On a eu à plusieurs reprises l’occasion d’apprécier le grain de voix d’Astrid Radigue, avec Mermonte bien sûr, mais aussi au sein du quatuor Soulful Singers ou plus récemment avec Lady Jane. Nous avons découvert son tout nouveau projet, Furie, au Jardin Moderne lors de la Carte Blanche à Laetitia Sheriff. Depuis quelques mois, Astrid est accompagnée par Florian Jamelot à la guitare et Jérome Bessout à la batterie, et on sent ce que chaque musicien a pu apporter aux compositions : leurs univers sont certes différents, et on n’imaginait pas forcément les compositions pop d’Astrid jouées par la moitié de Fago Sepia. Mais l’alchimie fonctionne parfaitement : jeu subtil et varié de Jérome à la batterie, riffs aériens de Florian à la guitare, qui accompagnent avec beaucoup de justesse la voix et les notes de claviers d’Astrid. Une voix altière, parfois plus grave, qui se marie à merveille avec les sonorités pop qui fonctionnent immédiatement. Une pop ensoleillée mais pas seulement : on sent que Jérôme et Florian ont permis à Astrid d’embarquer ses titres dans de légers détours, pas forcément math, mais un peu plus alambiqués. Et l’ensemble, non seulement fonctionne déjà très bien pour une si jeune formation, mais a en plus le mérite de « sonner » de manière originale et singulière. On a voulu en savoir plus lors d’une rencontre avec les trois membres de Furie : l’occasion d’en apprendre beaucoup sur la naissance d’un groupe et le processus de création. Rencontre avec trois musiciens passionnés, Astrid, Florian et Jérome.
Alter1fo : Laetitia Sheriff nous confiait en interview avoir assisté aux prémices du projet il y a deux, trois ans. Ce sont donc des compositions que tu as dans tes cartons depuis un moment ?
Astrid : Oui depuis cinq, six ans.
Et ça s’appelait auparavant Mary Bliss.
Astrid : Exactement. Ça a changé parce que j’ai décidé de faire autrement. J’ai enregistré ces premiers morceaux avec Pierre Marais, chez lui. A l’origine, j’étais accompagnée de Pierre Marolleau, Thomas Le Corre et Faustine Seilman. On a enregistré ces morceaux, et en les écoutant, on trouvait qu’ils manquaient un peu de matière. J’ai donc demandé à Florian Jamelot de venir arranger les morceaux qui existaient déjà : il a eu un laps de temps assez court, deux semaines et demie et on était hyper content. On a ensuite mixé ces morceaux chez Thomas Poli, donc Laetitia a suivi le projet : je dormais chez eux, Pierre Marais et Thomas Poli bossaient ensemble sur les morceaux et j’apprenais ce qu’était l’épreuve du mixage d’un album avec eux. On a passé quatre jours a mixer les morceaux, Thomas Poli a aussi participé un peu aux arrangements, il a sublimé tout ça et j’étais très satisfaite des morceaux.
Après le mix, j’ai envoyé les morceaux aux copains pour qu’ils écoutent en leur disant que la sortie allait être imminente, parce que j’avais envie de sortir l’E.P rapidement pour commencer à répéter, à être dans une dynamique de travail. Ayant été trop impatiente et trop directive j’en ai oublié l’essentiel : la direction artistique du projet et la place de chacun dans la création des morceaux. Avec l’arrivée de Florian, le projet a pris une direction pop que je me voyais assumer totalement mais qui n’a pas plu à tous. Thomas le Corre, qui ne s’est pas retrouvé dans ces nouveaux choix artistiques et aussi parce qu’une belle tournée avec Didier Wampas s’offrait à lui, a quitté le projet. Donc l’E.P n’est pas sorti et j’ai retravaillé différemment. Je me suis concentrée sur ma pratique musicale (clavier, chant) afin de contrôler et d’assumer la direction artistique de mes morceaux. Parallèlement, Mermonte débutait, j’avais mon boulot d’animatrice à gérer, donc j’ai mis un peu tout ça de côté. Voila, on a commencé à bosser ensemble avec Florian en duo le jour où je me suis sentie prête à porter un projet musical qui me correspondait et ça a mis 2 ans !
Laetitia m’a parlé de cette carte blanche : ça a toujours été un souhait pour elle que je l’accompagne dans cette démarche et que je propose enfin mes morceaux. Elle m’a toujours soutenue dans ce projet, parce que c’est une super copine, parce que je suis une fille dans le monde de la musique et parce qu’on partage notre vie avec des musiciens très investis et talentueux aussi, donc on a beaucoup de points en commun. Et puis en septembre dernier, quand elle m’a appris que la carte blanche se faisait, le Jardin Moderne m’a proposé dans la foulée une date aux Champs Libres. C’était l’occasion de recommencer à bosser sur le projet. Je me suis focalisée sur une formule duo avec Florian : ça a bien marché mais ça nous a aussi permis de voir que ce n’était pas suffisant, notamment au niveau rythmique. On a donc demandé à Jérôme d’intégrer le projet à partir de janvier.
Pourquoi ce nom Furie ? Est-ce qu’il y a un rapport avec les trois furies mythologiques ?
Astrid : Je te laisse répondre Florian, c’est toi qui a trouvé le nom ! J’expliquerai le rapport à la mythologie.
Florian : A la base ça partait d’un surnom, d’un délire entre nous. Furie c’est un peu le Mister Hyde d’Astrid : une fois bien motivée, elle entre dans ce qu’on peut appeler un état secondaire. C’est sa deuxième personnalité : elle devient hyper expressive, très impliquée dans ce qui se passe, désinhibée.
Astrid : C’était effectivement un délire entre nous : à la base on était parti sur Furie Noire, un personnage dans le dessin animé Dragons, et Florian m’avait donné ce surnom. J’en parle à Pierre Marolleau, il y réfléchit toute la nuit et puis il se réveille le matin en me disant « non, Furie Noire, ça fait urinoir » (rires). On est donc parti sur Furie. Je me suis ensuite renseignée sur l’aspect mythologique et effectivement ça coïncidait bien : on se présente à trois, l’aspect de la justice me parlait beaucoup : des gardiennes de l’enfer, grandes et justes.
Florian : ce nom est aussi intéressant parce que lorsque tu vois un groupe avec un tel nom, tu t’attends forcément à une musique assez violente, soit à un groupe de métal, soit à un groupe de hardcore. Or le fait de proposer une pop avec un nom comme ça crée un décalage entre la consonance du mot et la musique qui est faite. Même si la musique n’est pas non plus exempte de toute énergie, il s’agit de créer une musique positive à partir d’un nom qui a une connotation plus sombre.
Astrid : C’est aussi ce qui se passe dans les textes qui ne sont pas toujours roses : je suis quelqu’un qui est assez en colère en général et j’essaye de canaliser l’énergie comme je peux (rires) et la musique me permet de le faire.
Les textes sont plutôt sombres en fait ?
Astrid : Pas tout le temps, ils sont beaucoup en lien avec l’enfance, avec des sentiments, l’amour, la colère.
Alter1fo : Il y a aussi un contraste avec la musique, qui est plutôt joyeuse, enlevée.
Florian : C’est un des trucs qui me fait triper chez les Smiths : ce contraste entre la couleur de la musique et la couleur des paroles. Ne serait ce pas trop évident de faire une musique ensoleillée avec forcément des paroles ensoleillées ? C’est intéressant de jouer une fois de plus sur le décalage.
Ca donne plus d’impact aux textes ?
Florian : C’est un procédé qui a été pas mal utilisé dans le cinéma : une musique joyeuse sur des images où c’est exactement l’inverse. L’impact est encore plus fort.
Quand Lætitia Sheriff vous a proposé la carte blanche, y a t’il a un moment où on hésite ? Ou on dit oui tout de suite et on a peur après ?
Astrid : On a eu des petits moments de doutes, en février notamment parce que ça avançait moyennement. Mais quand Laetitia m’a proposé de participer à cette Carte Blanche je n’ai pas hésité, justement pour relever le défi. Au départ, je ne savais pas que ça allait être au Jardin Moderne, et j’étais d’autant plus ravie.
Jérome : On savait que le Jardin pouvait nous accueillir dans de bonnes conditions. Tu as forcément des moments de doutes lorsque tu proposes un set pour la première fois dans un temps imparti. Tu dois faire la mise en place dans une certaine urgence même si le projet était déjà en place. Avec une recherche d’arrangements à trois et dans un laps de temps réduit, tu doutes : mais c’est aussi hyper boostant d’être dans l’obligation de fixer ta musique pour un instant précis.
Laetitia Sheriff a fait une carte blanche spéciale « premières » puisque Monstromery est un tout nouveau projet, on découvrait Romain Baudouin, Mellanoisescape est aussi le nouveau projet d’Olivier. Comment avez-vous vécu la soirée ? Et votre concert ?
Florian : Ce concert restait un défi : ok, on est trois, on a un temps imparti, on a telles possibilités en terme d’arrangements… Donc on a abordé ce concert comme un aboutissement justement. On n’a pas eu la préparation d’un groupe qui a son set et qui décide de jouer quand il se sent prêt. On a pris la chose à l’envers, ce qui fait qu’on a vécu ce concert comme un volcan, comme une explosion.
Jérôme : Une libération : on a beaucoup répété dans des endroits assez petits, dans nos salles respectives ou en bricolant, parce qu’on essayait de se mobiliser le plus possible dans un temps imparti. Le but était de se donner les moyens de proposer quelque chose qui nous plaise avant tout. Se sentir prêts à transmettre cette énergie tout en respectant les couleurs musicales de chacun. Tu passes beaucoup de temps enfermé, tu te mobilises le plus possible, et puis on propose enfin notre musique à cet instant là, elle est comme ça et on a essayé de faire au mieux : pour moi c’était libératoire.
Astrid : On a aussi eu de bons retours, ce qui est rassurant. On a aussi fait ce concert pour Lætitia, avec un petit morceau cadeau. On l’a fait aussi parce que j’avais besoin de sortir ces morceaux après les avoir ruminés pendant cinq ans.
Jérôme : On savait aussi qu’il y allait avoir beaucoup d’amis dans la salle et ça augmente un petit peu le stress ! Certains attendaient aussi ce nouveau line up par rapport à ce qui était proposé aux Champs Libres. Le but était de transformer ce stress en énergie positive pour que ça te booste plutôt que ça te desserve : et quand tu joues devant tes potes, tu as toujours un petit challenge supplémentaire.
Astrid : Et quelques jours avant, on a appris qu’il y avait François des Tontons Tourneurs, qu’il y avait des programmateurs, ce qui rajoute une petite pression parce que tu n’as pas envie de te décrédibiliser.
Florian : Laetitia et Astrid se connaissent très bien, elles ont le même vécu. Et Astrid attache beaucoup d’importance à la relation humaine : cette soirée était vraiment propice à un premier concert.
Je ne vais pas vous demander comment s’est passée la rencontre entre vous parce que je suppose que vous vous connaissiez avant. Mais est ce que le fait que Jérôme et Florian jouaient déjà ensemble avait une importance pour toi ?
Astrid : A la base, ça devait être Pierre Marolleau qui devait faire la batterie : j’avais dit oui à Laetitia en septembre pour la carte blanche mais avec l’actualité de Fat Supper, Pierre ne pouvait pas être disponible pour la création. J’avais déjà parlé à Jérôme cet été de fonctionner en doublon au cas ou Pierre ne pouvait pas être disponible. En janvier, j’avais besoin d’aller de l’avant et Jérome est donc devenu référent sur le projet. Le fait d’inviter Pierre en guest avait aussi tout son sens.
Il y a déjà des habitudes entre vous deux, ça a été plus vite peut-être ?
Florian : oui, c’est ce qui a permis d’être prêts en assez peu de temps : quand on bosse sur une nouvelle compo, Jérôme et moi allons très vite en terme de langage. On est capable de se comprendre rapidement car ça fait une dizaine d’années qu’on joue ensemble, et ça facilite forcément les échanges. C’était intéressant pour Astrid d’avoir des personnes qui étaient capables d’adapter son discours, de le comprendre, de le digérer ensemble de la même manière et de se recaler dessus, plutôt qu’être à trois à essayer de se comprendre.
Jérôme : Ca a été aussi très vite parce qu’ils avaient déjà travaillé tous les deux ensemble auparavant.
Justement ça ne doit pas être évident de passer d’une formation math rock à de la pop ? Le format est radicalement différent : il y a le refrain/couplet sur une chanson alors qu’on ne peut pas vraiment parler de refrain/couplet avec Fago Sepia.
Florian et Jérome : Ca c’est sûr ! (rires)
Pourtant le mélange des deux influences ne se marche pas sur les pieds, il y a une association naturelle qui s’est faite. Comment avez vous fait pour marier la chanson avec le math-rock ?
Astrid : Je connais Fago Sepia depuis un sacré moment, je travaille avec Ghislain dans Mermonte, je côtoie beaucoup de musiciens dans ce registre là, et j’ai aussi écouté beaucoup de math : je pense être assez réceptive à ce langage. Et au-delà du math-rock, on a beaucoup d’influences en commun. Je comprends leur langage mais ils comprennent aussi le fait que je suis sur un format chanson et ils le prennent en considération pendant les moments de création.
Jérôme : Il y a effectivement le facteur humain qui joue : on se connait, on se comprend vite, on peut se mettre en place assez rapidement. Puisque tu fais référence à Fago Sépia, nos détracteurs peuvent considérer notre musique comme indigeste en terme d’informations. Mais avec Furie, on se met dans un contexte particulier à partir du moment où le champ est défini. Le format chanson nous laisse la possibilité de nous exprimer, mais on s’autocritique dans nos arrangements : la finalité est vraiment de servir les couleurs d’Astrid. Ca nous est arrivé d’être hors cadre sur des parties rythmiques ou des parties harmoniques et on se freine (rires).
Mais on a envie qu’il y ait plusieurs lectures sur cette musique là, quelque chose de finalement assez accessible au départ, mais en deuxième lecture de rendre la chose moins aseptisée, sans prétention particulière. Insérer quelque chose qui fait partie intégrante de notre passif musical : est ce que l’on a trouvé la bonne formule ? C’est tout jeune mais je pense que l’on essaye de naviguer sans changer de cap. Le cap est défini donc après tu peux tirer à bâbord, tribord, vent de derrière, vent de face, du moment que tu as la direction c’est déjà plus facile. Quand je suis arrivé avec Astrid et Florian, la direction était déjà définie.
Il y a notamment des ponts musicaux qui sont un peu plus libres, plus math et on retombe toujours sur ses pieds : j’imagine que le boulot d’arrangement doit être important.
Astrid : C’est pour ça que le set était court.
Florian : Le propos dans Furie, c’est Astrid qui l’amène avec ses lignes de chant, ses couplets et ses refrains. Pour Jérome et moi, la question qui se pose est la suivante : comment peut-on servir un couplet-refrain et le rendre un peu plus intéressant qu’un couplet refrain basique ? On s’inspire forcément des groupes qui ont eux mêmes explosé ce format couplet-refrain. Le but est de trouver une zone commune : on trouve un terrain qui nous va et dans lequel on peut s’amuser. Tenter de faire quelque chose de plus basique que du math rock mais moins basique que de la chanson. C’est vraiment quelque chose de nouveau pour moi et Jérôme d’avoir une compositrice qui arrive avec un couplet-refrain, mais je trouve qu’on se complète bien tous les trois.
On vous avait vu en duo aux Champs Libres, Florian et Astrid, et c’était assez feutré, le cadre s’y prêtait aussi. Et là, on est au-delà de la pop, c’est même très rock sur les fins de morceaux. Je suppose que vous avez souhaité que Jérome vienne pour apporter une richesse aux morceaux, et on a été surpris par la variété des instruments : mailloches, baguettes, balais…
Jérome : Il y avait d’abord une recherche de tessiture, qui peut passer par des mailloches, des balais ou autre chose, avec l’ambition d’essayer de détourner la nature même du son d’une batterie, mais dans un temps imparti. Et ça prend beaucoup plus de temps. Après il y a des choses qui se sont faites complètement naturellement : si je suis tout le temps avec des baguettes, je suis sur quelque chose de percussif, alors que le propos d’Astrid n’attend pas toujours la même couleur. On a un background assez similaire, même si Florian et moi avons fait pas mal de musiques extrêmes. Ce qui amène peut être ce côté un peu plus rock sur des partitions qui sont un peu plus envolées, un peu plus appuyées. Avec les mailloches, on a essayé d’apporter un enrichissement, en tout cas un son qui est le plus proche de ce que t’inspire l’émotion même d’une chanson. Et la difficulté est là : être toujours dans la nuance du propos originel. Effectivement j’aurai pu garder des baguettes tout le temps, et ça aurait pu être bien. Mais si dogme il y a (mais on n’aime pas trop les dogmes), essayer de servir les nuances et les sentiments artistiques d’Astrid avec les instruments qui sont à ta disposition.
Astrid : Et au-delà de ça, je rajouterai qu’il y a aussi les réalités sonores. Quand on est en mode chant et musiciens derrière, il faut qu’en terme de puissance vocale, je puisse envoyer sur les moments plus percussifs. Et à l’inverse, quand il y a des moments où je décide de chanter plus calmement, il faut aussi que le reste soit plus doux. Sinon je ne m’entend pas (rires).
Ce qui nous a le plus surpris entre la formule duo et la formule trio, c’est le fait que par moments ça envoyait pas mal. Est-ce qu’avant de vous mettre en trio, tu imaginais pouvoir pousser tes compositions jusqu’à ce point là ?
Astrid : Je crois que j’ai fait confiance aux gars. Si je leur ai demandé de m’accompagner, c’était aussi pour cette raison. La date aux Champs Libres et au Jardin était différente du fait qu’on était sur scène avec de bonnes conditions de travail. J’étais plus à l’aise au niveau de ma voix, je me suis plus lâchée qu’aux Champs Libres.
Florian : Pour Astrid, il est important que ça passe bien humainement et quand on attache une telle importance dans la relation humaine, la notion de confiance est particulièrement importante. Astrid nous a fait complètement confiance sur cet apport de dynamique, le fait de laisser la place au chant.
On a trouvé le set très varié : on adore l’intro, très courte et très douce et le set se termine avec I Was Once, et on trouve que ce morceau est différent des autres sur le set, au niveau de sa composition.
Astrid : I Was Once est certainement l’un des morceaux où j’ai le plus amené musicalement, parce que c’est un morceau que j’ai composé seule à la base. C’est peut être le morceau qui a le plus vécu et qu’on a le moins déstructuré avec Florian quand on a bossé tous les deux. Il est différent de l’enregistrement qu’on a donné aux Embellies pour leur compil’, mais c’est celui que je maitrise le mieux. C’est aussi celui où je suis le plus à l’aise au chant.
Florian : Je crois qu’on a fini par le morceau qui nous fait le plus plaisir. On part d’une esthétique de comptine pour en arriver à un morceau très pop à la Broken Social Scene et on a réussi à faire ça dans une même compo. C’est la première compo où on a réussi à passer de tribord à bâbord comme le disait Jérome. Il y a une notion d’accomplissement dans cette compo.
Astrid : Ce titre marchait bien en duo et il a été très rapide à mettre en place avec Jérome. Les structures étaient déjà bien établies : on savait où Jérome devait poser sa patte, et il l’a posée superbement bien.
Florian : Pour le premier morceau du set, on a fonctionné différemment, en impro. C’était la première fois qu’on le faisait sans aucune base de départ. C’est complètement différent au niveau du processus de composition. Ce contraste entre le début et la fin du set est aussi très intéressant. Avoir un premier morceau aérien, un peu plus électro ou un peu plus ambient, et finir sur un morceau qui fleurit plus, avec plus de dynamique.
Jérome : Quand tu fais une première mise en place, tu as un doute sur l’enchainement des morceaux. C’est pourtant une étape incontournable et primordiale. On s’est retrouvé de manière naturelle avec un set très progressif. On s’est nous-mêmes posé la question : est-ce que tu dois entamer un set sur quelque chose d’assez feutré ou est ce que tu proposes déjà quelque chose de plus pêchu, de plus marqué ? Naturellement Astrid avait proposé cet enchainement là, et on a choisi de garder ce set progressif sur la petite demi-heure.
Alors il y a Furie bien entendu, mais il y a aussi une grosse actualité pour Mermonte et Mha, sans parler de Lady Jane, de Fago Sepia… Comment fait-on pour concilier tous les projets musicaux ?
(rires)
Florian : Déjà, on transpire beaucoup !
Astrid : Il y a eu des réunions ! Parce qu’au-delà des groupes que tu as cité, il y a les Bumpkin Island, Totorro… on est nombreux à participer aux projets des uns et des autres. On a décidé de ne pas se braquer sur les histoires d’agenda, parce que ça devient problématique. On a décidé de communiquer, de dialoguer et de chercher des solutions et des compromis.
C’est facilité par le fait que les chemins se croisent : je ne dis pas non plus que c’est une grande bande de potes…
En choeur : si, si, tu peux (rires)
Jérome : Il faut pouvoir fédérer les gens et il faut pouvoir se mettre un gros coup de pied au cul pour s’organiser. Chaque groupe n’a pas forcément la même organisation, mais on met en place des outils, des gestions de plannings. On a besoin de faire plus attention à l’organisation générale. Pour pouvoir cumuler sans frustration, ou en tout cas les limiter entre les projets de chacun, pouvoir fédérer tout ça.
Florian : Quand un groupe est en studio, il y a toujours moyen qu’un autre groupe soit en tournée au même moment, il y a toujours moyen de planifier les choses. C’est un peu compliqué mais ça se fait.
Astrid : C’est vraiment une recherche de compromis. Ca entraine une solidarité entre nous et c’est bon par les temps qui courent. Et puis ça remet aussi les choses à leur place : ce n’est pas parce qu’un projet marche que les autres n’ont pas besoin de temps pour créer, pour avancer. C’est plutôt sain.
Pierre Marolleau était présent sur deux titres. Dans l’éventualité d’un enregistrement, pensez-vous élargir à d’autres musiciens justement ?
Astrid : Oui : le fait que Pierre soit venu en guest, la présence de ces deux batteries nous a vraiment beaucoup plu. Ca apporte un plus, clairement. Ca n’enlève en rien le fait que je puisse chanter, qu’on m’entende, car j’avais un peu peur de ça aussi. On a évoqué la possibilité d’intégrer une quatrième personne. Ca ne sera pas un batteur, ce sera un multi-instrumentiste, et cerise sur le gâteau, qui sache chanter. Donc Pierre Marais ferait partie du projet parce qu’il sait jouer de la batterie, de la guitare et Florian a besoin d’un autre guitariste pour soulager les boucles… Et le côté percussif apporté par Pierre Marolleau sur le set sera à travailler parce que ça nous a vraiment plu à tous. Donc je pense qu’on sera 4, pas plus. Mais 4 nous semble bien pour la continuité du projet.
Quelle est la priorité ? Continuer à bosser le set ou enregistrer ?
Astrid : J’aurais voulu continuer à bosser le set, et on va continuer à le faire. Mais ce qu’il va falloir faire aussi, professionnellement parlant, c’est avoir deux, trois titres enregistrés pour pouvoir jouer ailleurs qu’à Rennes, parce que c’est aussi le but. Faire une vidéo aussi, format live, parce que les programmateurs regardent ça aujourd’hui. Ce ne sera pas l’enregistrement d’un album, j’aimerais creuser le projet. Je ne suis pas prête encore et puis je voudrais que ça se fasse dans de bonnes conditions. Donc la priorité est d’enregistrer deux, trois titres dans les mois qui viennent.
Si vous deviez citer chacun trois albums sans lesquels vous ne pourriez pas vivre ?
Astrid : Insignifiance de Jim O’Rourke, Third de Portishead, Ram de Paul McCartney.
Florian : Actions with Krzysztof Penderecki de Don Cherry, In C de Terry Riley, Music for 18 Musicians de Steve Reich.
Jérome : In Rainbows de Radiohead, The Egg de Shiner et Delta Sleep que j’écoute beaucoup en ce moment.
Une dernière question qui n’a strictement rien à voir avec cette interview. Sachant qu’Astrid fait partie de Mermonte, ça vous fait quoi d’ouvrir et de fermer le tracklisting d’Audiorama, le prochain album de Mermonte ?
Ah oui !!! (rires)
Avez-vous écouté les titres ?
Jérome : Le premier clip promotionnel de l’album de Mermonte est celui de Jérome Bessout. Ghislain m’a invité sur le clip. Il n’y a pas de batterie mais des montées de cymbales. Ca devrait sortir incessamment sous peu (à retrouver ici)
Vous vous reconnaissez dans les titres ?
Florian : En fait, je ne sais pas si je dois évoquer les influences de Ghislain sur la compo, parce que je ne sais pas comment il va le prendre (rires). Sans parler d’influence, il y a un petit peu de Evinkang dans la compo de Florian Jamelot. Evinkang a fait un album mythique pour Ghislain et moi. L’album s’appelle Virginal Coordinates. Finalement c’est mon troisième album sans lequel je ne peux pas vivre, c’est vraiment la perfection cet album. Il y a un peu de ça et un peu de Fred Frith. On se connait depuis vingt ans avec Ghislain, donc oui, je m’y reconnais à fond.
C’est un peu particulier pour vous d’entendre : on va jouer Jérome Bessout ou Florian Jamelot, non ?
Jérome : Sur le clip, c’était bizarre de faire quinze prises et d’entendre à chaque fois : « Jérome Bessout ! ». Tu as juste envie de répondre : « présent ! » (rires). Pour revenir sur ta question, Ghislain m’a complètement dérouté, je ne m’attendais pas du tout à ça. Je ne pensais déjà pas qu’il ferait un morceau sur moi ; et quand il m’a envoyé le morceau, je me suis imaginé quelque chose d’hyper chargé rythmiquement, avec des polyrythmies, etc. Et quand tu l’écoutes, pas du tout ! (rires) En première lecture, surpris. Et à la deuxième écoute, j’ai trouvé que ça me collait complètement. Il y avait un contrepied avec ce que je pouvais attendre de cette chanson. J’ai trouvé ça incroyable que ça me ressemble et que ça me colle autant : c’est une recherche beaucoup plus profonde. J’ai été décontenancé et surtout très ému par ce que Ghislain a voulu présenter comme couleur dans ce morceau.
Merci beaucoup.
Merci à vous.
Un immense merci à Astrid, Florian et Jérome pour nous avoir accordé cette interview !
Furie sera en concert le 21 juin sur la terrasse du Oan’s Pub, avec Totorro, Mermonte, Mha, Fago Sepia, Bumpkin Island et Lady Jane !
Photos : Solène
Transcription : Solène & Yann