Hindi Zahra, la beauté du blues

hindi zahra 4 (3)Tout respire, transpire la musique à fines gouttes chez elle, la Berbère née au Maroc il y a de cela trente ans. De son enfance, il lui reste tout l’arrière-plan musical, ce kaléidoscope d’influences vivantes, savamment entretenu depuis et qui fait d’elle une indigène partout où elle pose sa voix et sa musique. Le vendredi 26, c’était à Rennes, à l’Étage. Et sur scène, elle était chez elle, tout comme nous.

Les chants traditionnels de sa mère, comédienne et chanteuse du village, reconnue pour la pureté de son timbre de voix ; les sonorités de ses oncles défricheurs du rock psychédélique marocain ; le raï clinquant et le châabi de mariage; le blues sahélien aussi, ses guitares obsédantes, ces sons veloutés et ses rythmes tribaux ; enfin la folk passionnée, libératrice, de ces compositions qui vous retapissent l’intérieur du ventre…. Il y a eu un peu de tout ça, sur la scène de l’Etage, en ce vendredi de novembre. Vu le temps qu’il faisait dehors, ce gros coup de soleil n’était pas de refus. Un dernier regard en arrière et nous voilà fixés au milieu de la foule pour plus d’une heure et demi de concert.

Quand elle pose le pied sur scène, d’un pas léger, il y a déjà quelque chose d’animal, de sensuel dans son approche. Elle fait partie de ces personnes rares, esthètes de la scène, qui la crèvent en entier.

Comme pour mieux pouvoir s’affirmer derrière, la chanteuse propose une première chanson sans grand intérêt, sinon se chauffer les cordes vocales et se dégourdir les arabesques. Try est interprété tout en douceur, peut-être un peu trop. Les arpèges flottants et sa voix, tout droit sortie d’un bon vieux blues, viennent quand même sortir le badaud de sa torpeur d’avant-concert.

Dès les premières notes de Beautiful Tango, tout le monde se réveille vraiment, c’est la chanson, la seule peut-être, que la presque totalité du public connaît. Personne ne se rendormira avant un bon bout de temps. Les musiciens, qui se faisaient plutôt discrets jusque là, se répondent dorénavant les uns les autres et l’éclat collectif qui s’en dégage vient donner un relief impressionnant à la musique. Les bières sont déjà vides, pourtant nul n’a envie d’aller en chercher une autre. Rien ne nous arrache de la scène. Comme le soutient le magazine britannique The Wire, il y a du Billie Holiday dans le chant d’Hindi Zahra.

Imik Simik et son texte en berbère suivent. La voix susurre en fond, elle décolle, redescend, repart, portée par les échos du chœur qui l’accompagne. Kiss and Thrills, ensuite, lascive, très lente. Un chant dans l’esprit trip hop, tourmenté, expulsé sans répit. Thomas Naïm, guitariste, commence à nous balancer quelques bons vieux solos dans la figure pour laisser la chanteuse souffler. Pour le public, pas de temps mort. Tant mieux.

Set me free, puis Oursoul. Cette dernière ne signifie pas « notre esprit » en anglais, sinon « le passé révolu » en berbère. La chanteuse joue de cette ambiguïté avec talent pour chanter les espoirs brisés d’une jeune fille promise au mariage. Quand l’envie lui prend, que la musique devient trop prenante, Hindi Zahra lâche le micro et gratifie l’assistance de quelques coups de bassin, danse toute en convulsions, rehaussée d’un sourire trop grand pour sa bouche, comme si le public n’existait plus et qu’elle profitait, seule, de l’instant. Elle est belle.

C’est à la suite d’Oursoul qu’un moment de grâce survient, sans prévenir. Solo en roue libre du claviériste, cet enragé qui frappe son instrument à l’aveugle, la tête renversée, comme un désespéré. Ce qu’il en sort de son orgue rock 60’s, c’est une complainte à la Manzarek, une longue parenthèse psychédélique. Magnifique et inattendu.

Après cet accès de rage collective, Hindi Zahra prend sa guitare, et seule, s’assoit face au public pour une ballade soul-folk, Don’t Forget. Une guitare, une voix, on pourrait s’ennuyer mais non, car cette voix-là est taillée dans le cristal. On imagine que c’est le genre de chansons qu’elle écrivait quand, plus jeune, elle composait de nuit des dizaines de morceaux en espérant les réciter un jour à quelqu’un d’autre qu’à elle-même.

Sur Ahiyawa, les rythmes se font tribaux, de gros coups sourds, intenses, c’est bien le batteur qui est à l’honneur. Les musiciens enchaînent avec Voices, ses guitares célestes, son rythme reggae et une Hindi Zahra qui chante comme elle peint : surréaliste et naïf. Abdenour Djemaï, le second guitariste dont « c’est la faute aussi si on est là ce soir » dixit la chanteuse, se taille la part du lion l’espace de quelques minutes. Son jeu de guitare est simplement sidérant sur l’Intro orientale, qu’il joue serein, comme s’il était spectateur de son propre talent.

Dernier morceau avant le gros rappel, le morceau Stand up, et ses variations rythmiques, sa rapidité, bien meilleur sur scène que sur CD. Là, tout le monde se lâche, les instruments entrent en communion, et si les jambes commencent à flancher, on en est toujours à balancer sa tête maladroitement à chaque percussion.

On est à Rennes, il y a donc rappels. Pas loin de deux ! Le groupe ne se fait pas vraiment prier, quoi qu’il en soit. Deux morceaux, d’abord, Fascination et Music. Le public, excité, retombe un peu sur la première, repart dès la seconde enclenchée. Et cela, Hindi Zahra s’en aperçoit. Pour calmer son monde, elle empoigne sa guitare pour une dernière ballade, Broken ones. On se souvient alors de l’un de ses précédents concerts, c’était en 2007 à Rennes, déjà, lors du festival Bar en Trans. Elle était passée puis repartie sans faire trop de bruit, cette année-là. Ce soir, il n’y a pas à dire, elle s’est largement rattrapée.

1 commentaires sur “Hindi Zahra, la beauté du blues

  1. Muri

    C’est beau…

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