Miki Dora est une légende et Alain Gardinier, grand spécialiste de la chose Rock de l’audiovisuel a eu la chance d’être l’un de ses rares amis … enfin si le mot peut avoir un sens pour quelqu’un comme Dora. D’ailleurs faire une biographie sur Miklos Sandor Dora III est un exercice périlleux, l’auteur avertit dès les premières lignes qu’il faut prendre avec des pincettes tout ce qu’il a pu raconter. Car « Da Cat » était un menteur, un fabulateur, un mythomane et comme la légende est toujours plus belle que la réalité, c’est rarement la vérité qui triomphe.
Enfin, toujours est-il que Alain Gardinier, connaissait suffisamment bien le zigoto pour ne pas tomber dans le piège. Les faits sont coupés et re-coupés pour essayer d’y voir plus clair dans la vie aventureuse de ce Miki Dora et avant tout dans sa vie de surfer vagabond. Il n’est pas le premier à avoir pris la tangente, mais à l’instar d’un Bernard Moitessier, c’est son rejet sans condition du système qui va tisser la toile de la légende.
Miki débute le surf dans les années 40 sur la côte ouest des Etats-Unis, sur les plages entre San Diego et Los Angeles. Le virus est vite pris et le surf devient la seule préoccupation du jeune Dora. Il faut imaginer, ce que pouvait être le surf alors. Personne dans l’eau, mis à part quelques freaks, pas de pollution, pas de règle, pas de sauveteur et pas de leach, ce lien qui vous relie à votre planche. Si vous tombiez, vous étiez bon pour retourner sur le rivage à la nage et sinon … ben tant pis pour vous. Le surfer/shaper légendaire, Bob Simmons, l’apprend à ses dépens en se noyant en 1954 à Windansea, le célèbre spot de San Diego.
Dans les années 50, Dora découvre le spot de Malibu qui vient d’ouvrir au public. C’est un superbe spot le long de la Pacific Coast Highway au nord de LA, où une longue droite déferle tranquillement. C’est le paradis du surf et quand on a faim, on prend son masque et on va se ravitailler en homards et en ormeaux qui foisonnent dans les fonds. Le soir se termine autour d’un immense feu sur la plage en buvant de la bière ou du vin bon marché. Que rêver de mieux ? Malheureusement, tout a une fin et le grand loup rôde. Ici le grand méchant loup, c’est Hollywood, toujours à l’affût d’une bonne histoire. Dans la bande qui traîne à Malibu, il y a la fille d’un scénariste, Kathryn Kohner, surnommée Gidget par Dora (contraction de girl et midget, soit mini-fille). Gidget se met en tête d’écrire sa vie de surfeuse sur la plage. Son filou de père récupère l’histoire et en fait un livre au succès immédiat.
C’est le début du grand cirque. Hollywood s’empare des droits et commence le tournage à Malibu. Dora est écoeuré, ce qui ne l’empêche nullement de participer aux festivités (on ne va pas cracher sur quelques dollars facilement gagnés, ni sur du matériel coûteux emprunté… ad vitam .. !!). Le film est un immense succès, tous les jeunes veulent se mettre au surf et c’est la déferlante sur les spots, notamment Malibu. Pendant les années à venir, ce sera la guerre. Dora le roi de Malibu va faire régner la terreur et malheur à celui qui ose se mettre en travers de sa route ou plutôt de sa vague.
Puis entre les arnaques à la petite semaine et les chèques falsifiés, Dora sera quoiqu’il en dira par la suite, obligé de mettre les voiles. Ce sera le début d’une longue cavale. De spots en spots à travers le monde, dans son combi Volkswagen, il va parcourir le monde, s’établissant à chaque endroit accueillant, où de longues droites déferlent. Ses lieux fétiches, le pays Basque ou Jeffrey-Bay en Afrique du sud. Le reste du temps quand il ne surfe pas, Dora reste Dora. Toujours à l’affût du mauvais coup à venir. C’est le roi de l’arnaque, le flibustier de l’entourloupe, le prince de la resquille. Pour ses proches, ce n’est pas toujours facile et il faut le prendre comme il est car il reste malgré ses travers, très attachant (comprendre, cultivé et malin comme un singe). Finalement Dora se fait coincer en France à cause d’une cabine téléphonique défectueuse dans laquelle il a pris l’habitude de passer de longues soirées à appeler ses amis à l’autre bout du monde. Le FBI qui ne le cherchait pas vraiment l’accueille à bras ouvert et l’envoie directement en prison. Dora n’y restera pas longtemps et sera absout de tous ses péchés. Il peut re-commencer une nouvelle carrière de surfeur vagabond, mais celle-ci officielle.
Souvenez-vous de la thèse n°1 de « La société du spectacle » de Debord : « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » C’est exactement ce que Dora ne supporte pas. C’est aussi la fin de l’innocence, c’est l’arrivée des Wannabe, des Kooks (les crétins) qui refusent d’écouter les conseils des lifeguards (sauveteurs/surveillants de plage) qui après avoir bu quelques tasses d’eau salée leur feront un massage cardiaque sur le sable. Dora refuse tout en bloc, un seul maître, la vague et le rythme de l’océan. Mais bon, la première thèse de Debord, parle aussi « d’immense accumulation de spectacles » .. et il faut bien vivre. Dora sera le premier à saisir systématiquement la justice pour toute utilisation abusive de sa précieuse image. Il sera aussi entretenu par Quicksilver, la célèbre marque de surfwear, bien contente d’entretenir une légende et se racheter une crédibilité anti-establishment à peu de frais.
Quicksilver est aussi le sponsor principal de Kelly Slater, le multi-champion (au moins 10 titres mondiaux au compteur), représentant la face la plus commerciale du surf. Alors finalement quand on y pense, quelle différence y a-t-il entre un Dora et un Slater .. ils sont tous les deux payés pour surfer, mais l’un fait des compétitions et l’autre fait le rebelle … « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » aurait dit notre célèbre situationniste. Le « spectacle » phagocyte et recycle tout. La boucle est bouclée. Bref, dans ce monde factice, une seule seule chose est vraie, c’est que Dora a bien vécu et jusqu’à sa mort, emporté par un cancer, il a continué de surfer et à emmerder ses contemporains, et c’est bien là l’essentiel.
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Liens
Le site de Alain Gardinier
Le site de l’éditeur, Altantica
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Miki Dora De Malibu à la Côte Basque – Alain Gardinier – Editions Altantica – ISBN: 9782758804789
Pour le coup, Guy Debord est bien le champion du rebelle parasite, qui a vécu grâce à l’argent de beau-papa tout en crachatn sur le système bourgeois. Et en plus, y surfait même pas !
Merci pour cette chouette chronique.