Le « Bateau ivre » met les voiles vers de nouveaux horizons…

Allez, au risque de passer pour un vieux grincheux, il nous faut vous avouer quelque chose. Depuis quelques années, la disparition – lente mais progressive – de nos bistrots préférés nous affecte. Sans tomber dans la caricature du « c’était mieux avant », même si on le pense très fort, le nombre de troquets où l’on s’y sent bien, se réduit comme peau de chagrin.

Personnellement, franchir la porte d’un troquet, c’est avant tout pour y trouver une ambiance insufflée par celles et ceux qui passent la plus grande partie de leur temps derrière le zinc. Peu importe l’éventail des bières en pression, d’être servi rapidement ou de pouvoir s’installer sur de grandes tablées à la mode « berlinoise-BierGarten », l’essentiel est ailleurs. Peu quantifiable ou mesurable, c’est la rencontre avec l’ « autre » que l’on recherche. Mais à Rennes, le marché des bars étant accaparé par de « discrets patrons qui rachètent tout » et avec cette foutue gentrification qui aseptise et uniformise, il n’est pas étonnant de voir disparaitre tous ces petits lieux atypiques.

Du coup, nous étions bien tristes en ce mois de Janvier lorsque  Jérôme et Sébastien, les 2 gérants du « Bateau Ivre » de la rue de la Visitation,  nous annonçaient, sans aucune autre forme d’avertissement, leur volonté de passer la main. On se souvient être parti, penaud, en repensant aux nombreuses heures passées, assis en terrasse, une pinte ou un verre d’orélie à la main, à contempler les gens qui passent

Oui, nous étions bien tristes ce jour-là.

 

··· INTERVIEW ···

 

Alter1fo : Jérôme, peux-tu nous rappeler le début de l’aventure « Bateau Ivre » ?

Jérôme : On a acheté ici au printemps 2010 et ouvert le 1er avril de la même année. Tu vois, à quelques semaines près, nous aurions pu fêter nos 10 ans (rires…) Avant le « bateau », avec mon frère, on a tenu l’« Union », un bar situé rue d’Antrain pendant 8 ans. C’était aussi une super aventure même si, vers la fin, c’était devenu un peu compliqué. Le propriétaire nous avait bien fait comprendre qu’il fallait  partir… en augmentant de 100 % le loyer !

Alter1fo : C’était quand ça ?

Jérôme : En 2008. L’année où l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics prenait effet. On a donc eu 2 ans de pause entre les 2 commerces. Pendant ce temps-là, on a vivoté à droite, à gauche. Mon frangin a été postier, a bossé au « p’tit vélo » tandis que moi, je me suis retrouvé au « p’tit coin », place saint-Michel.

Un jour, Sébastien en a eu marre et a discuté de ses envies professionnelles avec un agent immobilier qui lui demandait alors ce qu’il recherchait. Sébastien lui a donné l’exemple du « bateau ivre » et coup de chance, le gars lui rétorque qu’il venait tout juste d’être mis en vente. On a vite monté un dossier sans trop y croire car on n’avait pas trop de thunes et puis finalement, c’est passé.

Alter1fo : Mais sinon, ça se passe comment en vrai ? On se lève un matin en se disant : « tiens, je vais passer mes journées et mes soirées derrière un comptoir ? »

Jérôme : Il faut dire qu’avec mon frangin, on a très vite été plongé dans le monde du commerce. On peut presque dire qu’on est né dans le restaurant de nos parents, à Gosné. En 1982, mon père et ma mère reprennent le « Saint-martin » près du canal, à 10 mètres du café-concert mythique des « Tontons Flingueurs ». Du coup, on a toujours filé des coups de mains. Surtout après le décès de mon père en 1995. Et puis, moi et les études, on ne s’entendait pas trop… D’un commun accord, on s’est séparés (rires…) Au lieu de faire un remplacement de 15 jours au « p’tit vélo », j’y suis resté pendant 4 ans. C’est là que j’ai véritablement choppé le virus.

Alter1fo : Bosser avec ton frère, c’était forcément une évidence ?

Jérôme : Exactement ! Mieux, nous avions même eu l’idée de bosser ma mère, mon frangin et moi.  On a évoqué un temps de reprendre l’ « Univers », place Saint-Germain. Ma mère aurait été présente pendant les services du matin et du midi et nous, le soir… mais bon, cela ne s’est pas fait.

Jérôme et Sébastien. The show must go on !

Alter1fo : Vous avez donc repris la suite de Fabrice Chauvel, qui s’est lancé depuis dans l’hôtellerie…

Jérôme : Avec le « Bateau », Fabrice a su créer un bel endroit.  Gérer un tel établissement pendant 14 ans, ce n’est pas rien, c’est remarquable. Même si on ne se connaissait pas, nous avions des amis et une clientèle en commun. Le courant est très bien passé entre nous, nous étions sur la même longueur d’onde. Comme Fabrice ne voulait pas vendre à n’importe qui, cela s’est déroulé très simplement…

Alter1fo : Vous avez gardé le même nom… C’est par manque d’inspiration ou par choix ?

Jérôme : C’est un vrai choix. Le lieu nous plaisait et ce qu’avait construit Fabrice nous convenait parfaitement. Nous ne voulions pas arriver en mode lourdingue, genre « salut, c’est nous les nouveaux proprios, on débarque, on change tout ! » Au contraire, on peut voir cela comme un passage de relais. D’ailleurs, cela s’est déroulé de la même façon avec la reprise de l’« Union ». Le lieu fait partie des plus vieilles enseignes avec le café de « La Paix », place de la République. On ne se voyait pas changer de nom.

Alter1fo : Entre l’ouverture et la fin de l’aventure, 10 années se sont écoulées. La consommation dans les bars a-t-elle changé selon toi ?

Jérôme : Carrément. Je me rappelle qu’à nos débuts, on servait comme bière de base, de la Kanter’. Ça représentait presque 80% de mes ventes, tu vois… 10 ans plus tard, les gens n’en boivent plus et n’en veulent plus surtout. Maintenant, il te faut de la bière artisanale, de la bière locale… Beaucoup de gens viennent pour ce que tu leurs sers. Le gout s’est affiné. Même les plus jeunes s’y connaissent et savent quelle bière est vendue dans quel bar… Tant pis pour la Leffe, la Grimm’ et la Kanter’, c’est dépassé tout ça !

ALTER1FO : Toi-même, tu es un amateur de bière ?

Jérôme : Pas du tout (rires… ) ! Pendant longtemps, je ne buvais que de la bière de base. Mais j’ai été  à l’écoute des demandes de mes clients. Je me suis intéressé par la force des choses et j’ai été aussi très bien conseillé.

Jérome et Sébastien. The show must go on !

Alter1fo : En plus de la bière, il y a aussi l’ambiance qui plait et qui nous fait devenir alcoolique un·e client·e assidu·e Comment cela se construit ?

Jérôme : Selon moi, la musique joue énormément dans l’ambiance du bar. Étant musicien, j’ai la chance de pouvoir en écouter à longueur de temps et de découvrir pleins de choses tout en les partageant. Du coup, j’ai pas mal de potes artistes qui trainent au bar, cela crée une émulation et une ambiance sympathique. De toute manière, quelqu’un que je n’aime pas, je lui fais bien comprendre qu’il n’a pas à sa place ici…

Alter1fo : 10 ans, c’est long ! Il y a forcément des tonnes de souvenirs… si je te demande d’en citer un, comme ça, à la volée, tu me citerais quoi ?

Jérôme : La soirée organisée dans le cadre de I’m From Rennes en partenariat avec DLF (Derrière La Fenêtre, ndlr). C’était une soirée totalement rock n’ roll avec la venue de « We are von peebles ». Le groupe a joué hyper fort, tout le monde s’est retrouvé dehors, impossible de rester à l’intérieur. Pire, même en terrasse, ce n’était pas tenable (rires…) Mais moi perso, j’ai passé un excellent moment. Sinon, je me rappelle aussi du concert mémorable des « Living funk ». Finalement, je me suis fait pleins d’amis grâce à la musique et aux longues discussions que j’ai pu avoir… En y repensant, une grosse partie des groupes programmés et qui ont joués ici  font partie de ma bande de potes.

Alter1fo : Justement, cette proximité avec laquelle on pouvait discuter avec toi se perd un peu dans les nouveaux bars rennais. Sur le mail, par exemple, on a tendance à picoler à l’extérieur du bistrot…

Jérôme : Sans porter de jugement, aujourd’hui, il existe effectivement une autre manière de consommer.  Avec le Oan’s, le Melody maker ou le Bar de la plage, pour ne citer qu’eux, nous devons être les derniers « artisans », dans le sens où nous ne possédons que notre propre bar.  Et ça nous suffit (rires…)

Et puis, je préfère que mes clients soient à l’intérieur ! L’endroit est chaleureux alors autant en profiter. C’est pour cela que je n’ai jamais voulu mettre de barnum d’ailleurs, encore moins de terrasses chauffées. C’est d’un chiant à installer, à ranger et j’aurais eu l’air malin à me retrouver seul au comptoir et mes clients dehors ! Bref, on travaille encore à l’ « ancienne ».

Alter1fo : Justement, moment nostalgie : beaucoup regrettent le Rennes, « ville rock » d’avant. Tu as entendu l’ appel du collectif « Rennes Concerts en Danger ». Tu as peut-être un avis ?

Jérôme : Pas forcément. Même si, nous avons organisé pas mal de concerts  dont des soirées « jazz-manouche », nous ne sommes pas ce qu’on appelle un « café-concert ».  Mais aider les lieux à être mieux insonorisés est sans doute le début d’une solution pérenne.

Alter1fo : En parlant « volume », vous n’avez jamais eu de plaintes, ni de fermetures administratives pour « nuisances abusives » ?

Jérôme : Non. Nos voisins ont été très cools mais nous faisions attention aussi de notre côté. Je crois quand même avoir reçu une plainte après une soirée « mix-Dj ». On avait tellement chaud qu’on avait ouvert la fenêtre, celle au fond du bar. Toute la rue Bertrand a morflé. On s’en est rendu compte que le lendemain. Ça nous a servi de leçon (rires…)

Alter1fo : Malgré toutes ces belles années, vous arrêtez. On peut savoir pourquoi ? 

Jérôme : Il y a deux ans, je me disais qu’il fallait innover pour relancer une dynamique. On a alors eu l’idée de s’associer avec Max’ qui bosse au « p’tit vélo ». C’est lui qui m’avait embauché en 96. C’est un très bon ami qui  vient fréquemment ici… Malheureusement, cela ne s’est pas fait à cause des travaux à côté. (Projet de maison de ville contemporaine par le promoteur Giboire, NDLR) Et puis, même si c’est un métier que j’aime passionnément, cela demande beaucoup d’énergie. Je commençais vraiment à être rincé, mon frangin aussi. On a bien réfléchi et mis en vente. Max’ a fait une offre et voilà !

Alter1fo : Vous n’avez jamais été sollicités par ces gros propriétaires qui rachètent tout dans le centre-ville ?

Jérôme : Non, jamais. De toute manière, nous n’aurions pas vendu à quelqu’un qui aurait changé radicalement l’esprit du bar !

Alter1fo : Vous allez faire quoi, toi et ton frangin, une fois que vous aurez rendu les clefs ?

Jérôme : Rien (rires)… Tu sais, j’ai bossé pendant 18 ans au rythme de 70 heures par semaine. Là, je vais juste en profiter. Je verrais selon mes envies dans quelques mois mais franchement là, c’est repos !

Alter1fo : Merci beaucoup, merci pour tout !

Tally Ho! : « On aimerait bien sortir un nouvel album ou un EP d’ici un an. On sent qu’on continue de progresser. »

Rennes, ville (de moins en moins) rock ?

2 commentaires sur “Le « Bateau ivre » met les voiles vers de nouveaux horizons…

  1. Yo

    Merci les gars !

  2. ROM1

    allez on souffle les gars et on supporte le SRFC comme on peut ^^ les bécots

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