Quand le journal « l’Agrafe » décortique les indices de position sociale (IPS) de Rennes.

C’est en 2019 que le journaliste-reporter Alexandre Léchenet a saisi la commission d’accès aux documents administratifs pour exiger la publication des indices de position sociale (IPS) des écoles, et collèges de France. Pour la faire courte, l’IPS résume le capital social, économique et culturel de la famille dans le rapport de l’élève à l’école. Plus l’indice est élevé, plus celui-ci évolue dans un contexte familial favorable à l’apprentissage.
Trois ans plus tard, après un jugement prononcé par le tribunal administratif de Paris, ces données sont, enfin, publiques. Très vite, elles sont décortiquées, analysées. On peut désormais connaître la sociologie moyenne par établissement. Et ô surprise (ou pas), le résultat est sans appel : les collèges privés concentrent en leur sein une part importante des élèves les plus favorisé·e·s, confirmant ainsi qu’une ségrégation scolaire est en train de se pérenniser en France.
Rédacteur au sein du journal collaboratif L’Agrafe, et étudiant à l’université de Rennes 2, Jean s’est lui aussi penché sur cette épineuse question de la mixité sociale à l’école en se focalisant sur les chiffres de la ville de Rennes. Rencontre avec le jeune homme dans un troquet de la rue de la Visitation.

Cartographie de l’indice de position sociale des écoles et collèges (France métropolitaine et DROM)

►► ALTER1FO : Bonjour Jean, peux-tu nous expliquer la genèse de ton long reportage, publié dans le journal L’agrafe ?

Jean : Tout a commencé avec la lecture d’un article publié dans Le Monde à l’automne dernier. Il racontait comment un journaliste a obligé le ministère de l’Éducation nationale à publier les indices de position sociale (IPS) de l’année scolaire 2021-2022. Curieux et intéressé, j’ai commencé mes recherches. Assez vite, je m’aperçois que cet indicateur est globalement traité par la presse à l’échelle nationale en relevant des enjeux généraux. Cela m’a paru abstrait. Il m’a semblé pertinent de se focaliser sur la seule ville de Rennes.

►► Quelle a été ta démarche pour appréhender ce vaste sujet ?

Avec mes partiels de fin d’année (décembre 2022, NDLR), je savais que j’avais à peu près un mois pour finaliser le sujet. J’ai d’abord de mon côté analysé les chiffres, tenté de repérer des grandes tendances. J’ai ensuite travaillé mes questions, contacté différents acteurs avec l’idée de donner la parole à tout le monde.

►► Tu expliques d’ailleurs que des questions sont restées lettre morte…  

Effectivement. J’ai tenté de contacter le rectorat de l’académie de Rennes. Je voulais connaître comment l’indicateur IPS était utilisé au sein de leur service. Sachant que c’est le conseil départemental qui définit la carte scolaire des collèges publics, je pensais que, naïvement, il n’y aurait pas eu de problème.

Malheureusement, je n’ai eu qu’une réponse laconique indiquant qu’il ne souhaitait pas commenter les analyses. C’est dommage, je pense que cela aurait pu intéresser beaucoup de monde, notamment ici à la faculté. Beaucoup de nos lecteurs étudiants se destinent à l’enseignement.

Et puis, je n’ai pas eu non plus de retour de la part la direction du collège privé de l’Assomption.

Note_alter1fo : Le collège privé Assomption, à Maurepas, possède le plus haut indice de Bretagne (141.1)

Clic pour accéder

►► Ces silences rappellent forcément la volonté farouche de l’éducation nationale à ne pas divulguer cet indice IPS.

Les raisons de cette obstruction par le ministère étaient la crainte de voir le phénomène d’évitement scolaire se renforcer. Mais cela ne tient pas. Les parents n’ont pas attendu la publication des IPS pour contourner la carte scolaire. Pour preuve, un professeur du collège Rosa Parks à Villejean que j’ai interviewé raconte qu’à la suite de la sectorisation multi-collèges, qui permet aux familles qui dépendent du secteur de choisir entre les deux collèges de centre-ville Zola et Anne de Bretagne ou le collège Rosa Parks, que beaucoup d’élèves du quartier Villejean privilégient les collèges du centre ou partent vers le privé qui n’est, rappelons-le, pas soumis à la carte scolaire.

Note_alter1fo : À la rentrée 2021-2022, sur les 295 élèves de primaire du secteur, à peine un tiers a décidé d’aller à Rosa-Parks (95). Un autre tiers (94) s’est inscrit soit à Anne-de-Bretagne, ou à Zola, et 82 sont partis dans le privé.

https://www.ac-rennes.fr/publications-rapports-et-statistiques-123127

►► Cet exemple pointe du doigt le véritable paradoxe pour les uns, scandale pour les autres, de notre système éducatif. En somme, l’état finance généreusement le secteur privé, alors qu’il n’est pas soumis aux mêmes obligations que le secteur public, comme celle de respecter la carte scolaire.

Le financement de l’enseignement privé est composé à 73 % d’argent public. D’après un document sur le projet de loi de finances sur l’enseignement privé, « l’aide de l’État représente 7,6 milliards d’euros en 2019. » Or, la moyenne de l’IPS des collèges privés (114.2) est de 15 points supérieurs à celle des collèges publics (99.9). On remarque donc une disparité.

Mais pour autant, est-ce étonnant ? Non ! Tout le monde sait que les écoles et collèges privés sous contrat concentrent bel et bien les familles les plus aisées, mais ces chiffres de l’IPS permettent, enfin, de quantifier et d’objectiver ce phénomène.

Note_alter1fo : Le député du Val-d’Oise Paul Vannier (La France insoumise) a tenté de déposer un amendement au projet de loi de finances 2023 proposant de « moduler le financement de l’école privée sous contrat à son respect de la carte scolaire » poke

►► À Rennes, cette fracture existe-t-elle aussi ?

Le privé absorbe clairement une population favorisée. Si la moyenne de l’IPS est élevée à l’échelle de la ville de Rennes (108.8), la moyenne des collèges privés (121.5) est nettement supérieure à celle des collèges publics (99.2). Sur les 5 collèges concentrant les élèves les plus favorisés, 4 d’entre eux sont privés, et le centre-ville accueille les élèves les plus favorisés.

Dans un entretien au Nouvel Obs, Philippe Delorm, secrétaire général de l’enseignement catholique, rend les pouvoirs publics responsables de la situation. Il y a de l’entre-soi dans le privé, mais aussi dans le public, qui regroupe majoritairement des personnes issues de milieux défavorisés, donc pour « faire société », cela semble compliqué. Philippe Delorm propose pour amener plus de mixité dans le privé l’idée de réduire les coûts. Sauf que cela implique encore plus de subventions.

Enfin, on vante souvent la qualité de l’enseignement privé. Mais comme le rappelle Michel Novak, le professeur du collège Rosa Parks, les profs sont aussi bien formés dans le privé que dans le public. Ce qui change, c’est que ces deux secteurs ne composent pas avec les mêmes élèves. Cela est théorisé dans un rapport de la Cour des comptes : « le retard en 6ème est très négativement corrélé à l’IPS (les élèves sont d’autant moins en retard en 6ème que leurs IPS sont élevés) et leurs performances aux évaluations « 6e », au Diplôme National du Brevet (DNB) et au Baccalauréat sont d’autant plus élevées que leurs IPS le sont aussi. »

►► Ton dossier est très intéressant pour cela, car on comprend mieux pourquoi l’équipe du collège Rosa Parks à Villejean alerte les pouvoirs publics pour une demande de classement en REP+. En vain, jusqu’à présent ! 

Oui, Michel Novak explique que le classement en REP+ apportera de nombreux avantages, tant pour les élèves que pour l’équipe. Il cite par exemple la réduction du volume d’heures d’enseignement par professeur. Ainsi, à nombre d’élèves égal, il y aura plus d’enseignants, et de personnel d’encadrement. Sans oublier, une meilleure gratification pour les profs grâce à la prime REP+ qui permet de stabiliser les équipes sur place. Actuellement, au collège Rosa Parks, la demande de mutation est plus de deux fois supérieures à la moyenne ! En France, les 362 collèges classés REP+ ont un IPS moyen de 71,5. Rosa Parks, au regard de son propre IPS (72,7), serait donc parfaitement légitime d’accéder à ce statut.

Note_alter1fo : Avoir un IPS inférieur à 90 ne garantit pas à l’établissement ou à l’école les moyens supplémentaires destinés aux écoles et collèges en Réseaux d’éducation prioritaire (REP). Ainsi, près de la moitié des écoles présentant un IPS inférieur à 90, avec des élèves très défavorisés, sont hors éducation prioritaire. Une refonte de la carte de l’éducation prioritaire a été annoncée par le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, le 10 janvier.

Extrait article Le Nouvel Obs (13/01/2023) : « Comment réagit un élu local chargé de la sectorisation scolaire quand on lui apprend que les statistiques de l’Education nationale ont livré leur verdict et font de sa collectivité un petit Johannesburg éducatif truffé de ghettos de pauvres et/ou de ghettos de riches ? Il y a les étonnés comme Gaëlle Rougier, adjointe EELV à l’éducation de l’intercommunalité rennaise, deuxième agglomération française la plus ségréguée au niveau de ses écoles, pas franchement heureuse de cette mauvaise publicité faite à sa vertueuse métropole écologique et solidaire. »

Pour lire le dossier complet de Jean, rendez-vous sur le site du journal étudiant L’Agrafe : https://lagrafejournal.com/article/reportage6

Indices de position sociale dans les collèges de Rennes

Focus sur l’indice de position sociale (IPS) des écoles rennaises


L’AGRAFE :

4 étudiant·e·s en licence 2 d’information et communication sont à l’origine du journal L’Agrafe. Sport, portrait, reportage, dessin… Les rubriques sont diverses « pour que chaque étudiant·e puisse trouver sa place en proposant un article ou une illustration sur le sujet de son choix ». Un comité de rédaction d’une dizaine de personnes se charge ensuite de la sélection puis de la mise en page.

Collège Rosa-Parks : les parents veulent des moyens

L’IPS, un outil statistique particulièrement fin pour mesurer le profil social

Indice de position sociale des collèges d’Ille-et-Vilaine

 

1 commentaire sur “Quand le journal « l’Agrafe » décortique les indices de position sociale (IPS) de Rennes.

  1. Gil

    L’État rémunère les enseignants du public comme fonctionnaires et,,à moindre coût, ceux du privé comme contractuels. Les collectivités locales subventionnent les bâtiments du public, jamais ceux du privé ainsi que le périscolaire.
    D’où l’énorme mauvaise foi de l’élue citée : parce que les municipalités subventionnent peu ou prou le périscolaire du primaire (dont la cantine) alors les municipalités en excluent les plus pauvres.
    A cause de l’avarice des collectivités locales à l’encontre de l’enseignement privé on aboutit à ce constat : aux riches le public de centre ville, aux pauvres le public des quartiers et aux classes moyennes le privé ; ces classes moyennes que la pression immo a déjà chassées des bonnes communes de résidence.

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