L’Antipode rentre en transe !


Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueLes trois salles de musiques électriques et amplifiées rennaises font leur rentrée en rafale en cette fin de semaine
: soirée à l’Ubu le jeudi, concerts au Jardin Moderne ce samedi soir et Curiosités en tout genre à l’Antipode hier soir. La salle de Cleunay a en effet choisi de marquer sa rentrée avec une de ses soirées emblématiques : Les Curiosités du Dr Fullmoon
. Depuis quelques années, on retrouve ces moments un peu décalés, souvent fantaisistes et étranges initiés par le Dr Fullmoon plusieurs fois par saison, autour de soirées thématiques. Hier, le célèbre Docteur rennais conviait le public à entrer dans la transe… chamanique.

Vendredi, 21h00. On accède à l’Antipode remodelé et transformé pour l’occasion par une allée bordée de bols-torches qui nous mettent tout de suite dans l’ambiance. On s’approche et on est aussitôt accueilli par le maître de cérémonie en personne, Pierre Blanc (aka Nery), sérieux dans son complet sombre rehaussé de broches fourchettes et cuillères sur les poches. Il nous souhaite la bienvenue et nous offre des billets de banque Fullmooniens à déposer en offrande au pied de nos totems préférés dans la grande salle. Dociles, on obéit et on se dirige vers la grande salle dans la pénombre, les narines déjà pleines d’encens, pour observer les totems exposés et les objets rituels des différents chamanismes de toutes les régions du monde. On a à peine le temps de se recueillir devant le tambour d’un chaman indien, qu’un homme au fond de la salle prend la parole.

Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueIl s’agit de Laurent, animateur d’une association sur le néo-chamanisme. Look baba-cool, à la limite du G.O. du club Med, il explique les différentes manières d’entrer dans la transe chamanique, des ingestions de plantes à la sudation, en passant par les danses. Pour confirmer ses propos, il nous propose aussitôt de rencontrer Diane Bellanger, une vraie chamane québécoise. Celle-ci, explique-t-il, est depuis 8 heures dans une tente-quechua de sudation afin de se préparer à cette soirée.

On est alors invité à s’asseoir en cercle autour de la tente Decathlon 10 places, elle-même entourée d’une rangée de bougies allumées. Diane Bellanger sort de la tente et s’avance alors au centre du cercle. Elle ne dit rien, les yeux clos. Laurent en profite donc pour demander au premier cercle de se présenter un par un selon la formule « Bonjour, je m’appelle… » . Dans ce cercle, ils sont une bonne vingtaine… Simon, Adèle, Madeleine, Thierry… Une fois ce rituel de bienvenue achevé, la jeune et belle Diane Bellanger sort de son état léthargique en s’exclamant avec ce charmant accent québécois : « oh, tu es venue, Madeleine, comme c’est gentil d’être là »… Et cela en se souvenant du prénom de chaque membre un par un (NDLR : les prénoms utilisés dans cet article ne sont peut-être pas les bons, nous n’avons pas autant de mémoire que Diane Bellanger) stupéfiant l’organisateur. Laurent, vous l’aurez compris, tout comme la chamane québécoise, Diane Bellanger, sont les personnages du spectacle Amanita Muscaria ( a priori le nom savant de l’amanite tue-mouches qui ingérée, peut conduire à la transe) proposé par la Compagnie des Femmes à Barbes.

Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueLes deux comédiens expliquent que l’idée de ce spectacle leur est venue d’un vrai intérêt pour le chamanisme mais qu’ils souhaitaient « soulever la question de l’appropriation et de la restitution de ces pratiques ancestrales sous nos latitudes » . Aussi, Laurent, le personnage adepte du néo-chamanisme, révère cette pratique davantage pour son côté spectaculaire que pour la spiritualité qu’elle véhicule. Sa vision forcément très occidentale ne lui permet pas de comprendre l’altérité de cette pratique. Au fil du spectacle, on retrouve aussi « l’amalgame parfois constaté entre business et chamanisme » . Ainsi le spectacle fait rire et sourire mais le respect pour le chamanisme est très présent. Et c’est d’ailleurs ce qu’on constatera toute la soirée. Celle-ci évoluera constamment sur un fil, voltigeant habilement entre dérision et respect du chamanisme, sans jamais tomber dans l’un ou l’autre excès. Bravo aux organisateurs, déjà, pour cet exercice de voltige réussi.

Après un final baudelairien, durant lequel Diane Bellanger brandit la tête de Laurent décapité, après que celui-ci a vidé ses tripes dans un seau en plastique, Amanita Muscaria s’achève. Aussitôt Pierre Blanc invite les spectateurs à une transe criée, main dans la main. A côté de nous, un spectateur décalé, s’amuse et amuse la foule avec la complicité habile du maître de cérémonie. On est alors invité à déambuler dans l’Antipode pour découvrir différentes activités proposées : magnétiser l’eau potable et la débarrasser de ses nitrates en frottant ses mains sur les poignées d’un récipient métallique (on a vu Jean-Louis Brossard s’y essayer consciencieusement), rencontrer l’esprit du feu sous la forme d’un pompier volontaire de Limoges dans une baignoire dans une pièce fermée (on n’a pas essayé), assister à une incarnation de l’esprit de l’air en la danseuse Laina Fishbeck, partie dans une danse sans fin derrière un paravent… Entre temps, Pierre Blanc nous propose de choisir notre symbole. Si nous devions choisir une transe, serait-elle plutôt africaine ou bien sud-américaine ? Je repars avec un dessin d’une racine de peyotl accrochée à ma veste.

Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueEntre temps, le dunkerquois Feromil s’est installé dans la grande salle. Une ampoule bleue comme seule source lumineuse, un masque à gaz datant a priori de la première guerre mondiale sur le visage et un détecteur de métal comme seul instrument, Feromil intrigue. Autour, les projections d’images de moteurs et de pistons du collectif Vitrine en Cours sont un vrai plus. Feromil commence ses symphonies pour métal à l’aide de son détecteur simplement relié à deux pédales (boucles et effets) posées sur une table à côté d’une valise métallique autour de laquelle l’artiste tourne afin de faire varier les sons produits. On est complètement surpris par la prestation. On ne soupçonnait pas qu’un détecteur à métaux pouvait susciter autant d’émotions. A la fois répétitive et mélodique, la musique de Feromil, faite à partir de presque rien, saurait en remontrer à pas mal de musiciens électro. Bien sûr, c’est peut être un peu difficile d’accès pour certains, cette transe moderne métallique, mais de notre côté, on est resté hypnotisé.

Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueCe qu’il y a de chouette avec le Dr Fullmoon, c’est qu’il propose des spectacles variés. Et sitôt après Feromil, on enchaîne sans temps mort avec le moment le plus magique de la soirée : le théâtre d’ombres de Philippe Beau. On arrête les poses blasées pendant plusieurs minutes et on écarquille les yeux très grands comme si on avait six ans. Derrière la toile blanche éclairée, les mains de l’artiste font évoluer les animaux totems du chamanisme amérindien, africain ou d’Amérique du Sud… Un faucon des Andes nous emmène avec lui dans des contrées plus ou moins lointaines où on retrouve des cervidés, un éléphant, des bédouins qui se parlent dans la lumière du soir ou des zébus entre autres. Pleine d’humour, la présentation est tour à tour féérique et drôle, comme lorsque le lapin se fait manger une oreille puis l’autre par un loup derrière lui ou que la figure de Belzébuth apparaît sur la toile. On est en plus complètement ébahi par le travail sur les points de vue et les mouvements mené par Philippe Beau. On a l’impression d’une caméra qui zoome, travellingue, ou change d’angle. On est loin d’un simple jeu de doigts dans la lumière. Il y a un travail de composition visuelle très impressionnant. Quand le dernier plan s’achève sur un chat ronronnant, le public a un sourire jusqu’aux oreilles d’émerveillement.

Les curiosités du Dr Fullmoon @ L'Antipode - Voyage chamaniqueC’est alors au tour de Congopunq d’entraîner le public dans la transe. Bum, le percussionniste chanteur (moitié de Bumcello) est vêtu d’une peau léopard et d’un caleçon-slip-kangourou coloré. C’est lui le musicien : batterie, piano à pouces et quelques boucles de basse et le tour est joué, il ne reste plus qu’à ajouter quelques incantations chantées. A côté de lui, totalement à contre-emploi, la danseuse. N’imaginez pas une belle sylphide à moitié nue. On vous a dit : décalé…  C’est plutôt un grand barbu d’au moins un mètre quatre-vingt-dix, vêtu de peaux de bêtes qui commence une transe habitée derrière un masque tribal.

Pour autant, Dr Kong n’est pas là pour coller avec le thème. Aussi enchaîne-t-il les actions totalement absurdes, sans aucun lien avec la musique : il recouvre les pages d’un calendrier de tapenade (ou du moins, c’est un truc qui y ressemble) pour les lécher, balance un flexible et un pommeau de douche au bout de sa bouche, monte une structure géante de tuyau PVC pour la recouvrir de plastique noir ou se frotte l’entrejambe avec un coussin-poche… Et s’interrompt parfois pour danser.Le public s’est clairesemé mais ceux qui sont restés dansent pour certains avec une fièvre endiablée. C’est avec cette prestation tribale décalée que s’achève cette nouvelle édition des Curiosités du Dr Fullmoon.

Photos : Caro

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Site de l’Antipode

1 commentaires sur “L’Antipode rentre en transe !

  1. Nery

    Merci pour ce joli compte-rendu qui nous permet de revivre la soirée sous d’autres angles …

    A très bientôt …

    Pierre Blanc (Néry)

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