L’installation de Marina Roudaut est intitulée «Raconte moi notre histoire». On la trouve au sous-sol du bâtiment des Bouillants avec d’autres œuvres réalisées par des étudiants aux Beaux arts ou en Master 2 Art et Technologies Numériques (Rennes 2).
Quatre chaises sont installées face à un écran. Comme dans un miroir, on peut voir sur cet écran les mêmes quatre chaises, sauf que sur celles-ci sont assises quatre personnes. On comprend rapidement que les haut parleurs diffusent les témoignages de ces gens, sauf qu’à l’écran c’est l’artiste elle même qui s’est travestie pour les incarner. Les voix se suivent et se mêlent. Chacun raconte son parcours. Ce qu’il est, a été, a choisi de devenir. On associe assez facilement les propos tenus à son personnage. Pourtant, au fur et à mesure des déclarations, des ponts troublants se tissent, aussi bien entre ces quatre personnes qu’avec le spectateur.
Alter1fo : Peux-tu commencer par te présenter ?
Marina Roudaut : Je m’appelle Marina. J’ai 25 ans. Je suis étudiante à Rennes II en master deuxième année Arts et Technologie Numérique qui existe depuis cinq ans environ.
Où en es-tu de ton parcours de master ?
Je suis donc en deuxième année et dans deux mois c’est fini. Je compte continuer ensuite en faisant une thèse en arts plastiques. Donc continuer à avoir une pratique d’un côté et théoriser de l’autre. J’ai envie de rester toujours sur l’art vidéo. Comme je l’ai déjà un peu fait avec Raconte moi notre histoire, se demander comment le médium vidéo interroge la question du genre et du rôle de la sexualité.
Peux-tu nous expliquer comment se passe la liaison entre la fac et les Bouillants ?
Dès le début du festival, il y a trois ans, un des directeurs du master a rencontré Gaëtan des Bouillants et le partenariat s’est mis en place. Il n’y a rien de très officiel. C’est juste une proposition. Sur les douze élèves du master, il y en a seulement sept qui exposent. Ce sont surtout les gens qui sont prêts qui viennent en fait. On a un mémoire à rendre en juin. Il faut donc que notre pratique soit assez avancée. Il y a ce critère et puis il y a peut être aussi ceux qui n’ont pas envie ou n’osent pas.
Est-ce que tu connaissais le thème (le corps dans le numérique) avant de commencer ton œuvre ?
On nous a annoncé le thème en décembre dernier et j’étais déjà partie sur mon projet. Je n’ai donc pas adapté mon travail pour les Bouillants. Il s’est juste trouvé que ça collait.
Je crois que l’année prochaine le partenariat va être officialisé. Parce que c’est juste au moment où on doit écrire notre mémoire, et que ça nous prend beaucoup de temps. Il faut monter l’expo, s’en occuper, la démonter. L’année prochaine, ça devrait être compté officiellement dans les heures de formation. Ça facilitera le travail des futurs étudiants.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’exposer aux Bouillants ?
Mon travail était vraiment en chantier à ce moment là. J’avais à peine contacté les personnes. Je n’avais pas commencé le montage mais je savais ce que je voulais faire dans ma tête. Ce qui m’a donné envie, c’est l’occasion de pouvoir montrer ce qui était en moi à un public assez conséquent.
Comment a démarré la création de cette œuvre ?
Quand j’étais en licence déjà, j’avais commencé à travailler avec la vidéo. J’ai remarqué qu’au fur et à mesure du travail, le son prenait de plus en plus d’importance. C’était tout le temps des plans fixes de moi et, par des bruits, des superpositions, le son prenait de l’ampleur et l’image n’était plus là qu’en deuxième plan. Sauf que le son sur une caméra est vraiment très mauvais. J’ai donc travaillé avec un dictaphone et ce que ça m’a fait, simplement en essayant avec ma voix, m’a vraiment touchée. Il y a le grain, des grattements de peau qu’on n’entend pas à l’oreille. C’est au-delà de la réalité.
Ensuite pour trouver les quatre personnes, ça a été beaucoup de recherche.
Tu avais une idée précise de qui tu voulais trouver ?
Oui, il ne faut pas oublier que ce travail part d’une théorie. Mon mémoire traite de la construction identitaire et notamment ce qui passe par le sexe et la sexualité. J’ai donc cherché des gens pour qui la question de la sexualité était très forte dans la construction de leur identité. Je me suis dit que la question de l’homosexualité était très forte et j’ai pris contact avec le Centre Gay Lesbien Bi Trans de Rennes. Là on m’a tout de suite orientée vers Antonin qui est transsexuel et très militant. J’ai eu de la chance. Il était d’accord et très motivé. Çà passait bien entre nous et j’aimais bien sa voix aussi.
Pour les autres personnes, ça a été parfois le hasard. Pour Emmanuelle qui a été toxicomane, je l’ai rencontrée sur un boulot d’été en Suisse où je ramassais des abricots. On a sympathisé et j’ai été beaucoup intéressée par la façon dont elle racontait son histoire.
Ce qui m’a paru très intéressant, c’est que si au bout de deux minutes de son, on a facilement repéré à quel personnage correspond chaque voix, le fait que les témoignages se mêlent, fait que l’on se retrouve à faire des liens entre eux ou avec nous même. Comment s’est passé le montage ?
Ça été très compliqué. Beaucoup plus que je le pensais. Ils sont quatre. C’était des conversations de deux heures. Il y avait donc beaucoup de rushes à écouter et trier. Ce qui a été le plus difficile, c’est par exemple que pour Antonin, tout était intéressant dans ce qu’il disait. Il fallait donc trouver la phrase qui en résume trois autres.
Ensuite il y a l’articulation entre les témoignages. Je me suis mise devant mon ordinateur sans avoir rien écrit. C’était au fil des écoutes que je me disais : « Tiens cette phrase là est très forte. Je vais la mettre au début » et ainsi de suite. C’était comme pour les entretiens où je venais sans question.
Ce qui était aussi délicat, c’était de ne pas trahir la personne. De respecter leur parole. Il y avait parfois des enchainements qui leur faisaient dire tout autre chose que ce qu’ils voulaient dire. Il a fallu être attentif à ça et résister à certains raccourcis. Accepter de ne pas tout mettre aussi.
Est ce que tu as eu des retours sur ton œuvre ?
Je n’étais pas été très présente sur le site mais j’étais là au vernissage. Il y avait beaucoup de monde. Je me suis glissée dans la salle anonymement. J’ai été très touchée par le nombre de personnes qui remplissaient la salle et par le fait que les gens restaient assez longtemps même dans une ambiance qui ne s’y prêtait pas vraiment. C’était très très émouvant.
Est ce que tu l’as montrée aux quatre personnes interrogées ?
Pas encore, sauf Éléonore (qui raconte son expérience d’hôtesse dans un bar) qui est venue au vernissage. Je lui ai demandé si pour elle j’étais restée fidèle à ce qu’elle avait dit. Si ça disait la vérité. Elle avait du mal à dire un vrai oui. D’entendre réduit à dix minutes les deux heures d’entretien, c’était très étrange pour elle.
Le son est donc très important et presque auto-suffisant mais la vidéo apporte aussi beaucoup à l’effet miroir. Comment c’est venu ?
Au tout début, je voulais mettre les visages des personnes interrogées. Sans mettre de badge avec leur nom, mais juste leur visage comme ça. Mais ça me tracassait parce qu’il y avait quelque chose qui s’envolait. Ce qui me plaisait au départ, c’était que leur visage ne correspondait pas à l’idée que l’on pouvait s’en faire en écoutant leur discours. Mais c’était un peu trop facile en fait, et en plus Éléonore ne voulait pas qu’on montre son visage. Alors je me suis demandé si je pouvais mettre des gens au hasard. Sauf qu’en création, le hasard ça n’existe pas. Alors, il ne me restait qu’une seule solution, c’était moi. Ça rentrait dans mon travail puisque je me suis toujours mise dans mes vidéos. Quand j’ai eu cette idée, je me suis demandée pourquoi je ne l’avais pas eu plus tôt. C’était évident qu’il fallait que ce soit moi qui apparaisse. D’abord parce que je ne suis pas dans le son et aussi parce que mon travail parle de comment on se construit notre identité par rapport au modèle de notre société, de nos médias. Là, je m’accapare leurs images pour me créer mes propres modèles qui sortent des normes habituelles. Ce n’est pas une vraie construction mais plutôt une mise en scène du jeu de dédoublement dans nos vies.
Pour finir y-a-t-il des travaux d’autres artistes exposés qui t’ont intéressé ?
Chez les pros, j’ai bien aimé la Painstation des allemands de ////Fur//// qui arrive a être rigolo tout en gardant en arrière une critique très poussée.
Sinon, c’est vraiment pas parce que c’est une amie mais dans les œuvres étudiantes j’ai beaucoup aimé le travail de Diane Grenier (elle a parsemé le sous-sol de capteurs déclenchant des gémissements érotiques féminins). C’est peut être parce que c’est du son mais aussi elle oblige les gens à écouter de l’intime. Elle provoque une écoute avec des bruits qui peuvent gêner et celle qui est installée sur mon œuvre fonctionne vraiment bien.
Attention, il ne vous reste plus que deux jours pour voir cette œuvre (et les autres)
sur le site des Bouillants à Vern-sur-Seiche.
Informations et renseignements pratiques sur le site du festival.
Prochain rendez-vous pour les Bouillants à Saint-Brieuc du 7 au 30 juin.
Merci pour cette interview passionnante, Mr B.
Mademoiselle, c’est à la fois très intéressant et très émouvant de vous lire parler de votre oeuvre. Chapeau bas…
Très bonne interwiew.
qui nous donne envie d’aller voir cette oeuvre.
C’est ballot parce que les Bouillants à Vern, c’est fini depuis le 8 mai.
Il y aura cependant peut être une chance de rattrapage. On vous tient au courant.