Les municipales et nous : l’élection vue du bistrot

Une langue déliée par le houblon vaut bien tous les sondages : à quelques jours des municipales, la fine équipe d’alter1fo a décidé de prendre la température dans les bars rennais.

L’idée, dans l’absolu, paraissait bonne. Puis vient le moment de s’y mettre et l’on est un peu refroidis à l’idée d’emmerder les honnêtes gens qui se détendent dans les bistrots. Mais il est trop tard pour reculer : à peine quelques verres pour se donner du courage et nous voilà en route vers « L’Union », rue d’Antrain.

À l’ « Union » : la tentation de la truite.

Dans ce PMU tranquille règne l’ambiance paisible d’un apéro de fin de semaine. On n’en mène pas large avec notre micro, mais on entame tout de même la conversation avec Jean-Pierre*, accoudé sur le zinc : la cinquantaine passée, chevelure blanche, robuste et court sur pattes, Jean-Pierre est un vieux Rennais qui affirme fièrement n’avoir jamais manqué à son devoir électoral. Pourtant, cette fois, il avoue : « j’aurais pu être tenté d’aller pêcher la truite ». 

Les raisons de ce déficit d’enthousiasme ? « J’ai toujours voté un maire, j’ai voté un homme. Je ne me suis pas trop occupé de sa couleur politique. Bon, Front National, je ferais attention. Mais j’ai voté Fréville, j’ai voté Hervé… Hervé était socialiste ; mais il aurait pu être radical ou autre chose, j’aurais quand même voté pour lui. (…) Maintenant, ça devient trop politique ! C’est comme si on on votait les députés ou le président : c’est gauche, droite, gauche, droite… Il y en a ras-le-bol ! Quand on voit le résultat… »

Union

Enrôlé malgré lui dans ce jeu qui lui semble absurde, Jean-Pierre défend la prise en compte des votes blancs : « L’abstention, c’est quelqu’un qui n’y va pas. Le mec qui fait son devoir, s’il vote blanc, c’est son droit le plus absolu ; ça exprime beaucoup de choses… On devrait quand même faire attention à tous ces gens là ! »

Pour autant, cette fois encore, Jean-Pierre ne cédera pas à l’appel de la truite ni à la tentation de l’enveloppe vide. « Il y a une candidate que j’estime, sur une certaine liste. Je voterai peut-être cette liste par reconnaissance pour cette personne, puisqu’on n’a pas le droit de panacher ».

L’homme ne nous en dira pas plus : on change de bar.

À l’ « Oméga* » : « C’est Delaveau qui repassera, non ? »

De cette porte qui s’ouvre alors jaillit une atmosphère suave de bière et de tabac. Pas d’écran de télé, pas de déco pompeuse ; en guise de sono boum-boum, une pauvre guitare et un banjo quelque part au fond de la salle, des voix qui chantent, des rires qui fusent, des cigarettes qui se consument au fond des cendriers. On est dans l’un de ces rades anars comme il en reste quelques uns à Rennes, dont le lecteur nous excusera de ne pas divulguer le véritable nom – c’est comme les coins à champignons, ça se prête pas.

On rencontre d’abord Patrick. Patrick est « auteur, acteur, poète ». La cinquantaine blanchie, il parle bien, porte beau.

S’il vote ? « Je n’ai jamais voté de ma vie. Si, pour un copain une fois, un copain député. Ma vie politique c’est ma vie quotidienne, ma façon de vivre. Les politiciens, ça fait longtemps qu’ils n’y croient plus : c’est du bidon, la démocratie ». La vie politique locale, il la suit de très loin. « Ça m’empêche de travailler, ça m’empêche d’écrire. (…) Il y a de fortes chances pour que ce soit Delaveau qui repasse, non ? ». [Daniel Delaveau ne se représente pas, ndlr]

Omega

Jean-Luc, de l’autre côté du bar, ne partage pas le même détachement. Petit, grisonnant, rondouillard, il a le verbe affable et la tête avenante du parfait compagnon de bar. Rennais de toujours, il est né rue de Saint-Malo et a voté pour la première fois en 1983 : « Hervé, j’adorais ce mec là ». Il a toujours voté à gauche depuis. Sa ville lui est chère, même si une chose l’agace : « l’immeuble Jean Nouvel, au bout du Mail. Pour une ville socialiste, ça fait bizarre… » Cette fois, il hésite entre Lutte ouvrière – il a un copain sur la liste – et le Parti ouvrier indépendant au premier tour. Au second tour, il sait qu’il votera pour la socialiste Nathalie Appéré : « Chavanat, je peux pas le voir ».

Les minutes passent, les conversations s’enchaînent et dans cet endroit tendre et gai, l’équipe d’alter1fo se sent gagnée d’une dangereuse torpeur. Il est temps de changer d’ambiance…

O.-F.

 Au « Derrick* » : virage à droite

On l’appellera « Le Derrick » : c’est aussi un bar fumeur, mais celui-là ne risque pas grand chose. Situé près de l’hôtel de police, la maréchaussée représente une part notable de sa clientèle. Cela explique sans doute que les cendriers y trônent sans crainte sur le bar dès l’heure de l’apéro…

C’est ici que déjeune souvent le candidat FN aux municipales. Quand celui d’entre nous qui a le plus une tête de gauchiste (si si, il y a des têtes) demande au patron sa couleur politique, il se voit offrir un stylo siglé FN. L’homme s’amuse du geste de recul instinctif de notre collègue mais pour le reste, il faut dire une chose : on est accueillis plutôt cordialement, quand bien même on ne respire pas la France bleu marine. On nous laisse sortir les micros, interroger les clients.

Dierrick

Michel*, par exemple, ne croit pas du tout en la politique ; pas même au FN, dont il pense que « ce sont un peu des charlots ». Ce grand gaillard à l’abord plutôt rude garde un certain respect pour ce qui s’est fait à Rennes, « y compris du temps d’Hervé » – mais il trouve qu’actuellement tout se ramène à la politique nationale, qui le dégoûte. Une antienne qu’on aura entendue un nombre incalculable de fois ce soir là, et dans tous les lieux qu’on aura visités. Quand Michel aborde la question des impôts locaux, on craint un instant de le voir perdre son sang froid…

Daniel*, à côté, garde parfaitement la maîtrise de ses nerfs quand il nous déroule un discours militant bien rôdé : il votera FN, pour lutter contre la politique de travaux « somptuaires » des décideurs actuels, « qui veulent marquer leur passage avec l’argent des contribuables ». Dans la construction, dans les politiques sociales, il semble convaincu qu’il existe à Rennes un climat de triche et de corruption…

On aurait bien aimé en entendre plus ; mais la mauvaise musique FM qu’on subissait jusqu’alors se change en R’n’B français à pleine balle, et l’équipe d’alter1fo a les esgourdes qui saignent : c’est l’heure de notre ultime étape.

Ouest France 4

Au « Flaubert* » : l’ordre des priorités

« -Qu’est-ce que vous foutez là ?! C’est un bar de vieux, ici ! »

La patronne du « Flaubert » – on l’appellera ainsi – nous toise derrière son bar. C’est une assez belle sexagénaire blonde, bien conservée, soigneusement apprêtée et profondément bourrée.

« Je vous connais ou quoi ? Nan parce que des fois je me souviens plus, quand je picole ».

Ambiance formica blanc, RFM à fond dans les enceintes, BFM TV sur l’écran et ce pauvre Flaubert, dans un cadre accroché au mur, qui est comme au purgatoire. Il est déjà 22h45 – un peu tard, nous semble-t-il, pour ce qu’on est venus faire.

On tente bien d’entamer la conversation avec Loïc* et Bernard*, accrochés au zinc. L’entreprise est désespérée : les deux vaillants éthylonautes sont en train de quitter les rives du langage articulé pour les mers cotonneuses de la murge impériale. Derrière le bar, la patronne se prend pour Tom Cruise dans « Cocktail » : elle fait fait tourner autour de sa tête des demis d’où la bière gicle abondamment, tape la mesure en fracassant sur le bar un manche à balai, lance en l’air des glaçons qui ne retombent jamais dans le verre – ou alors en le brisant.

On reste un peu cons devant un tel spectacle, avec nos questions sur les municipales qui semblent totalement hors-sujet. C’est alors que, soudainement calme, elle nous tend une perche en annonçant, comme pour elle-même :

« -C’est bientôt dimanche…. »

On s’apprête à saisir la balle au bond, quand notre hôte poursuit :

« …J’ai envie de baiser !».

Électoralement parlant, on n’a pas su quoi en conclure.

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*les noms des bars et les prénoms des interviewés ont été modifiés.

Article réalisé avec la participation de : Pika, Jonathan, Guillaume, Eric, Lionel.

1 commentaire sur “Les municipales et nous : l’élection vue du bistrot

  1. zeugax

    Bravo pour ce morceau de bravoure en particulier chez Salambo qui a manifestement tourné citrouille

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