« La procédure est fondée sur des constatations faites à l’aide d’un fichier qui a été détourné de ses finalités légales… »

Après avoir été contrôlé sans attestation de déplacement valide à 5 reprises, un jeune homme a comparu devant le tribunal correctionnel le jeudi 02 avril dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate. Au cours de l’audience, son avocat, Maitre Rémi Cassette, a pointé du doigt plusieurs irrégularités procédurales et a dénoncé l’usage du fichier ADOC (Accès au dossier des contraventions). Mais que contient ce fichier et en quoi son utilisation peut-il poser problème ?
Les réponses de maître Rémi Cassette.

ALTER1FO : Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis un « jeune » avocat du barreau de Rennes, puisque je n’ai prêté serment qu’en décembre 2019, mais il s’agit d’une seconde carrière : j’ai repris mes études en 2012 dans l’objectif précis de pouvoir accéder à cette profession.
Mon début de carrière est riche en péripéties, puisque l’Ordre des avocats de Rennes s’est mis en grève au mois de janvier, comme tous les barreaux de France, face à la réforme injuste de notre régime de retraite imposée sans débat par le gouvernement.

Cette grève n’a été interrompue qu’en raison de la grave crise sanitaire que nous traversons, et qui imposait que les avocats répondent présent face aux besoins de l’ensemble de la population. Mais même dans ces conditions, ma nouvelle profession ne cesse de m’enthousiasmer.

ALTER1FO : La loi du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence dit « sanitaire » prévoit que la violation répétée du confinement soit désormais considérée comme un délit, destiné à punir de trois ans d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende les contrevenants. Vous avez défendu la semaine dernière au tribunal correctionnel un  homme accusé de « non-respect du confinement ». Était-ce votre première affaire de ce type et si oui, comment se prépare-t-on à une telle audience… somme toute, inédite ?

Il s’agissait en effet du premier cas que j’avais à connaître de poursuite pour violation répétée du confinement, mais également, à ma connaissance, de la première audience de comparution immédiate portant sur de tels faits ; cette nouvelle incrimination n’étant entrée en vigueur que depuis le 23 mars 2020.

La préparation pour une audience de comparution immédiate se fait toujours dans l’urgence. L’avocat n’a accès au dossier de procédure qu’en fin de matinée pour une audience débutant à 16h. Mais celle-ci a été plus particulière encore puisqu’il a fallu s’interroger sur le nouveau délit.

Les textes de lois publiés ne sont pas envoyés aux avocats ou à l’Ordre. La nécessité de rester informé des évolutions législatives et de l’actualité juridique fait partie de nos obligations professionnelles. Nos règles déontologiques nous imposent un devoir de compétence dans les domaines où nous sommes appelés à intervenir. Je m’étais donc déjà penché sur le texte encadrant ce nouveau délit.

J’ai surtout eu la chance d’avoir avec moi ma consœur Me Valérie CASTEL-PAGES, qui était de permanence pour l’Ordre des avocats. Nous avons pu travailler de concert sur ce cas pour passer en revue l’ensemble des axes de défense envisageables face à ce nouveau texte. Son regard et son expérience ont été déterminants.

ALTER1FO : Vous avez évoqué au cours de l’audience l’utilisation du fichier ADOC (Accès au dossier des contraventions). Pouvez-vous préciser ce qu’est le fichier ADOC et en quoi son usage peut poser problème ?

Le fichier ADOC est un système de traitements informatiques de données personnelles par lequel sont traitées – entre autres – les contraventions routières constatées et verbalisées électroniquement. Ce fichier a été créé par un arrêté daté du 13 octobre 2004, et déclaré à la CNIL conformément à la loi informatique et liberté.

Toutefois, un tel fichier ne peut pas être utilisé en dehors des fonctions qui lui sont confiées et déclarées à la CNIL. C’est pourquoi le premier article de l’arrêté énumère limitativement les finalités du traitement des données personnelles. Or, si cet article prévoit bien l’enregistrement et la conservation de données recueillies par les agents verbalisateurs, ce n’est expressément que dans le cadre de contraventions et de délits routiers.

Dans ces conditions, la procédure diligentée contre mon client est fondée sur des constatations qui ont été faites à l’aide d’un fichier qui a été détourné de ses finalités légales. Que cette situation soit volontaire ou non, il est nécessaire à mon sens d’annuler les actes de procédures qui ont été entachés de cette illégalité, ce qui impose l’annulation de la procédure dans le cas de mon client.

ALTER1FO : Depuis la mise en place du confinement, les forces de l’ordre ont procédé à 8,2 millions de contrôle et 480 000 verbalisations. De nombreux témoignages contestent ces verbalisations jugées absurdes sinon arbitraires. Le site Verbalisé (parce que) qui en fait l’inven­taire démontre l’étendue du phénomène. Suivez-vous cela de près et si oui, quel cela vous inspire-t-il ?

Je reste évidemment à l’écoute des différentes situations qui peuvent être dénoncées, mais il est impossible de se faire un avis sans avoir accès aux procès-verbaux dénoncés. Mais il est important que les justiciables sachent qu’une amende forfaitaire peut être contestée, et qu’un recours leur est donc ouvert si des contraventions ont pu être injustement relevées.

ÉPILOGUE :

Le verdict est tombé aujourd’hui (NDLR, jeudi 09 avril 2020). Le tribunal a suivi les arguments de la défense ; le client de Maitre Rémi Cassette est donc relaxé.
C’est un signal fort qu’envoie le tribunal correctionnel au gouvernement : celui-ci doit revoir sa copie. Et vite ! Il  n’est plus envisageable de condamner un prévenu pour « non-respect du confinement » au regard de contraventions recensées dans ce fameux fichier ADOC !

Ce n’est pas vraiment une surprise,  « le parquet fait appel de la décision », nous précise Maitre Rémi Cassette. Selon des propos rapportés par le quotidien Ouest-France, le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, « ne partage pas l’analyse juridique faite par la défense et le tribunal correctionnel ». L’affaire sera donc réexaminée par la cour d’appel de Rennes ultérieurement.

 


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