On le sait tous, la Nouvelle est un art mésestimé et sous-représenté. Pourtant, si l’exercice n’est pas forcément périlleux, il n’en est pas moins exigeant, minutieux et souvent révélateur de talent.
Pour preuve, la première publication en France de Wells Tower : « Tout piller, tout brûler ».
Un recueil de 9 nouvelles, 9 histoires qui nous emportent en territoire américain, mais pas celui du Rêve, plutôt celui où vivent les gens ordinaires, ceux qui n’ont pas de chance, ceux qui font ce qu’ils peuvent, ceux qui ont le coeur lourd.
Exemples :
Dans « Un lien fraternel », Matthew essaie de revoir son frère, qu’il « aime parce que c’est le dernier parent qui (lui) reste » mais avec qui les relations sont difficiles depuis l’enfance. Quelques jours dans les montagnes, une partie de chasse et les jalousies infantiles ressortent et pourrissent tout à nouveau.
« En bas dans la vallée » nous présente Ed qui, pour rendre un petit service à son ex-femme, se retrouve à ramener à la maison le nouvel amant de celle-ci, qui s’est blessé pendant leur « retraite dans les montagnes pour fusionner avec (…) les forces cosmiques ». Il regrettera rapidement, le huis-clos forcé du voyage automobile ravivant aussitôt les souvenirs douloureux de sa séparation.
Dans « à la fête foraine », un couple se retrouve pour faire connaissance, accompagné de leurs enfants respectifs. Lui ne voit pas que son fils est entrainé par un homme dans les toilettes et quand l’enfant lui explique l’agression qu’il a subie, il a du mal à le croire. Mais il n’a plus son slip et il lui manque une chaussure.
C’est ainsi, dans l’univers de Wells Tower : chaque histoire laisse un arrière-goût amer. Il s’amuse à mettre en exergue les sentiments les moins avouables que l’on a tous en nous sur un ton presque anodin, presque familier, avec une touche d’humour et c’est quand on se retrouve dans ses personnages que le malaise survient.
Car ce ne sont pas des losers comme on peut en trouver chez Bukowsky ou Selby Jr.
Il nous présente des couples déchirés, des familles meurtries, des enfants rebelles, des gens emplis de colères, de frustrations ou de rage, qui nous ressemblent.
Et ne vous fiez pas au décor, les montagnes, les forêts, les océans, cette si belle Nature : elle est pleine d’animaux malades et de sumac vénéneux.
C’est un regard cruel, ironique et lucide, que porte Wells Tower sur la société américaine (occidentale?) et c’est ce qui le fait rentrer dans la lignée des grands romanciers américains (Hemingway, Faulkner, Roth …). Rien que ça.
Plusieurs fois récompensé aux États-Unis, l’auteur préparerait un roman pour 2012. On va l’attendre avec impatience.
Wells Tower : Tout piller, tout brûler
Editions : Albin Michel
Collection : Terres d’Amérique