur pas mal de groupes rock. Il y en avait une de Pearl Jam… L’auteur reprenait une citation probable d’Eddie Vedder pendant un concert où il disait « on pense de moi que j’ai des pulsions suicidaires mais c’est faux, je n’ai que des pulsions vitales ». J’ai beaucoup aimé cette phrase et j’en ai fait rapidement le titre du livre. Il ne faut pas que ce soit trop cérébral les titres (rires…). D’ailleurs, je n’ai jamais pu retrouver cette citation autre part, c’est pour cela qu’elle ne figure pas à l’intérieur du livre.
►Ton livre est intéressant également parce qu’il retrace l’histoire musicale de Seattle depuis les années 90. Tu dévoiles énormément d’infos… Qui m’ont beaucoup surprises d’ailleurs : comme apprendre que le batteur de RATM a joué avec Eddie Vedder ou savoir que Duff Mckagan, qui a fini dans un groupe de Hard rock tendance « FM et Boxer », était un vrai punk au départ… Comment as-tu travaillé pour avoir toutes ces d’infos et combien de temps as-tu mis ?
Le premier livre sur PJ a pris du temps parce que déjà, je suis lent à écrire (rires..) et qu’il fallait que je trouve une manière de bosser car avant, j’écrivais du roman et cela n’a rien à voir. Bizarrement, j’ai pris autant de temps sur le premier bouquin de PJ que sur le deuxième alors que le premier fait 130 pages et le deuxièmes 450. Finalement, je me rends compte qu’à la fin du 1er, j’avais acquis une bonne méthode de travail.
En gros, je rassemble tout ce que je sais, je vérifie mes infos, et je pars à la recherche de ce que je ne sais pas et je les contre vérifie. Mes sources sont issues de pas mal de magazines papier mais, j’ai dû vite me plonger dans internet. Je me suis aperçu qu’il n’y avait pas beaucoup d’infos sur le groupe sur des sites français. J’ai dû appréhender pas mal de sites anglos-saxons même si je ne suis pas super à l’aise avec l’anglais. Après de fil en aiguille, on trouve des liens, on arrive à tomber sur de vieux sites mais il n’empêche que les sources sont toujours très dures à trouver car le net, c’est un peu l’autoroute et il y a pas mal de sites à éviter.
► Ton livre reflète bien le microcosme de Seattle où les musiciens se côtoyaient tout le temps : ils jouaient dans les mêmes groupes, cohabitaient ensemble, montaient des projets parallèles… à moindre échelle, cela m’a fait penser « un peu à Rennes finalement ?! »
Oui. Un copain me disait ça aussi, mais par rapport à Saint Brieuc. Je crois que dans toutes les villes et dans des concentrations urbaines, c’est toujours un peu ce même schéma, ce même délire qui perdure. A Seattle, il y avait en plus l’isolement, la ville étant vraiment perdue à la frontière du Canada et les années Reagan qui ont dû influencer. Avec les médias là-bas, tout était multipliés par dix. Sans les grosses majors et MTV, la scène de Seattle n’aurait peut-être pas décollé comme cela s’est passé. En caricaturant, c’est finalement grâce aux grosses machines capitalistes « de droite » que la scène punk dite « de gauche, associative et communautaire » a pu trouver son avènement de manière aussi importante.
► L’originalité du bouquin vient aussi de cette mini BD à la fin du livre. Pourquoi as-tu voulu avoir ce « côté » un peu décalé ?
Cette petite BD rappelle un peu cette « contre-culture » du grunge, avec les comics et aussi Peter Bagge, qui est « le » dessinateur de Seattle. Il a dessiné « En route pour Seattle ». Et puis, c’est un clin d’œil à mon premier bouquin, car à cette époque, je l’avais fait en « auto-prod » et pour l’illustrer, comme je n’avais pas de thune, je n’avais pas d’autres choix que de faire mes propres dessins. Et puis, cela n’a jamais été fait auparavant.
► Est-ce un hasard mais Pearl Jam vient juste de sortir leur dixième album « Lightning Bolt« , un peu avant la sortie de ton livre ?
Oui, c’est un bon timing, mais normalement le bouquin aurait dû sortir l’année dernière comme prévu initialement. Au départ, je n’avais pas envie de faire toute la biographie complète, et puis au fil du temps, entre mes échanges avec « Camion blanc » et le fait d’ajouter des chapitres au fur et à mesure, tout cela m’a amené à changer d’avis et de me dire qu’il fallait tout faire.
C’est aussi bien que cela ait pris un peu de retard car, sur la même période, Pearl Jam a sorti un album et un bouquin sur leur carrière avec un reportage… Ca fait toujours bizarre de voir le truc sortir en pleine écriture de ton propre bouquin mais ce n’était pas sur le même ton et cela m’a permis de vérifier deux, trois trucs, aussi (rires…). Tout ça mis bout à bout, c’est bien que finalement mon livre ne sorte que maintenant ! Le sortir avant aurait laissé un coup de « trop peu ou de pas assez ». Là, j’ai même réussi à écrire quelques lignes un peu « borderline » sur ce nouvel album grâce aux fans club et à tous les contacts autour de PJ.
► Et toi, que penses-tu de ce dixième album ?
Je le trouve plus intéressant que le dernier, qui était trop pop. Là, il y a quelques petites surprises, j’en suis assez satisfait. « Ils sortent de leur zone de confort » comme dirait rock n’ folk et c’est ça qui fait les meilleurs albums. Inconsciemment, peut être qu’ils produisent des morceaux plus voués à la scène afin d’avoir une vraie interaction et un dialogue avec le public.
► En parlant de public et de fans… Toutes les illustrations photographiques du bouquin sont des photos de fans, c’est bien ça ?
Oui, il existe une plateforme francophone sur lesquels les fans de PJ, de Suisse, de Belgique ou de France, échangent leurs infos. J’ai demandé une fois à un mec qui avait acheté mon premier bouquin s’il avait des photos, et il a posté mon annonce sur ce forum et j’ai pu recevoir des photos sans aucune contrepartie, ce qui est cool. J’ai donc reçu pas mal de photos, mais par contre très peu étaient exploitables : si tu n’es pas équipé ou un minimum photographe amateur, en concert, il est toujours très dur d’avoir de jolis résultats. Mais bon, on s’en est finalement bien sorti et il y a de très bonnes photos dans le livre. Quand je les ai insérées dans la maquette, j’avais juste l’impression d’avoir, enfin, fait un vrai livre rock…pas avant.
► Actuellement, tu gères plus la comm’ autour de la sortie de ton livre ou tu penses déjà à un futur projet ?
L’avantage des éditions du « Camion blanc », c’est qu’ils travaillent sur beaucoup de projets en même temps. Par contre du coup, ils n’ont plus trop de temps pour s’occuper de communiquer sur leurs travaux. Ils le font principalement via leur propre réseau et liste de diffusion. Donc, moi j’essaye de faire un peu de comm’ de manière perso, j’essaye de contacter des sites, et d’avoir des chroniques sur le livre. Je fais donc de la promo actuellement.
► Te tiens tu toujours au courant des autres groupes cités dans le livre ?
Non, j’ai un peu perdu de vu le truc, même si j’ai appris récemment que des membres de Sleater Kinney ont refait un nouveau groupe…
► Tu expliques d’ailleurs qu’Eddie Vedder est un grand fan de ce groupe…
…Oui, il s’est pointé un jour à la fin d’un de leur concert en leur disant tout simplement « c’est un des plus beaux concerts que j’ai vu ». Du coup, ça a bien accroché entre les filles et lui vu qu’Eddie est aussi engagé sur le droit à l’avortement, l’égalité homme femme etc…
► Et dernièrement, as-tu eu récemment un coup de cœur musical?
J’ai redécouvert Amon Tobin mais le dernier truc que j’ai écouté c’est « Central Massif », un groupe rennais dans le style rock noise avec une voix féminine un peu déjantée. Ce groupe dégage une vrai personnalité.
► Un dernier mot pour donner envie à se plonger dans ton livre ?
Je dirais déjà d’écouter quelques albums de Pearl Jam. Peut-être commencer par VS, ou Vitalogy, et si on accroche à cette voix superbe d’Eddie Vedder et à la musique de PJ qui te procure pas mal d’émotions, alors on est prêt pour commencer le bouquin et comprendre l’histoire de ce grand groupe.
► Merci Cyril et un grand merci pour ce dessin « spécial Grunge » pour illustrer cet article !!!