Au bord du canal Saint-Martin, le squat de la dernière chance.

© OuestFrance (08 Juillet 2014)

Avec les rires des enfants jouant dans la cour, le linge étendu sur quelques fils de fortunes et l’odeur de café encore chaud, la vie semble avoir repris ses droits à la maison éclusière, près du canal Saint Martin. Le lieu appartenant au Conseil Régional était inhabité depuis bientôt deux ans.

Mais derrière cette première impression plutôt bucolique se cache un univers moins rose. En effet, quatre familles migrantes en situation de demande d’asile cohabitent dans ce bâtiment. Toutes ont été contraintes de quitter précipitamment leurs pays d’origine laissant derrière elles une  partie de leur vie passée: famille, travail, souvenirs…La maison éclusière est l’ un des derniers squats ouverts par l’association hyperactive et militante « un toit c’est un droit » depuis juin 2014. La vie à l’intérieure n’y est finalement qu’en sursis : entre attente et espoir.

Pour rappel, il y a pile un an, le squat de l’Eglise Saint-Marc à Villejean était évacué. Une solution de relogement avait alors été trouvée pour beaucoup de migrants mais pour une durée limitée : jusqu’à fin mars pour les célibataires, fin juin pour les familles et puis après… rien.  « Certains migrants ne rentraient pas dans le dispositif. Mais on avait la garantie que les familles avec des enfants scolarisés seraient à l’abri jusqu’en juin », indiquait alors à l’époque Carole Bohanne, de l’association Un Toit c’est un droit.

Fin juin 2014, certaines familles se retrouvent de nouveau sans solution d’hébergement. Après l’organisation d’ un campement sauvage place de la mairie pour dénoncer leur retour à la rue, l’association « un toit c’est un droit » a ouvert le squat de la maison éclusière pour y reloger les familles les plus vulnérables, celles avec des enfants en bas âge et qui arrivent au bout de leur parcours administratif (expiration du délai pour leur demande d’asile, notamment).

Pourtant, l’association l’affirme « l’illégalité n’est pas une finalité ». Dès qu’elle en a la possibilité, des conventions avec des communes sont mises en place : exemple à Bruz où des logements vacants sont mis à sa disposition. Mais il s’agit trop souvent d’exceptions.

Issus de la République Démocratique du Congo, d’Arménie, du Kurdistan ou bien encore de Libye, ils sont donc en tout une vingtaine à cohabiter dans cette petite demeure : salle de bain et cuisine en commun, les chambres et le salon transformés en appartements.

Carole Bohanne, de l’association « Un Toit c’est un droit » : « Aujourd’hui, les familles ne subissent pour l’instant aucune mesure d’éloignement mais elles sont en bout de course… leurs demandes d’asile arrivent bientôt à échéance. Elles sont dans une phase de recours auprès de la cour nationale du droit d’Asile »

Si la situation des migrants est particulièrement tendue à Rennes, c’est que depuis 2008 et la régionalisation de l’accueil des étrangers, la ville détient la seule borne Eurodac de Bretagne qui enregistre les empreintes digitales des demandeurs d’asile. Cette borne a pour objet de contribuer à déterminer l’État membre qui est responsable de l’examen d’une demande d’Asile. Rennes est donc un passage obligé pour les migrants arrivés en Bretagne : Rennes a connu par exemple une hausse des demandes de plus de 60 % entre 2009 et 2010.  Les places en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) au nombre de 399 places réparties sur 3 sites en Ille-et-vilaine en 2013 sont vite saturées.

Une deuxième borne Eurodac serait en projet en Bretagne même si la préfecture ne nous l’a ni infirmée, ni confirmée malgré nos relances. M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur répondait d’ailleurs sur le sujet à Nathalie Apperé, le 9 octobre 2014, qu’il serait « plus efficace de mettre en place, comme cela est prévu dans le projet de loi sur l’asile, un hébergement plus directif, afin d’éviter que les demandeurs d’asile ne se concentrent dans certaines villes, comme Rennes…plutôt que de multiplier les bornes Eurodac.»

©sp35.org  Collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes –
©sp35.org Collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes 

Les conditions d’accueil des migrants à la préfecture de Rennes sont régulièrement dénoncées par les associations et les collectifs qui leur viennent en aide. Depuis quelques années, la politique de la préfecture d’Ille-et-Vilaine à Rennes s’est considérablement durcie selon l’association « Un Toit c’est un droit » qui n’hésite pas à dire que celle-ci se comporte comme une « fabrique de sans papier »

Carole Bohanne, de l’association « Un Toit c’est un droit » : « A Rennes, l’arrivée de Hollande s’est accompagnée d’un nouveau secrétaire général à la préfecture, Claude Fleutiaux (parti depuis juin 2014) qui a durci les conditions d’accueil des migrants. Aujourd’hui, il y a plus d’expulsion, moins de régularisation et la préfecture de Rennes est devenue une fabrique de sans papiers : des gens qui avaient leurs papiers en 2012, qui étaient parfaitement intégrés, qui travaillaient les ont perdus …»

© Ouest-France 27 décembre 2014

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Au 31, rue Armand-Rébillon, la vie s’organise tant bien que mal, la cohabitation fonctionne parfaitement même dans ces conditions sommaires. Les familles ont d’ailleurs connu bien pire à leur arrivée en France : la rue, les squats, les hébergements d’urgences du 115, les refus….

Carole Bohanne, de l’association « Un Toit c’est un droit » : « Dilara(1) de nationalité Kurde de Géorgie a été placée en centre de rétention après un contrôle au niveau de la gare. : cela a été un traumatisme de plus ajouté à son histoire personnelle. Elle a assisté la-bas à l’expulsion d’une famille tchétchène particulièrement violente. Elle a finalement été libérée in-extrémis. Ensuite, c’est son propre fils (ndlr : majeur) qui a été arrêté et qui a failli être expulsé. Seul. »

Carole conclura par une malicieuse boutade « Avoir des pièces séparées, l’eau chaude et le chauffage, c’est un peu un squat de luxe ». Pirouette pour dédramatiser sans doute la lettre d’EDF reçue le jour de notre visite menaçant de couper l’électricité prochainement.

Des étudiants de l’association Igr Entr’Aides viennent aussi régulièrement leur rendre visite et proposent certaines animations aux enfants notamment des cours de Français. Pour la nourriture et autres besoins de première nécessité, le secours populaire et les restos du cœur se montrent toujours disponibles.

Anouch(1) (Arménienne) : « Nous connaissions les autres familles depuis Saint Marc, nous sommes devenus amis. Tout se passe bien, nous nous aidons par exemple quand quelqu’un n’a pas eu le temps de préparer à manger, nous lui offrons un peu de notre repas. Mon souhait serait de rester ici en France, à Rennes, j’aime cette ville, mes enfants aussi. »

Malgré une certaine routine qui s’installe, l’accalmie sera de courte durée puisqu’une décision du tribunal vient d’ordonner l’évacuation du squat. Le Conseil Régional, propriétaire de la bâtisse, semble vouloir respecter la trêve hivernale en accordant un sursis supplémentaire. En 2012, Nathalie Appéré déclarait son insatisfaction « de la politique d’immigration de l’ancien gouvernement », tout en interpellant Manuel Valls (encore ministre de l’Intérieur à l’époque)  « sur les nécessaires évolutions de la politique de l’asile et ses conséquences particulières sur le territoire rennais ».

Nathalie Appéré : « Il faut bien faire la différence entre la politique de l’immigration et la politique de l’asile. Toute personne doit trouver accueil et asile, c’est dans les gènes du pays des Droits de l’homme… »

Lors du dernier conseil municipal en décembre 2014, l’association a renouvelé son souhait de voir la municipalité rennaise souscrire à leur proposition de conventionnement, permettant la mise à disposition de bâtiments publics ou privés inoccupés, palliant ainsi certaine défaillance et manquement de l’Etat.

(1) Prénom modifié volontairement.


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Sur alter1fo.com, nous nous intéresserons cette année aux questions relatives à l’exil qu’il soit choisi ou bien subi. Nous tenterons d’aller à la rencontre de ces personnes migrantes pour comprendre  leurs parcours, leurs périples, leurs souhaits et à travers eux, les migrations qui ont eu lieu au fil du temps à Rennes. Derrière les statistiques sur l’immigration que nos politiques aiment à manipuler se cachent bien souvent des drames humains et des vies bouleversées : réalité complexe et cruelle pour celui ou celle qui ne souhaite qu’une vie meilleure. 

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©Ofpra Rapport d’activité 2013
©Ofpra
Rapport d’activité 2013

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