Maintenant 2015 – Expérience 1 : la musique des marteaux-piqueurs

Durant toute cette semaine de festival, Maintenant a la bonne idée de nous proposer des grands écarts musicaux aussi féconds que passionnants. De prime abord peut-être, pas grand rapport entre la musique contemporaine de la violoncelliste Hildur Guðnadóttir, la techno au kick lourd et implacable de Xosar ou les symphonies mécaniques de Moritz Simon Geist. Pourtant l’association Electroni[k], en les présentant sur un même programme, continue de lancer  (et de tisser) des ponts entre les genres, les esthétiques et les familles musicales. Pour commencer, le mardi 13 octobre, c’est donc la musique industrielle et ses acteurs (sans oublier le contexte socio-culturel dans lequel elle apparaît) qui seront mis en exergue à travers la projection du documentaire Industrial Soundtrack for the Urban Decay en présence des réalisateurs Amélie Ravalec et Travis Collins au Tambour.

Industrial Soundtrack for the urban decay

Expérience : le concept

Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant, vient se nicher un septuor de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes» vous emmènera ainsi dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau. Parmi ces propositions, la première vous invitera donc à découvrir le documentaire Industrial Soundtrack for the Urban Decay réalisé par Amélie Ravalec et Travis Collins.

Industrial Soundtrack for the Urban Decay

Après s’être intéressée à l’underground techno berlinois et parisien dans son précédent film Paris/Berlin: 20 Years Of Underground Techno, Amélie Ravalec revient avec le journaliste australien Travis Collins pour un documentaire de 52 minutes autour de l’histoire et des acteurs qui ont permis l’émergence de la musique industrielle, en s’intéressant notamment au contexte sociopolitique duquel elle a émergé.

En 1913, le futuriste italien Luigi Russolo écrivait déjà qu’il fallait « rompre à tout prix ce cercle des sons purs et conquérir la variété infinie des sons-bruits » dans son manifeste l’Art des Bruits. Autant dire que plusieurs dizaines d’années plus tard, il sera entendu. En Angleterre, au milieu des années 70, alors que les punks rugissent et crachent leur haine de tout etablishment, la musique industrielle émerge d’un même mouvement : comme le punk, elle provoque, éructe, dérange et hurle sa rage. Sauf qu’en lieu et place de guitares morveuses et d’épingles à nourrices plantées sauvagement dans les prises pour des arcs-électriques dévastateurs, la musique industrielle utilise l’industrie et les machines. L’instrumentation change, mais pas le désir de secouer, de provoquer le public.

Cosey Fanni Tutti Industrial Soundtrack for the Urban Decay

Throbbing Gristle mélange ainsi bruit blanc, larsens et fréquences difficilement supportables, seringues anales, images pornographiques ou jet de sang frais lors de ses premiers concerts, pour une sorte de punk industriel plein de grincements, citant les cut-up de William Burroughs, explorant le fascisme, la mort, la mutilation… « J’ai souvent débattu de la question avec des groupes punks qui disaient : ‘apprenons trois accords et formons un groupe.’ Et je pensais : ‘mais pourquoi diable apprendre trois accords!’ Pour moi c’est là que repose le problème du punk : les punks voulaient apprendre à jour de la musique. Apprendre à jouer de la musique enracinée dans le rythm and blues, c’est une nouvelle fois devenir l’esclave du système. Alors si tu dois jouer de la musique d’esclave, autant que ce soit celle d’un esclave de la société post-industrielle, d’une société où les gens travaillent dans les usines et les fabriques. Et ça personne ne l’avait jamais vraiment fait. Personne n’avait pris la décision effective de jouer une musique enracinée dans l’expérience de la société occidentale européenne et de la société industrielle, et c’est donc ce que nous avons fait. Nous nous sommes inspirés des tapis roulants, des usines, des centrales électriques et des biens de consommation de masse pour imaginer les formes de notre musique, et nous avons expérimenté à partir de ces matériaux plutôt qu’à partir de guitares » expliquait Genesis P. Orridge (l’un des Throbbing Gristle à Peter Shapiro, Modulations)

Tout comme Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire propose des performances jusque-boutistes : « nous éprouvions la nécessité d’aller à contre-courant, de briser les règles des formes musicales établies » expliquent-ils. Influencés par le mouvement Dada (on s’en serait douté avec un nom pareil), les Britanniques en partagent le désir de transgression, de rébellion contre les formes instituées de l’art. Bandes magnétiques coupées, collées, stridences radio, bourdonnement des basses et crachats rythmiques raclent tout sur leur passage, tandis qu’Outre-Rhin, certains vont encore plus loin et choisissent d’écrire des symphonies au marteau-piqueur, quitte à laisser la scène qui les accueille dans un chaos apocalyptique.

Mal

En Allemagne en effet, à Berlin-Ouest, les Einstürzende Neubauten menés par Blixa Bargeld investissent pareillement le paysage industriel et font de la musique avec ce qu’ils ont sous la main (les marteaux-piqueurs, c’est eux), les lieux où ils jouent influençant également leurs créations. « Quand tu joues dans un espace vide, sous un pont d’autoroute de 1m50 de haut avec les vibrations des poids-lourds qui passent au-dessus de ta tête, il est difficile d’écrire un morceau pour le mouvement pour la paix » explique en substance le leader berlinois dans le documentaire B-Movie, Lust & Found in West-Berlin. Si vous ajoutez à cela le marasme politique et social de la crise industrielle, la guerre froide et l’ombre omniprésente du mur du côté allemand et celle quasi aussi menaçante de Margaret Thatcher outre-Manche, vous comprendrez aisément que les fondateurs de la musique industrielle n’aient pas fait dans la dentelle. Ou alors dans la dentelle tissée à coups de marteaux-piqueurs.

C’est toute cette histoire et ses ramifications que vous proposent de redécouvrir Amélie Ravalec et Travis Collins au Tambour ce mardi 13 octobre dans le cadre de Maintenant.

 

Retrouvez ici tous nos articles sur Maintenant avant, pendant et après le festival.

 


Maintenant 2015 présente Expérience 1 avec le documentaire Industrial Soundtrack for the urban decay réalisé par Amélie Ravalec & Travis Collins le mardi 13 octobre de 18h30 à 20h00 au Tambour (Université Rennes 2, Place du recteur Henri Le Moal – Rennes)

Plus d’1fos : sur le festival Maintenant – sur Industrial Soundtrack for the Urban Decay

Maintenant aura lieu du 13 au 18 octobre 2015.

maintenant-festival


Laisser un commentaire

* Champs obligatoires