Paroles de migrants, une exposition faite d’histoire et d’espoir

Management, gestion, marketing ou finance… leur formation universitaire à l’IGR (Institut de gestion de Rennes) ne les destine pas de prime abord  à se professionnaliser dans le social ou l’humanitaire. Et pourtant, Elsa et Justine, deux jeunes étudiantes pleines d’énergie ont choisi de s’investir au sein du projet « Aide et intégration »  de l’association IGR Entraides avec huit autres de leurs collègues afin d’intervenir auprès de familles migrantes vivant dans des squats à Rennes.

Après plus d’un an et demi à se côtoyer mutuellement, une exposition existe enfin comme pour figer ces moments partagés mais aussi  pour donner la parole à ceux qui ont tout perdu sauf l’espoir ultime d’une vie meilleure.

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© alter1fo.com

Elsa et Justine« La rencontre avec Armelle Bounya, présidente d’ « un toit c’est un droit » a été le point de départ du projet. Nous avons découvert les conditions précaires des familles migrantes vivant dans le  squat de l’Eglise Saint Marc à Villejean et dès lors, nous avons décidé de leur venir en aide. Initialement, le projet était principalement dédié aux enfants afin de les occuper, de les aider à apprendre le français et de les soutenir à l’école. Au fur et à mesure, les parents se sont joints à nous et le contact s’est instauré.»

Pendant plus d’un an et demi, les sorties culturelles, les activités ludo-éducatives ou encore les moments festifs (journée de retrouvaille, fête de Noël) se sont donc succédé au gré des ouvertures et des fermetures des squats. Et toujours en mode Do It Yourself et système D, l’association n’ayant aucune subventionLes élèves ont ainsi pu tisser au fil du temps des liens de confiance et certains migrants se sont livrés à cœur ouvert. Ouvert… tout comme leurs blessures à peine cicatrisées. Quitter son pays est toujours un déchirement, une évidence à rappeler sans cesse.

Ces témoignages racontent les raisons de leurs exils forcés et les épreuves endurées pour venir se réfugier en France : perte de leurs biens, éclatement de la cellule familiale, arrêt de la vie sociale. Des histoires humaines trop souvent oubliées par les médias, cachées derrière des statistiques ou autres clichés préconçus renforçant cette « peur de l’étranger ».

Elsa et Justine : « Beaucoup sont partis à cause de régimes souvent corrompus et violents. D’autres n’appartenaient pas à la bonne communauté religieuse ou avaient des opinions politiques divergentes. Ils n’ont jamais demandé à venir en France car ils avaient tous une bonne situation autrefois mais rester dans leur pays, c’était prendre le risque de mettre leur vie en jeu. Leurs témoignages et leurs histoires étaient poignants à écouter : cela change de ce que l’on peut lire généralement dans la presse ou entendre à la télé. »

Les élèves ont pu également découvrir de l’intérieur le véritable marathon administratif, parcours du combattant, long et fastidieux, que doit acquitter tout demandeur d’asile. Comme une double peine, finalement, au résultat parfois digne d’une loterie géante comme le dénonçait à l’époque Clémence Armand (ancienne de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides)

Elsa et Justine : « Le côté administratif est décourageant pour ces personnes. A un moment donné, une personne baissait les bras et nous lui avons redonné un peu de courage en plaisantant avec elle en lui disant d’«aller faire ses devoirs». Il fallait parfois les rebooster. Mais nous étions là aussi quand certains découvraient une réponse favorable à leur demande de régularisation. Ce sont des moments pleins d’émotions. »

Malgré quelques petites victoires, la situation reste de plus en plus préoccupante à Rennes comme partout ailleurs :

  • La France est confrontée à une crise de l’hébergement pour les demandeurs d’asile. Actuellement, seulement un tiers des personnes qui demandent l’asile en France sont logées dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA)
  • Plus de 50% des demandes d’hébergement au 115 en Ille et Vilaine sont insatisfaites (Bilan 2013 de l’hébergement d’urgence du département d’Ille et Vilaine)
  • Ensemble! 35 dénonce la menace pesant sur le dispositif Coorus d’aide à l’hébergement d’urgence à cause du désengagement de l’Etat (socialiste, rappelons-le); constat plus sévère par l’association « un toit c’est un droit » lors de la séance du conseil municipal en décembre 2014 sur ce dispositif qui selon eux est aujourd’hui en panne puisque aucune place n’est disponible.
  • Durcissement de la politique de la préfecture d’Ille-et-Vilaine à Rennes à l’encontre des demandeurs d’asile qui selon l’association « Un Toit c’est un droit » n’hésite pas à dire que celle-ci se comporte comme une « fabrique de sans papier » [voir là]

Malgré certains efforts de la municipalité (mais malheureusement avec cette vision à court terme comme l’hébergement hôtelier inadapté et coûteux pour le contribuable), le squat reste souvent la dernière solution avant la rue pour de nombreux demandeurs d’asile.

Elsa et Justine : « Il y a des choix qui interpellent. Durant le recueil de certains témoignages, nous allions les voir alors qu’ils étaient installés à l’hôtel. Pour eux, ce n’est pas une situation adéquate : ils ne peuvent pas se préparer à manger sur place et sont parfois à une heure du centre-ville ou de l’école de leurs enfants… Ce qui est en fait terrible, c’est que ce sont des personnes qui arrivent en France avec leurs souffrances, leurs blessures physiques et psychologiques et il est difficile pour eux de gérer leur régularisation et les difficultés de logement tout en tentant de se reconstruire personnellement et tenir le choc jusqu’au bout. Au lieu de s’attaquer aux conséquences (l’arrivée de personnes migrantes en France), il vaudrait mieux s’attaquer aux causes. C’est aussi ça qu’on a cherché à soulever avec notre exposition de portraits. La communauté internationale ferme trop les yeux sur certaines réalités et ne cherche pas à voir plus loin que le bout de ses intérêts… »

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© alter1fo.com

L’exposition dresse donc le portrait d’une dizaine de personnes d’origines diverses : République Démocratique du Congo, République de Guinée, Libye, Mongolie, Géorgie ou encore Arménie, illustré à chaque fois par un photomontage. Un livre est même disponible pour en apprendre un peu plus sur l’association et ces personnes, avec des illustrations prises de manière plus spontanée.

Seule ombre au tableau, tous les élèves de l’association vont devoir quitter le navire estudiantin à la fin de l’année scolaire pour partir vers de nouvelles aventures. Charge aux nouveaux venus de faire perdurer cette belle initiative nécessaire et d’utilité publique.

Et pourquoi ne pas en faire une expo itinérante dans des lieux publics ou de passage ou même des écoles afin de sensibiliser le plus grand nombre et nous faire nous interroger sur le devenir de ces expatriés-de-force que nous croisons parfois et sans le savoir dans les rues de Rennes ?

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Merci à Elsa et Justine

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Exposition « Paroles de migrants »  (du 5 au 20 avril)

Faculté de Médecine
2 Avenue du Professeur Léon Bernard
35043 Rennes cedex

Contact igrentraides35[ @ ] gmail.com


Relire notre article sur le squat de la maison des Eclusières

https://alter1fo.com/au-bord-du-canal-saint-martin-le-squat-de-la-derniere-chance-92338

9 commentaires sur “Paroles de migrants, une exposition faite d’histoire et d’espoir

  1. Nicolas

    Elsa et Justine vont dans leur grande bonté les héberger chez elles, subviendront à leurs besoins (nourriture, frais scolaires, soins médicaux, argent de poche…). Elsa et Justine sont d’une naiveté déconcertante…

  2. politistution

    @Nicolas, la migration est une réalité incontournable, plutôt que de la nier ou de l interdire par des mesures policières (un exemple , coût annuel pour une place en rétention entre 74000 et 190000euros) , il conviendrait d en prendre acte et d essayer de l’ aménager au mieux des intérêts de tous… ce n est pas être naïf de le penser, bien au contraire

  3. Nicolas

    Etrange raisonnement que le votre. La délinquance est également une réalité incontournable. Doit on pour autant arrêter la répression? La rétention coute chère car elle est souvent trop longue. Pour votre information, le cout d’une regularisation est bien supérieure (logement social, cmu, allocations diverses…). L’accueil d’étrangers pauvres, peu qualifiés et maîtrisant peu la langue ne fait qu’accentuer la paupérisation du pays d’accueil. Toutes autres considérations ne sont que bons sentiments.

  4. Olive

    @Nicolas, le coût de l’immigration est inférieur à ce qu’elle rapporte. En 2009 par exemple, l’immigration a coûté 47,9 milliards d’euros à la France et en a rapporté 60,3 milliards. Je vous invite à faire un tour à République le mardi vers 18h, le Collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes y présente une expo démontant les clichés sur l’immigration.

  5. politistution

    Ce n’était pas mon propos : la liberté de de mouvement et de circulation correspond à un droit fondamental.
    Sur la paupérisation du pays d’accueil ou l’idée que « l’immigration ruine les finances publiques » de nombreuses recherches démontrent le contraire … facilement accessible sur le net.

  6. Nicolas

    De nombreuses recherches démontrent également que cela représente un coût. Facilement accessible sur le net.
    D’autre part, vous confondez liberté de circulation et liberté d’installation.

  7. Politistution

    Le droit de tout individu de quitter tout pays y compris le sien est un droit fondamental garanti dans la Convention européenne des droits de l’homme. Tout individu a le droit de quitter son pays pour demander l’asile ou chercher un avenir meilleur. D’autres n’ont juste pas le choix.

    Certains préfèrent le cynisme ou se désintéressent des conditions de vie de ces personnes, certains politiques exploitent cette question dans un but électoraliste. On ouvre par contre les frontières au commerce, tant que cela rapporte.

    Et d’autres -avec de bons sentiments- agissent à leur manière.

  8. Nicolas

    Vous ne pouvez pas à la fois en appeler à l’Europe pour la liberté de circulation des hommes et en même temps dénoncer la liberté de circulation des marchandises. Vous êtes incohérent. Soit vous êtes libéral, soit vous êtes anti-libéral. Il faut choisir votre camp… Liberté de circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. Tout cela est lié.
    Avant de vous préoccuper de la condition de vie d’africains ou d’asiatiques, vous devriez avant tout vous préoccuper de vos concitoyens. Là est l’avenir de vos enfants, vos amis, vos voisins.
    Il y a des milliards d’êtres humains qui vivent sous une dictature, une guerre, la pauvreté. C’est quoi votre intention? Les faire venir dans les pays occidentaux? Pourquoi pas mais à vous d’en assumer les conséquences: paupérisation, explosion des comptes sociaux, déculturation, communautarisme, extrémisme religieux, montée du FN, délinquance… Vos bons sentiments sont suicidaires.

  9. politistution

    Arrêter de croire que défendre le sort des personnes migrantes interdit de défendre le sort des plus démunis en France. Bcp de militants d’associations venant en aide aux migrants sont issus d’autres associations défendant l’hébergement d’urgence ou le mal logement par exemple donc venant en aide à toutes personnes vulnérables en France.

    Arrêter également de voir le sort des personnes migrantes uniquement par le seul prisme du pays d’accueil : avant immigration, il y a émigration. Et une explication pourrait etre celle de la répartition des richesses totalement injustes inégales et infondées, conséquence de l’ultra-libéralisme financier, de la financiarisation à tout va et de la dérégulation d’un capitalisme sauvage destructeur pour l’écosystème et écologiquement invivable à long terme… tu as du capital, tu as le droit de vivre, tu n’en as pas, tu meurs… [En apparté, heureusement que de telles associations existent qui prennent -elles- leur responsabilité face aux conséquences désastreuses de ce système actuel permettant à 80 « ultra-riches » de detenir la richesse de la moitié de la population mondiale]

    Système actuel que bcp aimerait défendre à grand coups de frontières et mesures coercitives et pourtant comme dirait aimé cesaire « une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole ».
    Quid de qui est le plus suicidaire ?

    Vous parliez des migrants africains et pourtant « l’ Afrique n’est pas pauvre, l’Afrique reste le continent le plus riche au monde en termes de ressources naturelles. La seule différence, c’est qu’on l’appauvri puisque ces ressources sont svt exploitées par des grandes compagnies étrangères sans vraie redistribution à l’echelle nationale… et qu’une dictature permet justement de faire perdurer…. on se rappelle facilement de la franceafrique « . Tout est lié.

    Vous parlez de paupérisation, mais si on s’attaquait avec autant de vigueur contre les cols blancs : la fraude fiscale s’élèveraient entre 60 à 80 milliards d’euros… y a de quoi reverser aux plus démunis d’entre nous, non ? Faut juste avoir la volonté plutôt que de pointer du doigt les plus faibles, ceux qui ne peuvent pas se défendre à coup de lobbying ou de pots de vins sinon grâce à l’aide de ténors du barreau .

    Bref, notre débat est ici d’une stérilité et sans fin… nos convictions sont clairement affichées et personne ne changera d’avis. En esperant que vous avez pu passer voir l’exposition, angle de l’article au départ plutot que de denigrer et d’infantiliser directement l’initiative… on apprend des choses. Bref, vu que je n’ai pas envie de jouer « à celui qui pisse le plus loin » : je vous laisserais donc le mot de la fin si vous le voulez : juste pour finir et reprendre les propos de Fatou Diome « on sera riche ensemble sinon on finira tous noyés ».

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