La Ruche et l’Artiste Assoiffé se sont dit oui!

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« L’homme n’était pas destiné à faire partie d’un troupeau comme un animal domestique, mais d’une ruche comme les abeilles. »

Emmanuel Kant

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Imaginez la scène. Il est 19h, vous allez commencer à cuisiner. Au menu, poisson et carottes vapeurs. Et là, stupeur. Un léger rictus de dégoût accompagne la vue de vos carottes toutes fripées et noircies achetées la veille à l’hypermarché. Et pourtant, elles paraissaient si belles dans ces cagettes en bois avec leurs couleurs si vives(1).

Bref, cette fois-ci, cela ne passe plus, finies les heures passées dans les allées impersonnelles d’une grande surface, vous avez décidé de vous prendre en main, ou plutôt de vous réapproprier votre mode de consommation. Eh bien, dites-vous que vous n’êtes pas le seul!

Suite aux nombreux scandales agroalimentaires, souvent nés d’un souhait de connaître l’origine des aliments, de retrouver des saveurs trop souvent disparues au terme d’un long périple, en camion, ou pire en cargo de nuit, les circuits courts, même s’ils existent depuis toujours, ont aujourd’hui le vent en poupe et se multiplient.

Un exemple parmi d’autres, le système de « La Ruche qui dit oui! », sorte de commerce combinant achats groupés et circuits courts, qui vient de s’ouvrir en centre-ville de Rennes, après celle de Bréquigny et de la Bellangerais.(2)

Un circuit court, déjà c’est quoi ?

Selon le Ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, est considéré comme un circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire. On remarque que la notion géographique et la distance d’acheminement n’existe pas, tout comme la référence au mode de production. La ruche qui dit oui! va un peu plus loin en affichant un slogan alléchant : « Manger mieux, manger juste ».

Matthieu qui gère cette nouvelle ruche du centre-ville nous l’explique.

Matthieu Béguet : « La Ruche qui dit oui! est un système qui met en relation les producteurs locaux et les consommateurs sur un secteur donné. Il s’agit d’une forme de vente et de consommation en circuit court, il n’y a pas d’intermédiaire autre que la ruche. Ce qui est essentiel et commun à toutes les ruches, c’est que les producteurs ne peuvent être éloignés de plus de 250 km des consommateurs. Pour cette ruche de l’Artiste Assoiffé, la plupart sont issus du département de l’Ille et Vilaine. »

Ainsi, chaque adhérent se voit offrir via la plateforme internet de la ruche une liste de produits. Toutes les semaines, ils peuvent commander au détail et venir récupérer leurs achats, pratiquement de main à la main avec les producteurs lors de « petits marchés éphémères ». Pour celle du centre ville, cela se passe le lundi soir de 18h30 à 20h30, au bistrot de l’Artiste Assoiffé.

Question souplesse et liberté, dur de faire mieux : l’inscription est gratuite, sans engagement et les consommateurs s’assurent de leur propre achat : grosse différence par rapport au système de l’AMAP par exemple, où l’on devait s’abonner à l’année, payer d’avance (3) et récupérer obligatoirement toutes les semaines des paniers sans trop savoir ce qu’il y avait dedans.

Ici, à la ruche, les contraintes sont relativement minimes : pouvoir venir récupérer ses achats à la date fixée par la Ruche, et que des quantités suffisantes soient achetées afin ne pas faire déplacer un producteur pour seulement trois crottins de chèvre. Ce qui semble assez logique.

Matthieu Béguet : « Dans la ruche, tu peux choisir un kg de carotte une semaine si tu as envie et ne plus rien prendre pendant 3 semaines… Chaque artisan peut proposer son produit. Ici, à notre ruche, il y a des cosmétiques venant de Poitiers et on trouve même de l’absinthe bretonne ! »

Le choix est donc varié, agriculture bio essentiellement mais pas que : frais, légumes, fruits, fromage, crèmerie, miel, fleurs, etc… Matthieu met un point d’honneur à connaitre chaque producteur de sa ruche : hors de question de proposer et d’afficher un produit à la vente qui ne correspond pas à la philosophie du mouvement.

Matthieu Béguet : « Je suis allé démarcher les producteurs de la ruche de Bréquigny que je connaissais déjà et dont j’aimais les produits : certains ont accepté de venir ici car ils aiment ce principe des circuits courts : « plus il y en a, mieux c’est pour eux aussi. ».

Sinon j’en ai contacté pas mal à travers mes connaissances, mais aussi en allant sur les marchés notamment celui de Sainte Thérèse. Ensuite, tout producteur peut s’inscrire de manière personnelle sur la ruche. Dans ces cas-là, je les rencontre toujours . Je n’accepte pas de produits de quelqu’un que je ne connais pas. J’ai envie de savoir comment il travaille, comment il pense. »

David Dugueperroux, producteur de lait, de crèmes glacées pour le moment car le garçon foisonne d’idées et de projets, a bien voulu poursuivre l’aventure en proposant ses produits à l’Artiste Assoiffé, en plus des deux autres ruches de Rennes. Ce dernier proposait même ce lundi 31 mars, jour de distribution, une dégustation de ses toutes nouvelles chouquettes.

Il nous explique sur ce qui le motive à participer à La Ruche qui dit oui! :

Producteurs passionnés et amoureux du travail bien fait, la qualité est donc assurée dans l’assiette. Et cela plait. C’est d’ailleurs la principale raison donnée par les personnes qui adhérent à ce projet. « Manger mieux » qu’on vous dit…

Exemple de Sandrine et Marc, adhérents à la première Ruche qui dit oui! de Rennes, celle de Bréquigny :

Sandrine et Marc : Nous y allons pour l’idée du circuit court et d’un mode de consommation alternatif à celui des grandes surfaces, pour la rencontre avec les producteurs et aussi parce que Gilles qui gère la ruche sur Bréquigny est adorable. La qualité des produits est aussi importante pour nous. Nous aimons bien aller aux Lices et la ruche en est un complément. Ce qui nous plait aussi, c’est l’originalité de certaines propositions. »

Un unique intermédiaire, moins de transports, limitation de toute forme de packaging, la Ruche garantit donc des produits de qualité au prix le plus juste.  Les circuits courts limitent les coûts à la seule main-d’œuvre utile à la production et restent relativement abordables, sachant que beaucoup sont issus d’une culture biologique.

D’autres seront parfois plus chers que dans la grande distribution, mais peut-on les comparer : entre une agriculture raisonnée et une agriculture intensive, entre artisanal et industriel,  entre une production lente et rythmée par les besoins des animaux et un élevage intensif élevé aux hormones et antibiotiques ? Et n’oubliez pas que votre supermarché est un système diaboliquement étudié par des cerveaux sacrement disponibles pour vous faire consommer toujours plus et même ce dont vous n’avez pas besoin : publicité visuelle, agencement des rayons, ambiance sonore…repensez un peu à ces cagettes en bois et ce vaporisateur sur les fruits et légumes.

Matthieu Béguet : « Il n’y a pas que la qualité qui se paye. Ce sont souvent des artisans qui travaillent seuls. Notre fromagère, par exemple, est toute seule à travailler, son camembert ne s’achète donc pas deux euros comme au supermarché. Par contre, certains légumes sont aux mêmes tarifs que ceux pratiqués sur certains marchés, et parfois moins chers qu’au marché des Lices. »

Ainsi, quand d’autres se font étrangler par des centrales d’achat ou d’autres coopératives, la ruche permet de rémunérer correctement les producteurs car même si le client est roi, c’est bien le producteur qui fixe ses prix (on en revient au manger juste). Le prix payé par le consommateur est distribué entre le producteur (qui touche 83,3% HT), le responsable de la ruche (8,35%) qui anime son réseau (Matthieu passe au minimum 15 heures par semaine sur toute l’organisation) et la Ruche Maison Mère à Paris (8,35%) qui assure le système de paiement, la maintenance du site, la facturation etc…

Transparence oblige, la start-up « La ruche qui dit oui! » ne cache pas cette dimension communautaire solidaire à mi-chemin entre le web et l’économie traditionnelle.(4)

Matthieu Béguet : « La ruche qui dit oui vient prendre 16,7% du prix hors taxe proposé par le producteur. Sur ces 16% il y a la moitié pour la société qui emploie des salariés pour gérer le site internet, toutes les transactions et système de facturation et la moitié restante pour moi. Ces marges sont bien inférieures à celle pratiquées dans la grande distribution. »

La ruche qui dit oui! version centre-ville est donc la petite dernière de Rennes.

Matthieu Béguet : « Les deux premières ruches étaient assez excentrées et je me disais qu’il en manquait une en plein centre-ville. Personnellement, j’étais déjà adhérent à celle de Brequigny mais cela m’ennuyait de temps en temps d’aller le vendredi soir récupérer mes commandes. Et puis, il s’est trouvé que je connaissais Vincent et Elodie les patrons de l’artiste assoiffé, qui avaient toujours eu envie d’avoir une sorte de petit marché. Pour eux, un bar n’est pas un endroit où l’on boit juste un coup : il faut qu’il s’y passe des choses. On a donc décidé de monter ça. »

Ouverte il y a à peine deux mois, la première vente ayant eu lieu le 24 Février, elle rencontre déjà un grand succès avec plus de 350 inscrits et une trentaine de producteurs. Preuve que Matthieu a eu une bonne idée et qu’une  attente existait.

Écouter les différents retours des adhérents à cette ruche, dans l’ordre Cédric, Betty, Tifenn et Louise.

Le résultat est convaincant. C’est du gagnant-gagnant. Et finis les lundis trop calmes place Saint Anne après un weekend trop festif : les jours de distribution, une ambiance chaleureuse s’installe autour du comptoir de l’Artiste Assoiffé. Elodie qui tient l’Artiste Assoiffé semble toute aussi heureuse de participer à ce nouveau rendez vous hebdomadaire qui semble s’installer, comme un rituel pour bien commencer la semaine. 

On vient chercher ses achats, tranquillement, on prend le temps, on se rencontre et on discute recette autour d’un verre, c’est un joyeux bordel, et ça nous change de la malédiction de la file d’attente qui n’avance plus et du trivial « Bonjour-Vous avez la carte du magasin-Merci-Au revoir » aux caisses des supermarchés. 

C’est d’ailleurs cet échange avec le consommateur qui pousse Cécile, productrice de lait et de porc en agriculture biologique à la Bouexière, à alimenter les trois ruches de Rennes de ses produits. Ce lien si précieux est  « une richesse » pour elle qui aime expliquer son travail autour de l’agriculture biologique. Comme une philosophie de vie. Triste rappel, la France est le 1er pays européen pour l’utilisation de pesticides loin devant l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne.(5)  

Matthieu Béguet : « Les distributions, c’est toujours speed mais c’est agréable. On rencontre pleins de gens, de 18 à 70 ans même si il y a beaucoup de jeunes actifs et d’étudiants à venir… En plus comme il n’y a pas d’échanges d’argent, c’est un moment convivial : la plupart des producteurs sont présents et peuvent discuter, expliquer leur manière de travailler, leur recettes pour cuisiner leurs produits, les gens restent aussi un peu boire un verre. »

Les jours de distribution sont aussi là pour faire découvrir de nouveaux produits comme pour les chouquettes de David (voir plus haut). Cyril, tout jeune brasseur (et oui à 37 ans, on est encore jeune !) tente l’aventure également et  proposait lui aussi lundi dernier de goûter sa production de bière. Rares sont les refus. Le moment est sympathique, on goûte, bière blonde, bière rousse…on réagit, Cyril écoute, évoque sa manière de travailler.

Sourire aux lèvres (et pour nous, les verres de bières), il nous explique sa démarche de participer à la Ruche qui dit oui!.

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Les crises successives récentes (fraude à la viande de cheval, retour des farines animales) et une forte demande des consommateurs pour une meilleure qualité et traçabilité sont les principales raisons du succès grandissant des circuits courts et des circuits de proximité.

La Ruche qui dit oui! ne se revendique pas comme LA SOLUTION  miracle au problème « du mieux manger et du mieux vivre » mais pose sa pierre, tout comme les autres circuits alternatifs, à l’édifice de cette nécessaire prise de conscience de notre mode d’alimentation et de consommation.

Quand d’autres assument un « produire plus pour produire plus », au sein d’une chaîne agroalimentaire d’une complexité croissante  avec des conséquences souvent dramatiques : algues vertes, gaspillage, pollution par pesticides…, d’autres défendent une production raisonnée, éthique et respectueuse de l’environnement. Soutenir les petits producteurs locaux reste un rempart au développement d’exploitations de grandes tailles aux techniques intensives. Le choix nous appartient en bout de chaîne : nous sommes tous des consomm’acteurs même si plusieurs facteurs peuvent interagir sur notre décision finale (argent, déplacement, disponibilité, informations…). Mais rien ne nous empêche au moins d’essayer et pourquoi pas concilier différents modes de consommations pour commencer.

Alors prêts à tenter l’expérience de la Ruche ?

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Merci à Matthieu, David, Cécile, Cyril, Cédric, Betty, Tifenn et Louise et son ami, Sandrine & Marc…

Merci à Élodie et à l’Artiste Assoiffé!

Crédits Photos © Chusby

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Sans titre

(1) : Les fruits et les légumes sont souvent présentés dans des caisses en bois, de manière à nous faire penser que celles-ci viennent tout juste d’arriver de chez le fermier. De plus, les vendeurs n’hésitent pas vaporiser les fruits et les légumes avec de l’eau pour que ceux-ci paraissent plus frais aux yeux des clients. []

(2) : Toutes les deux ouvertes par Gilles Boulard.

(3) : Payer à chaque début de période à l’avantage de recevoir la totalité des paiements permet aux agriculteurs de planifier leurs récoltes en étant sûr d’en écouler une certaine partie et d’avoir une trésorerie suffisante pour réaliser des investissements nécessaires…

(4) : Pour info : elle compte à ce jour une douzaine de salariés et annonce un volume d’affaires de 500 000 €/mois soit un CA de 40 000 €/mois.

(5) : La consommation de pesticides en France représente environ 110 000 tonnes par an : l’agriculture est, de loin, le premier utilisateur de pesticides en France, puisqu’elle représente 90 % des utilisations totales. La France est le troisième consommateur mondial, après les États-Unis et le Japon et, de loin, le premier utilisateur de pesticides en Europe. Voir rapport Senat

 

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Site de Cyril et de sa brasserie : http://brasserie-du-tonnelier.fr/
Facebook de l’Artiste Assoiffé
La ruche qui dit oui sur Canal B : http://vimeo.com/87076748
Page alimentation.gouv.fr sur les circuits courts 

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1 commentaires sur “La Ruche et l’Artiste Assoiffé se sont dit oui!

  1. Mr B

    Parmi les producteurs les plus originaux qu’ont peut trouver à La Ruche, il y a Alg’Emeraude avec sa gamme de gourmandises iodées à base d’algues.
    Les 2 productrices ont lancé une souscription, elles ont besoin d’aide pour pérenniser leur projet:
    http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/coup-de-pousse-pour-alg-emeraude

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