C’est dans le secteur Pilate du quartier la Courrouze au sud-ouest de l’agglomération rennaise que l’allée « Marcel Brossier » a vu le jour pour desservir un des tous derniers programmes immobiliers.
« Marcel Brossier », un nom qui ne vous dit peut-etre pas grand chose, un peu comme nous, finalement, avant nos recherches… et pourtant ! Bien qu’originaire de Basse Normandie dans l’Orne, ce jeune homme est étroitement lié à l’histoire de Rennes et à celle de la résistance en Ille-et-Vilaine. A la veille de la date anniversaire de la création du Conseil National de la Résistance, le 27 mai précisément, il était important de se pencher sur son histoire.
1 – « Marcel Brossier »
Pour rappel, c’est au lendemain du plus meurtrier bombardement(1) de la Luftwaffe qu’ait connu la cité bretonne que les troupes allemandes entrèrent dans la ville de Rennes. Nous sommes le 18 juin 1940, le soleil n’est pas encore levé que déjà le bruit des moteurs de chars blindés résonne(2) rue de Fougères. Quelques heures plus tard, l’administration allemande installe sa « Platzkommandantur » dans l’aile sud de la mairie. Rennes se met à l’heure allemande, premières minutes de quatre longues années d’occupation, de couvre-feu, de laissez-passer, de restrictions et de bien pire encore.
Les jours suivants, l’armistice est signée, les pleins pouvoirs sont donnés à Pétain et une majorité de Français se réfugie dans l’attentisme(4). A Rennes, les actes de résistance sont encore rares, inorganisés et le fait d’individus isolés (sifflets lors des actualités cinématographiques, arrachage d’affiches allemandes… )
C’est pourtant dans ce contexte lourd et pesant que dès l’été 1940, Marcel Brossier alors mécanicien à Rennes décide de saboter un équipement militaire de transmission de l’armée allemande en sectionnant un câble téléphonique situé entre la rue Duhamel et l’avenue Louis Barthou(5). Exemple caractéristique de cette résistance individuelle et spontanée. Comme instinctive.
Lorsqu’il est arrêté, la Feldkommandantur (conseil de guerre) réclame sa condamnation à mort, sans doute avec l’idée d’intimider la population et de la décourager de commettre des telles actions similaires. L’histoire montrera qu’il n’en sera rien, bien au contraire. Des communiqués officiels, en français et traduits en allemands sont placardés un peu partout dans les rues de la ville : « Marcel Brossier, citoyen français, a été condamné à mort pour avoir endommagé des objets militaires ».
Marcel Brossier devient ainsi le premier fusillé en Bretagne pour acte de sabotage sur le lieu-dit de La Maltière. (Mise à jour – Le soir de son exécution, comme par vengeance, un ou des individu(s) sectionnent de nouveau le câble au même endroit.)
Nous sommes le 17 septembre 1940.
2 – Le lieu dit « La Maltière »
La Maltière : ce terrain situé entre le chemin de la Prévalaye et la route de Redon était avant la seconde guerre mondiale un lieu de stockage de munitions de l’armée française. En 1937, un stand de tir fut aménagé permettant aux soldats de s’y entraîner(6).
Excentré du centre ville et bien à l’abri de regards indiscrets, desservi par une voie ferrée [voir photo ici ou là] il deviendra le lieu de terribles exactions perpétuées par l’armée allemande durant la seconde guerre mondiale : on y dénombrera de 1940 à 1944 près d’une centaine de fusillés(7).
Leur nombre exact semble impossible à déterminer car à la fin de la guerre, « les Allemands, en 1944, pressés par le risque d’être obligés de partir, fusillaient rapidement, sans procès, sans même laisser de trace écrite« (7). Ainsi, selon différentes sources d’informations, ce nombre peut être de 79 (nombre des noms inscris la plaque commémorative), 89 (issu d’un article de Ouest-France de 1947) ou 117 (nombre inscrit sur la guérite placée en hommage près de la butte(8))
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Yann Texier, Adjoint à la mairie de Saint Jacques de la Lande :
« Nous avons dénombré une centaine de personnes fusillées sur le site de la Maltiere grâce aux travaux d’archives. Aujourd’hui, seuls les noms des 79 personnes qui ont été formellement identifiées et dont nous possédons des attestations historiques sont inscrits sur la plaque commémorative. Peut-être que cette plaque s’étoffera dans le temps si d’autres informations ou preuves nous aident à de nouvelles identifications. » [interview alter1fo par téléphone]
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En 1942, les attentats à l’explosif et les actes de sabotage se multiplient dans le département provoquant une répression de plus en plus violente et meurtrière. Les résistants sont appelés « terroristes », « saboteurs » par les occupants, élément de langage d’ailleurs repris par le quotidien Ouest-Eclair. Les dénonciations sont encouragées, parfois en échange d’un « retour de captivité d’un proche parent » (voir Ouest-Eclair). Les arrestations se multiplient.
C’est en décembre 1942, après un procès vite expédié devant le tribunal militaire allemand que la Maltière connaîtra la journée la plus sanglante, marquant profondément et d’une manière indélébile, l’opinion publique avec l’exécution de 25 résistants âgés de 19 à 43 ans en une seule matinée.
Nous sommes le 30 décembre 1942.
3 – Jour sang du 30 Décembre 1942
Au croisement de la rue de Nantes et du boulevard Albert 1er, si vous prenez à droite en direction de la mairie de Saint Jacques de la Lande, vous empruntez la « rue des 25 fusillés du 30 décembre 1942 ». Rue au nom tristement funèbre en hommage aux 25 résistants, cités plus haut, membres du parti communiste et cheminots pour la plupart, arrêtés puis condamnés à mort au cours de l’hiver 1942. Hommage aux héros qui, engagés dans la résistance, avaient choisi de se battre pour leur idéal.
Vivre libre ou mourir.
C’est ainsi qu’au matin du 30 décembre 1942, les 25 condamnés sont transférés de la prison Jacques Cartier où ils sont retenus jusqu’au site de la Maltière. L’histoire raconte que, tout comme les fusillés de Châteaubriant en octobre 1941, le groupe entonne de nombreux chants comme « la Marseillaise » ou l’ « Internationale » durant le trajet. Sur place, les premières exécutions débutent à 9h20, par petits groupes de 3. Les balles touchent les derniers à 10H20. Maurice Léost, ajusteur SNCF et Maurice Fourrier, mécanicien SNCF, les plus jeunes, n’avaient que 19 ans; Jean Bras, tanneur, le plus âgé, en avait 43.
Fille d’Emile Drouillas, figure importante du parti communiste breton, mort en déportation, Renée Thouanel s’est investie dans la transmission de la mémoire. Elle évoque pour nous l’histoire de la butte de la Maltière :
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Leurs obsèques officielles auront lieu le 28 janvier 1945, un mois après un immense rassemblement de plus de 10 000 personnes venues se recueillir sur les tombes des résistants(9). Cette grande marche, longue de 5 kilomètres allant du centre jusqu’au cimetière de Saint-Jacques, fut la première commémoration des martyrs après la libération de Rennes en août 1944.
Renée Thouanel, 6 ans à l’époque, évoque cette cérémonie :
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Les corps de 14 des 25 résistants seront ensuite transférés au « Carré des Fusillés » du cimetière de l’Est (voir photo ici) tandis que les 11 autres seront inhumés dans leur ville natale. Cet espace dédié à leur mémoire est véritablement émouvant puisque nous pouvons y lire la lettre d’adieu d’Albert Gerard(voir photo ici), écrite à l’aube. Dernier geste d’un homme digne dans la douleur faisant face à son destin.
Pour information, le cimetière de Saint Jacques de la Lande accueille aujourd’hui encore trois sépultures de résistants fusillés sur le site en juillet 1944 : Léon DESILLES, Jean-Baptiste DANIEL et Augustin GAUTIER.
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Renée Thouanel nous lit des extraits des lettres d’adieu :
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En 1961, la ville de Saint Jacques de la Lande devient propriétaire du terrain et décide d’en faire un lieu de recueillement et de mémoire. Le 30 décembre de chaque année, une cérémonie est alors organisée en hommage à tous les résistants fusillés sur ce lieu. Sur la plaque commémorative est écrit : « Souvenez-vous des patriotes fusillés ».
Malheureusement, le site peine à être connu. Son accès difficile et mal indiqué pénalise sa visibilité d’autant plus qu’un panneau « Défense d’entrer » est posé sur le bord de la seule route amenant jusqu’au site (voir photo ici). La mairie de St Jacques de la Lande en a conscience et tente d’y remédier. Après une exposition itinérante initiée par la ville et mise en scène par Clara Bessou de l’agence Art Scenic, un concours régional a été organisé l’année dernière auprès des lycéens et étudiants de la région Bretagne afin de promouvoir le site (voir le cahier des charges du concours).
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Bernard Bougeard, correspondant défense à la mairie :
« Les objectifs de ce concours sont de mieux faire connaître le site, par une signalétique et une information visuelle, dans un souci de mémoire collective. La présentation officielle du concours sera faite lors de la cérémonie commémorative du 30 décembre. L’appel à participer est lancé à tous, et particulièrement aux élèves et enseignants. » [Interview Ouest France – 26 Déc. 2014]
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Le résultat est tombé ces derniers jours(10) et ce sont des élèves d’une classe de terminale L de « la Balue », le lycée Jacques Cartier de Saint Malo qui a séduit le jury dans lequel siégeait Renée Thouanel. Leur projet est de disposer sur le lieu 79 plaques de verre symbolisant les 79 condamnés, où figureront le portrait et le nom de chacun d’entre eux. Revaloriser le site pour ne rien oublier, surtout qu’avec le nouveau plan du ministère de la Défense, le site de la Maltiere va s’agrandir et recevoir de nouveaux personnels de l’armée, 200 militaires spécialistes de la cyberdéfense sont déjà attendus(11). Espérons que cela ne soit pas au détriment de la butte.
Monsieur Maisonneuve, un des deux professeurs-encadrants de la classe lauréate nous parle de cette participation (PS : désolé pour la faible qualité sonore)
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Quels souvenirs garderont nous lorsque les derniers témoins de cette période auront disparu ? Ces lieux de mémoires resteront sans nul doute nos gardes-fous, certaines rues aux noms symboliques seront nos « petits cailloux blancs » pour éviter l’égarement. Face à eux, interrogeons nous sur les valeurs qui nous rassemblent et qui nous font « être citoyen ». Le tombeau des héros est le cœur des vivants disait André Malraux : Chateaubriand, le Mont Valérien, le Veld’hiv, Oradour-sur-Glane… préserver cet héritage, c’est finalement rester libre. Et nous que faisons nous ?
Nous sommes en mai 2015.
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Emplacement de la butte à Saint Jacques de la Lande
Lettre d’adieu d’Albert Gérard fusillé le 30 décembre 1942, à la Maltière, près de Rennes. (DR)
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PS : un immense merci à Renée Thouanel pour sa disponibilité, sa gentillesse et son action. Merci au professeur M. Maisonneuve du Lycée Jacques Cartier.
BIBLIOGRAPHIE :
La résistance en Ille et Vilaine
Heures sombres à Rennes – Archives de Rennes
DATES à RETENIR :
Mercredi 27 mai :
Invité par l’ANACR 35 et l’ADIRP 35, à l’occasion de la Journée Nationale de la Résistance, Kristian Hamon interviendra sur le thème de la Résistance face à la collaboration : « Quand des Français dénonçaient d’autres Français. La collaboration à Rennes« . 19 heures, Maison des associations, place du Général de Gaulle.
Jeudi 28 mai à 18 h 30 :
Présentation de l’ouvrage « Les fusillés » organisée par la librairie Le Failler aux éditions de l’Atelier avec la venue de Claude Pennetier. Rencontre organisée par la librairie Le Failler et suivie d’une séance de dédicaces à l’espace Ouest-France.
(1) http://www.ouest-france.fr/17-juin-40-la-gare-de-triage-bombardee-611567
(2) http://www.pur-editions.fr/couvertures/1413204953_doc.pdf
(3) http://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/parcours/0004/la-bretagne-dans-la-guerre.html
(4) http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/bac/2GM/sujets/02resistance.htm
(6) http://www.liberation.rennes.fr/programme/archiv/docs/memoire.pdf
(8) http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/ph-doc/guerite-allemande.htm
(9) http://www.ouest-france.fr/fusilles-de-la-maltiere-anniversaire-et-lancement-dun-concours-3086344
(10) http://www.ouest-france.fr/resistance-un-lycee-malouin-remporte-le-concours-de-la-maltiere-3411171