Retournement acrobatique de tympans, salto arrière du lobe cérébral et secousse répétée de l’épine dorsale : voilà ce que nous proposait l’Antipode MJC ce jeudi 29 septembre avec les concerts de Paus et Papier Tigre. Compte-rendu.
Papier Tigre
On est arrivé tôt et c’est tant mieux, puisque c’est Papier Tigre qui commence, déjà lancé à toute berzingue avec un Restless Empire qui immédiatement nous cisaille le tympan. Au centre Pierre-Antoine Parois dégomme ses fûts avec une puissance atomique et une frappe au délié impressionnant, tandis qu’Arthur de la Grandière (guitare) le seconde martelant tout aussi énergiquement deux toms installés devant lui. A gauche, Eric Pasquereau décoche accords et riffs addictifs sur sa Rickenbaker, tout en hurlant/chantant de la plus belle des manières. Le musicien se hisse sur la pointe des pieds pour prendre le micro de front et y déverser mélodies et paroles d’une voix toute en tension. On frissonne de bonheur. Ces trois-là ne tiennent rien de moins que le haut du pavé des musiques indociles qui vous essorent à 3000 tours minutes.
A droite, Arthur de la Grandière passe des percussions aux hammers (?) sur le manche de sa Gibson, se saisit d’une maracas tandis que la structure du morceau, bombe à fragmentations toute en rupture et changement de caps, nous vrille l’oreille par sa précision saturée et son ascétisme (deux guitares, une batterie) insolemment fertile.
Wow ! On est déjà tout émoustillé. Afternoons calme un chouïa le jeu mais nous esbaudit tout autant l’oreille par sa rythmique fuselée estampillée Arthur de la Grandière. La frappe habile, légère, puissante, roule relançant, ponctuant et percutant le dialogue des six cordes tricoté en mailles serrées par les deux guitaristes. On poursuit le retour vers le futur avec Each and Every issu de leur dernier album en date, The Screw (les deux précédents morceaux venaient de The beginning and the end of now -2008- et Recreation -2012-) qui prend le temps de s’installer avant un parfait tissage d’arpèges au médiator et d’épaisses déflagrations noisy à la Gibson. Sans oublier un break final mélodique du plus bel effet. Ça enchaîne sec sur l’essentiel Home Truth dont on ne se lasse toujours pas : la fulminance haute tension du trio nous prend aux tripes et on dodeline dangereusement.
On se retient de hurler de bonheur à l’entame d’I’m someone who dies avec son infernal riff introductif. Rouleau compresseur qui slalome au frein à main, le titre est d’un relief à faire pâlir les grimpeurs du Tour de France et nous balade d’un faux plat vicelard à une ascension hors catégorie, sans oublier un pont quasi pop. Le riff plombé et tournant d’Intelligent Horses n’arrange en rien nos affaires : on plonge avec la même délectation dans les denses circonvolutions du trio. Depuis le début du set, on en prend plein les oreilles de riffs noisy et précis, de voix sur la brèche et de rythmiques atomiques. Question son, c’est juste parfait. On a vu Papier Tigre à La Bascule, au Mondo, à l’Antipode, trois lieux totalement différents (taille, acoustique, scène, public). Et pourtant, à chaque fois, le trio, malgré les scènes ou les acoustiques différentes, sonne à la perfection et emballe le set, sans temps mort, avec la même infernale intensité.
Pop saccadée et noise un peu math, la musique des Papier Tigre, toute en même temps fluide et puissante, nous comble par son intelligence des structures et cette agressivité rentrée, qui parfois se permet l’explosion. Mood Trials débute alors une triplette finale qui se révélera tout aussi irrésistible. Cordes frottées en-dessous du chevalet, enchevêtrement de guitares en mode haute voltige et voix se jouant des limites, le titre se révèle parfaite rampe de lancement pour un Personal Belongings version XXL. Break, relances, coups de boutoir et cloche facétieuse, le morceau passe d’accalmies toutes en tension contenue en sursauts bruitistes particulièrement formidables. Eric Pasquereau y frotte sa six cordes sur la cymbale de Pierre-Antoine Parois avant une nouvelle relance toujours aussi percussive et percutante.
C’est avec l’épique Matter of minutes que le trio choisit de conclure un set d’une densité à faire pleurer. En mode resserré les uns sur les autres, les trois garçons martèlent six cordes et fûts autour d’une rythmique hypnotique qui se joue du tempo, quasi robotique au début, mais qui par la suite ralentit, accélère. Ascétique, radical, le morceau attend de longues minutes avant de légèrement s’autoriser des écarts. Mais à la manière de Steve Reich ou Terry Riley, chaque micro-écart se détachant du motif constamment répété devient événement. Plus loin, les guitares se transforment en bourdon ronronnant, Arthur de la Grandière tenant sa Gibson dressée devant les amplis. On croit bêtement au final avant de sursauter soudain, rattrapé par la patrouille et par une intense explosion noise rageuse particulièrement généreuse.
Paus
Forcément, après l’intensité haute tenue des (une nouvelle fois) passionnants Papier Tigre, on a sûrement du mal à apprécier pleinement la prestation de Paus. Entendons nous bien : les Portugais sont loin d’être manchots et leur concert s’avèrera fort sympathique. Mais les oreilles encore pleines de la densité des Nantais, il nous manquera un poil d’aspérités pour rentrer totalement dans la musique des Lusitaniens. Cela étant dit, le set de Paus sera bien plus qu’honorable et délivrera même plusieurs chouettes moments.
On l’avoue, on n’avait jamais entendu parler de Paus (honte sur nous), pourtant repéré parmi les groupes lusitaniens à suivre à la semelle (première partie de Radiohead ou Caribou par exemple, ou programmé au South By Southwest, au Primavera Sound…) avant d’apprendre qu’ils étaient programmés à l’Antipode MJC ce jeudi 29 septembre (enfin en vrai, il devaient déjà venir le 10 mars, mais la soirée avait dû être annulée). Et il aurait été bien dommage qu’on passe à côté de ce quatuor.
Composé de Fábio Jevelim (synthés) au fond à droite de la scène, Hélio Morais (voix, batterie), Joaquim Albergaria (voix, batterie) et Makoto Yagyu (voix et basse – en font de scène également), Paus joue donc de deux batteries en front de scène en version ping-pong Chine olympique avec une énergie au groove savoureusement insidieux et labyrinthique. Ça percute, intrigue et danse à coups de claviers retors et de sonorités déformées par moult pédales et autres effets vicelards. Une sorte de math-rock atmosphérique, qui délaisse les six cordes pour les remplacer par de grandes louches de synthés ou autre basse trafiquée.
C’est l’instrumental Lingua Franca qui lance le bouzin avec une basse distordue. Une pluie tropicale pleine de ricochets s’abat sur tous les toms des deux imposantes batteries juste devant nous. Il faut dire que les deux batteurs donnent de leur personne. Et si le résultat manque un peu de nuances (dans la place définie à chacune des batteries), le duo les compense avec une énergie vivifiante et une réelle générosité.
Avec Mudi e Surdo et ses notes de synthés tournoyant dans un déluge de distorsions et de percussions, le quatuor gagne en relief, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Avec en plus, par moments, des parties chantées à trois (les deux batteurs et le bassiste), à gorges déployées.
Après Muito mais Gente, issu comme les deux premiers morceaux de l’album inaugural de Paus -2011-, c’est avec trois titres de leur tout dernier né Mitra – 2016– que les Portugais poursuivent. L’intro du plutôt réussi Aquedutos nous rappelle un Jagga Jazzist sans les cuivres avant que la seconde partie du morceau ne se centre davantage autour du chant à trois. Tout comme un Pela Boca bien amené, dont les voix à l’unisson apportent encore un peu de pop à l’ensemble. Fumo va dans le même sens, mais les synthés et la basse s’y font souvent moins brumeux et plus atmosphériques.
Paus continue de naviguer dans sa discographie, piochant dans l’album Clarão -2013- pour quelques titres, ose quelques scansions plus rock (Era Mata-lo, Primeira), toujours contrebalancées par des rythmiques ou des sonorités tribales. On n’est pas toujours complètement convaincu. Un tantinet trop lisse à notre goût, surtout après les grands écarts faciaux que Papier Tigre a imposé à nos oreilles ravies. Mais Paus a indéniablement une jolie palette en sa possession (quasi aussi bariolée que la chemise de son batteur, c’est dire), allant de la pop aux musiques africaines en passant par le math/post-rock et on en passe.
C’est en outre souvent quand il se fait dansant que Paus se montre le plus intéressant. On est ainsi particulièrement emballé par la doublette finale Mo people / Pelo Pulso, qui clôture le concert. Certains dans le public se laissent même emporter et dansent devant la scène. Au final donc, malgré un ensemble manquant parfois d’aspérités à notre goût, la prestation de Paus aura été de belle tenue. Et se sera également révélée riche de jolies promesses pour l’avenir.
Photos : le noiseux au coeur tendre Mr B. :