Trois ans et des poussières après sa mémorable prestation au Jardin Moderne de Rennes pour le premier millésime du festival Musiq’Albambic, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp revenait sur les lieux de ses bienfaits jeudi 14 mai 2015. La belle bande allait-elle réussir à se tenir à la hauteur de nos attentes démesurées ?
L’écurie Kfuel avait clamé sur tous les toits numériques que, promis juré, ce coup-ci le concert démarrerait pile à l’heure et que les retardataires s’en mordraient les doigts jusqu’aux coudes. Nous ne les avions bien sûr absolument pas crus mais… sur un petit doute persistant, c’est bien vers 20h30 que nous déboulons au cœur de la particulièrement riante un jour férié zone commerciale de la Route de Lorient au Jardin Moderne. Bien nous en a pris puisque le concert démarrera effectivement avec à peine un quart d’heure de décalage sur l’horaire annoncé. Bien d’autres semblent avoir pris cette annonce au sérieux puisque presque 200 personnes ont fait le déplacement et emplissent de façon conséquente le café culturel. En plein début du plus long pont de l’année, cela montre bien que nous ne sommes point les seuls à être excités par le retour de Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp dans nos contrées. La camarade Isa fait d’ailleurs judicieusement remarquer que le public présent est particulièrement varié. Des enfants, des jeunes, des moins jeunes, des noiseux, des metalleux… des spectateurs donc aussi bigarrés que la musique du groupe internationalo-suisse.
Nous retrouvons avec plaisir installé sur la petite scène faisant face au bar du café culturel, le matériel de la bande. De gauche à droite, nous reconnaissons le marimba (clavier de lames de bois d’Amérique latine) d’Aïda Diop, le trombone de Mathias Forge, la batterie de Wilf Plum, la contrebasse de Vincent Bertholet, les guitares de Maël Salètes et enfin bien rangé à côté du micro de Liz Moscarola tout un chouette bric-à-brac où l’on retrouve des clochettes, un triangle, des appeaux… et un cochon.
En décor de fond de scène, nous avons la surprise de découvrir un singulier triptyque hautement contrasté et composé de Jean-Yanne, du groupe de Death Metal Trepalium et du Colonel Massoud ! C’est en fait le décor de la soirée anniversaire des 10 ans de Society Kaos Institut Kritik qui aura lieu le lendemain. Ce décalage esthétique rajoute une délicieuse touche d’étrangeté à un début de concert déjà un peu déstabilisant. D’abord par le fait qu’il n’y a pas de première partie et que l’on entre directement dans le vif du sujet mais aussi et surtout parce le set va commencer à l’heure ! Oui, vous avez bien lu. Cet incroyable et exceptionnel événement aurait bien pu totalement déstabiliser le groupe le plus endurci et les chroniqueurs les plus aguerris, mais heureusement le charme ineffable de la bande va vite nous remettre d’aplomb.
Le set démarre tambour battant avec le trombone impérieux de l’énergique R-Mutt suivi de l’énervé et électrique Mick puis de l’irrésistible et envoûtant Close & Different. Preuve par trois que, même sans échauffement, l’OTPMD n’a rien perdu de son incroyable et communicative énergie. Leur musique joyeuse et festive a pourtant le chic pour ne jamais vous prendre totalement dans le sens du poil. Tandis que le marimba d’Aïda Diop, la contrebasse de Vincent Bertholet et le trombone de Mathias Forge vous emberlificotent dans un délicieux et chaleureux cocon, la batterie subtilement tortueuse de Wilf Plum, la guitare toujours finement abrasive de Maël Salètes et le chant à la fois enjôleur et rageur de Liz Moscarola viennent salutairement vous botter l’arrière-train. Un équilibre en constante modulation qui donne à la formation en live une force et une préciosité rare.
Sûr de son fait, le groupe enchaîne alors une longue série de titres plus calmes. Les chœurs de supporters susurrés du tendu Come On In ouvrent le bal. Sa rythmique aussi hoquetante que déterminée sied parfaitement aux farouches vocalises de Liz Moscarola pendant qu’Aïda Diop et Maël Salètes se livrent à un délicieux jeu de ping-pong entre les percussions de la première et la guitare du second. Ils nous décochent ensuite une flèche en plein cœur avec le somptueux Slide dont les circonvolutions hypnotiques de la singulière petite guitare monocorde qu’a alors saisi Maël Salètes nous embarquent dans une transe douce et implacable. La tension remonte alors d’un cran sur l’imposant et toujours aussi efficace Elephants avant de repartir sur une ambiance plus rêveuse guidée par le triangle malicieux d’It looks shorter on the map. La ballade enjouée est suivie par le plus langoureux Homs magnifié par une introduction scandée à plein poumon de toute beauté et un superbe solo de contrebasse de Vincent Bertholet.
Le progressif et exaltant Ulrike sonne le retour de rythmes plus endiablés. Après un démarrage limpide, le morceau fait monter l’orage jusqu’à une salvatrice explosion. Le public chaleureux dès les premiers instants du set entre littéralement en ébullition sur cette partie finale menée tambour battant. Le lumineux Cranes Fly colle des sourires aux lèvres et des fourmis dans les gambettes à toute la salle. L’inédit et tout aussi entraînant Lentillières suit (morceau rendant hommage à de chouettes jardins communautaires et militants d’un quartier de Dijon) avant que ne résonne enfin le riff hypnotique et irrésistible de The Sheep That Said Moo. Le vertige montera encore d’un cran avec le tourbillonnant Apo interprété dans une version allongée et surpuissante qui met définitivement la foule en transe. Le révolté et survolté Tralala conclut le set en beauté, même si tout le monde sait bien qu’il est hors de question que nous en restions là.
Une courte pause et la bande revient triomphalement sous un tonnerre d’applaudissement pour un généreux rappel de trois morceaux. Sur l’impérieux et imparable 49, Liz Moscarola lâche les amarres et s’en donne à cœur joie autant au niveau vocal que gestuel. Comme tout au long du concert, elle impressionne par sa présence scénique et sa capacité à se camper en véritable œil du cyclone de cette merveilleuse tornade bigarrée. L’excellent Misteriosa Furiosa, ses contre-pieds dégingandés et sa montée finale nous maintiennent au septième ciel avant le coup de grâce. Plutôt que de rééditer le superbe chant a capella en plein public qui avait conclu leur prestation de 2012, ils nous décochent une reprise ébouriffante de l’inoxydable Jaloux Saboteurs de Maître Gazonga, tube tchadien des années 80 aussi surréaliste que capable d’enflammer le dancefloor le plus récalcitrant.
En une bonne heure, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp nous a fait l’éblouissante et réjouissante confirmation de son talent et s’inscrit donc définitivement dans notre shortlist des groupes que nous avons gravés en plein cœur. Tout le monde a mal à la gorge d’avoir beuglé en chœur les refrains, mal aux pattes d’avoir dansé comme de beaux diables mais tous ont envie de trainer pour profiter encore un peu de l’euphorie offerte par l’incroyable capacité du groupe à communiquer aussi pleinement son énergie et sa complicité. Nous en profiterons pour acheter leurs 45 tours qui nous manquaient encore et pour causer avec le charmant Wilf Plum de ses souvenirs de Rennes et de son excellent autre projet Two Pin Din (en compagnie du guitariste de No Means No et de GW Sok de The Ex). Il nous a laissé espérer une tournée du trio l’an prochain. Si ça se fait effectivement, nous serons les premiers à vous en parler.