L’augmentation constante du nombre de repas offerts par les centres d’activités des Restos du cœur est le signe évident de la paupérisation de certaines strates de la société française. Avec un million de repas servis en une année, l’Ille-et-Vilaine est à l’unisson de la dramatique tendance qui traverse l’association : circonscrire tant que faire se peut l’appauvrissement de plus en plus de Français. Les bénévoles des restos se battent mais jusqu’à quand ?
Rencontre avec Philippe Le Mescam, président des Restos du cœur d’Ille-et-Vilaine, et Yves Oyallon, responsable départemental de la communication et des manifestations aux Restos.
Alter1fo: Peut-on faire un rapide historique des Restaurants du cœur ?
Philippe Le Mescam : C’est une association créée en 1985 par Coluche. Vingt-cinq ans après, tous les départements sont représentés et 58 000 bénévoles y travaillent. Nous sommes les témoins de l’appauvrissement de la population française : depuis la crise de 2009, nous avons connu une augmentation de 20% de notre fréquentation. Comme toujours, les petits et les plus faibles dégustent en premier. Depuis une dizaine d’années, nous avons été obligés de mettre en place une inter-campagne. C’est-à-dire qu’après la saison d’hiver (du début décembre à la fin mars), durant laquelle 762 000 repas sont servis dans le département, deux autres campagnes ont lieu, de la mi-avril à la fin juin, puis de septembre à novembre. A cette occasion, ce sont 290 000 repas qui sont distribués.
Les Restos d’Ille-et-Vilaine ont aussi connu une augmentation de leur fréquentation ?
Philippe Le Mescam : Lors de la saison 2010-2011, nous avons connu 5% d’augmentation, soit 50 000 repas de plus à distribuer. De l’avis général de nos bénévoles, on retrouve surtout des jeunes et des familles nombreuses.
Qui sont les gens qui viennent aux Restos du cœur ?
Yves Oyallon : Depuis peu, on accueille trois nouvelles catégories sociales. Des retraités qui n’ont pas assez de leur retraite pour se nourrir ; de jeunes travailleurs pauvres qui touchent parfois le RSA ; et des familles monoparentales. Aujourd’hui, on voit même des pères seuls avec des enfants.
Philippe Le Mescam : Ça, c’est un vrai changement. Il y a toujours une difficulté à passer la porte des restos. Parfois, on voit des gens tourner autour des centres pendant des jours, plusieurs semaines même, avant de rentrer. En générale, les mères ont plus de facilités à franchir le pas, c’est culturellement encore plus difficile pour les pères.
Yves Oyallon : Il y a aussi des allocataires en fin de droit de chômage et une population immigrée, que la Préfecture nous envoie parfois directement.
Philippe Le Mescam : Nous ne faisons aucune ségrégation : ici, un sans-papier aura à manger comme tout le monde. Nous acceptons les gens dès lors que leurs revenus sont en dessous du niveau du RSA.
L’aide alimentaire des Resto du cœur représente 70% de vos activités.
Philippe Le Mescam : Il y a également ce que l’on appelle « l’aide à la personne ». Le microcrédit, l’aide juridique, le soutien scolaire et tout ce qui est nécessaire à la réinsertion des gens. Nous définissons les besoins des gens et on les oriente vers les personnes compétentes. Au niveau national, 70% des gens qu’on a accueillis disparaissent de nos statistiques au bout de trois ans.
Yves Oyallon : Il existe aussi les Toits du cœur. Sur Rennes nous disposons de 11 logements dont les propriétaires nous accordent des loyers très bon marché. Ce sont des solutions de dépannage et ceux qui en bénéficient doivent avoir un projet de réinsertion.
Philippe Le Mescam : Ces logements servent aussi pour les urgences. On voit parfois des cas extrêmes : celui qui vit avec trois mômes dans une voiture garée au fond d’une impasse dans une zone industrielle.
Yves Oyallon : Et puis, les Restos mettent en place des chantiers de réinsertion. A Rennes, trois encadrants prennent en charge une douzaine de salariés pour un retour à l’emploi basé sur l’apprentissage du métier de maraîcher. Leur production bio est ensuite répartie dans les centres de distribution.
D’où provient la nourriture que distribuent les Restos du cœur ?
Yves Oyallon : Ce sont d’abord les dons des Français qui nous permettent d’acheter de la marchandise. On achète en dizaines de tonnes afin de réduire au maximum les coûts. Mais on est très attaché à la qualité des produits. Ces dons sont en hausse, malgré la crise.
Philippe Le Mescam : Selon une étude récente, il s’avère que les donateurs sont d’un âge certain. On va donc lancer une campagne afin d’attirer les plus jeunes car il faudra bien qu’ils prennent le relai un jour ou l’autre.
Yves Oyallon : Ce sont ensuite les surplus européens de la PAC qui nous assurent un important approvisionnement. Mais l’Allemagne n’est plus d’accord et fin 2012, Angela Merkel veut garder ses surplus pour « ses pauvres ». Ce ne sont pas moins d’un tiers de nos apports qui pourraient disparaître.
Les surplus locaux des grands distributeurs complètent également les stocks.
Philippe Le Mescam : Mais là aussi, nous nous acheminons vers des difficultés. De plus en plus de distributeurs travaillent en flux tendus et leurs réserves ont tendances à diminuer. On voit aussi des rayons « soldes » dans les magasins où ces produits sont vendus par lots et à moitié prix, voir moins chers encore. Et puis, des petits malins ont compris l’intérêt de telles marchandises : des sociétés rachètent désormais ces surplus aux distributeurs afin de les revendre, puisque la date de péremption de ces denrées n’est pas dépassée.
Yves Oyallon : Enfin, les collectes alimentaires réalisées par les associations à la sortie des magasins. Cela nous a rapporté trente tonnes de marchandises cette année.
Il semble que les Restos du cœur ne soient pas prêts à fermer leurs portes pour « manque de clientèle ».
Philippe Le Mescam : La question est de savoir jusqu’à quand les Restos pourront distribuer six repas par semaines à une population dans le besoin qui ne cesse d’augmenter. Nous avons mis en place une enquête pour avoir des réponses.
Trois solutions apparaissent : diminuer le nombre de repas, diminuer la quantité distribuée par personne ou diminuer le nombre de personnes aidées. Ces trois solutions sont inconcevables selon la philosophie des Restos. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, les gens qui viennent nous voir ne peuvent pas faire autrement. En France, le seuil de pauvreté a été fixé à 830 euros. Nous, nous recevons des gens qui doivent vivre avec un tiers de cette somme. Les Restos existent depuis vingt-cinq ans, ce qui devait être exceptionnel est devenu nécessaire.