Pourtant consacrée Grande cause nationale en 2017 par Emmanuel Macron, force est de constater que 8 ans plus tard, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est toujours pas acquise. Loin de là. Pis, un violent relent réactionnaire et masculiniste souffle de tous les côtés, entrainant dans son sillage de nombreuses frictions et régressions. C’est pourquoi, redécouvrir comment des droits ont été conquis de haute lutte par les femmes est de nos jours une nécessité autant qu’un devoir de mémoire. C’est dans cet esprit que les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine proposent depuis quelques jours une exposition inédite intitulée « Elles, leurs droits, notre histoire. Les Bretilliennes s’émancipent (19-20e siècles) »
Articulé autour de 7 thématiques, le parcours dévoile différentes trajectoires de femmes, dont les vies racontent les changements de la société française, entre luttes discrètes, victoires émancipatrices et engagements collectifs. Comme un hommage à ces pionnières anonymes et invisibilisées d’antan, l’exposition apporte aussi un éclairage utile sur les enjeux d’aujourd’hui. Bientôt 40 ans après sa mort, les mots de Simone de Beauvoir restent toujours d’actualité ! « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »

À l’origine, l’idée de ce projet était presque évidente : retracer la lente, complexe et périlleuse ascension des droits des femmes sur le territoire d’Ille-et-Vilaine. Une démarche pleinement inscrite dans la politique d’égalité portée par le Département, dont les Archives départementales, service public culturel et citoyen, sont l’un des relais naturels. En valorisant des documents issus des fonds des AD35, parfois méconnus et en puisant aussi bien dans les archives publiques (archives des administrations) que dans des fonds privés (fonds de familles, de syndicats et d’associations), l’exposition entend offrir un regard historique, pédagogique et original sur un sujet encore trop souvent relégué aux marges de l’histoire, celle-là même que l’on dit officielle.
Mais c’est aussi le calendrier qui a donné toute la force au projet. L’année 2025 marque en effet trois anniversaires majeurs : les 80 ans du premier vote des femmes aux élections municipales de 1945, les 60 ans de la loi de 1965 autorisant les femmes à gérer librement leur compte bancaire et à exercer une activité professionnelle sans l’accord de leur mari, et les 50 ans de la loi dite Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse en 1975. Autant de jalons décisifs dans l’histoire des libertés individuelles fondamentales.
La conception de cette exposition s’est ensuite construite d’une manière assez atypique au sein des AD35. « Habituellement, le commissariat d’exposition est assuré par un collègue du service des actions éducatives et culturelles. Cette fois, le processus a été ouvert », explique Lydie Porée, commissaire d’exposition que nous avons pu rencontrer. « Je me suis portée volontaire pour ce poste et j’ai proposé aux collègues de travailler de manière vraiment collective », affirme-t-elle.
Ainsi, un comité scientifique d’une quinzaine de personnes s’est peu à peu constitué avec des profils variés, allant bien au-delà du cercle restreint des archivistes. Citons par exemple des responsables de l’accueil, des agent·es de salle de lecture chargé·es de délivrer les documents et d’accompagner les recherches, ainsi que des agent·es impliqué·es dans la conservation préventive et la restauration. « Je souhaitais contribuer à nous faire sortir de nos missions habituelles, qu’on apprenne ensemble à chercher dans les fonds et qu’on explore d’autres manières de travailler », poursuit Lydie Porée que l’on sent très impliquée dans cette aventure (et pour cause, ndlr [1]). Rapidement et naturellement, la dynamique s’est installée. « Chacun·e a trouvé sa place selon ses envies, ses centres d’intérêt et ses compétences. »
Pendant plus d’un an, de juillet 2024 à la fin de l’été 2025, le comité scientifique a travaillé à la sélection des documents, à la cohérence du récit et vers la fin, ce sont les collègues des activités éducatives et culturelles qui ont œuvré à la construction des parcours de visite (choix scénographiques, textes, organisation matérielle).

Loin des figures emblématiques et des pionnières souvent mises en lumière, l’exposition choisit de tourner notre regard vers ces femmes ordinaires, celles dont les histoires restent trop souvent dans l’ombre ou dans l’intimité d’une famille. Une démarche assumée par la commissaire, qui revendique une approche inclusive et intimiste. « J’avais à cœur que l’exposition parle du quotidien des femmes, de toutes les femmes », explique-t-elle. « L’idée est que cela fasse écho aux vies de nos mères, de nos grand-mères ou arrière grand-mères. »
Car au-delà de la transmission d’informations, l’exposition se veut aussi participative. « Je souhaite sincèrement que les personnes puissent oser nous partager également leurs propres récits, leurs souvenirs, en résonance avec ce qu’iels ont pu découvrir dans cette exposition. »
Une ouverture au grand public s’est tenue le week-end du 26 octobre aux Archives, exceptionnellement accessibles ce dimanche. « Nous avons accueilli près de soixante visiteurs. Cela peut paraître modeste, mais pour un lieu comme les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, c’est un véritable succès », se réjouit-elle.
Cependant, davantage encore que l’affluence du public, ce sont les échanges qui retiennent l’attention de Lydie Porée. « Même au cœur d’un groupe nombreux, où la parole peine parfois à se livrer, il surgit toujours des fragments de récits, des réactions spontanées, des commentaires… Certaines choisissent d’attendre la fin pour venir nous parler en aparté n’osant pas intervenir devant tout le monde, souvent parce que leurs souvenirs se révèlent trop intimes, ou chargés d’émotion. Ces témoignages sont souvent parmi les plus forts. »
Mais pour amorcer l’échange avec le public si besoin, la commissaire de l’exposition peut s’appuyer sur un objet chargé de mémoire : le certificat d’études primaires, affectueusement surnommé « le certif’ ». Celui mis en lumière au cœur du parcours a été obtenu par une jeune fille d’Ille-et-Vilaine en 1884, en faisant une des premières certifiées du département. « C’est un formidable point d’entrée, confie-t-elle. Cet objet résonne chez de nombreuses personnes, il convoque des souvenirs d’enfance, ravive des discussions sur l’école et l’orientation. Il crée une passerelle naturelle entre les générations, qui soudain se répondent. »
D’autres documents interpellent ou suscite de nombreuses réactions, comme ceux consacrés au refuge Saint-Cyr ou à la tradition de « la Rosière de Montreuil-le-Gast », qui récompensait chaque année une jeune fille réputée vertueuse. « Là encore, les discussions s’animent sur ce que ces pratiques disent de la morale et du contrôle social, mais aussi des solidarités, à l’époque. », explique Lydie Porée.
Interrogée sur le sens du titre de l’exposition que nous trouvons pertinent, « Elles. Leurs droits, notre histoire », Lydie Porée rappelle que cette formulation n’a rien d’anodin. Il s’agit, dit-elle, d’affirmer que ces luttes ne relèvent pas d’une histoire marginale ou sectorielle, mais bel et bien d’un héritage commun. « Les droits des femmes font partie de notre histoire », insiste-t-elle, car, désormais, l’ensemble de la société, bien au-delà des seules femmes, recueille les fruits d’avancées conquises au terme de longues luttes, d’engagements tenaces et de mobilisations collectives… »
Pourtant, cette vocation universelle peine encore à se traduire dans les faits. Car la fréquentation de l’exposition révèle un paradoxe persistant : l’immense majorité des personnes venues sont des femmes. Où sont les hommes ? Si cette asymétrie devait se confirmer, elle ne manquerait pas de soulever de légitimes interrogations. Il faudra alors en interroger les causes profondes. Peut-être touche-t-on ici l’un des défis majeurs à relever : faire en sorte que les luttes menées par les femmes pour la conquête de leurs droits et de leur émancipation cessent d’être cantonnées au second plan du récit collectif, pour être enfin reconnues comme une composante essentielle de notre patrimoine commun. La preuve, s’il en fallait encore une, que le chemin de l’égalité demeure un combat toujours d’actualité.
Jusqu’au 08 mars 2026 aux Archives départementales d’Ille-et-vilaine
Entrée libre et gratuite
• Du lundi au vendredi de 8 h 30 à 17 h 30, fermeture le premier lundi de chaque mois.
• Visite commentée possible en semaine pour les scolaires et pour les groupes, gratuit et sur réservation.
OUVERTURES EXCEPTIONNELLES :
Dimanches 26 octobre, 30 novembre,
1er février et 8 mars de 14 h 30 à 18 h :
visite commentée à 15 h et à 16 h 30

[1]) co-autrice, avec Patricia Godard, du livre Les femmes s’en vont en lutte, histoire et mémoire du féminisme à Rennes