Cette année, dans le cadre d’Avatars et Cie, vous avez pu : venir déguisé en votre alter égo à un concert, piloter une petite tondeuse à panneaux solaires, voler au dessus de Rennes… ou vous faire chatouiller par un robot. Vous pouvez aussi toujours vous rendre aux très belles expositions des créatures de NIARk1 ou des planches de la dernière BD de Frederik Peeters. On en a profité pour poser quelques questions à ce dernier.
L’homme augmenté est le thème de l’édition 2012 d’Avatars et Cie. C’est aussi une des figures classique de la Science-Fiction. Avec ses hommes bardés d’implants permettant mille prouesses, la série Aâma de Frederik Peeters ne déroge pas à la règle. Sauf que l’auteur place aussi au cœur de son récit un personnage refusant obstinément de s’en faire poser.
Nous vous avons déjà amplement clamé tout le bien que l’on pense des deux premiers tomes de cette Bande Dessinée mais vous avez aussi la chance de pouvoir aller admirer jusqu’au 30 novembre à la bibliothèque de Cleunay, une dizaine de planches en noir et blanc de la série dans leur impressionnant format original. Le travail graphique est très spectaculaire. Certaines cases, dont le pandémonium final du tome 2, sont des purs bonheurs. Raison supplémentaire de s’y rendre, le petit coin cosy où vous attendent un nombre généreux d’œuvres de Peeters, mais aussi une sélection fournie et variée de livres, BD et DVD de Science Fiction.C’ est un vrai petit coin de paradis pour les amateurs du genre ou les curieux.
Nous n’avons pu résister à la tentation de saisir l’occasion pour nous entretenir avec l’auteur.
Alter1fo : Vous avez abordé des genres et des formes très variés dans vos albums. La série Aâma n’est pourtant pas votre premier essai en science fiction. Il y avait déjà eu Lupus dans un style plus frondeur et mélancolique et aussi Koma d’une certaine façon. Quel est votre rapport au genre SF ?
Frederik Peeters : Aujourd’hui, je lis beaucoup de littérature SF. Peu d’anglo-saxons en fait, quelques français, et des écrivains de l’est, polonais, russes. Une SF plus métaphysique, tournée vers l’onirisme et le symbolisme. Avec une touche effectivement très mélancolique. Mais ce qui me touche dans le genre, c’est en fait quand un parallèle s’opère entre un voyage physique, un vrai récit d’aventure ou d’exploration, et un voyage intérieur. Je viens de finir le fameux roman Stalker des frères Strougatski, c’en est un parfait exemple. Mais tout ceci a mis du temps à se mettre en place. Il y a quelques années, lorsque j’ai fait Lupus, ma culture SF se limitait essentiellement au cinéma populaire, et ma démarche consistait à prendre le genre de façon ironique. Une fois la série finie, et après être passé par d’autres types d’histoires, je me suis rendu compte que Lupus restait mon meilleur souvenir de création. C’est là que je me suis lancé dans Aâma, mais en prenant soin cette fois de me documenter et d’embrasser certains codes avec franchise et presque avec révérence. En tentant aussi de nourrir le récit avec des questionnements sur mon rapport au monde, à la technologie, l’écologie, les futurs possibles.
La construction « à rebours » d’Aâma permet justement ce parallèle entre un voyage riche en péripéties et le cheminement mémoriel de Verloc. Est -ce que cette structure s’est tout de suite imposée à toi ?
Oui, en réaction à Lupus à nouveau. Les livres se construisent souvent en réaction aux précédents. Lupus s’est construit en totale improvisation, et la fin est donc conditionnée par la démarche. Cette fois, je voulais une direction claire. Un point de départ et un point d’arrivée, pour pouvoir un minimum habiller les mondes que les personnages allaient traverser, avoir une idée du nombre de protagonistes, pouvoir mieux élaborer les révélations et les rebondissements. Mais je voulais aussi me laisser la liberté de faire des détours, de rallonger des séquences suivant l’humeur du moment, nourrir le récit au jour le jour. Je me suis donc forcé à commencer par une fin, pour être obligé de retomber dessus à un moment, mais le reste est improvisé sur ce canevas. Je sais d’où je pars, je sais où je vais, mais je ne connais pas la route. Et puis le fait de suivre un personnage qui redécouvre ses souvenirs en se relisant lui-même était cohérent avec les thèmes généraux de l’histoire. Les erreurs de parcours, la mémoire, la filiation, la modification de l’humain par la technologie.
Ton dessin a beaucoup évolué sur tes derniers travaux. En gros à partir de la fin de Lupus (encore) et surtout sur Pachyderme, Châteaux de sable et Aâma, ton trait se fait moins rond pour aller vers quelque chose de plus organique et détaillé. Quelle est la part de travail volontaire et de changement naturel dans cette évolution ?
C’est principalement un problème de format. Le format des planches grandit sans cesse, pour s’adapter au propos. Un peu plus petit que A3 pour Lupus, puis un peu plus grand, et finalement quasiment A2 pour Aâma. Lupus comportait peu de personnages, et je voulais consciemment donner assez peu d’importance aux décors, pour retourner les clichés SF. Puis Pachyderme, avec des envies de décors d’intérieurs, puis Château de sable, avec le besoin de pouvoir faire rentrer une multitude de personnages dans chaque case. Et finalement Aâma, pour lequel j’ai vraiment décider de pousser les manettes du genre, et de dessiner des décors fouillés, détaillés, amples. Le fait d’agrandir les originaux a pour effet d’affiner les traits lors de la réduction. En dehors de ces considérations techniques, au niveau du dessin pur, je pense qu’il y a effectivement eu une cassure lors du quatrième Lupus. Mon trait est devenu plus fin et plus posé. Je le constate avec le recul, mais je n’ai pas d’explication pour ça. Une envie de classicisme peut-être.
Pour Aâma, tu animes avec régularité un passionnant BLOG où tu dévoiles pour notre plus grand bonheur une partie des coulisses de ton travail et de tes inspirations. D’où est venue cette envie et qu’est ce que ça t’apporte à toi ?
J’ai eu envie de retrouver la discipline que je m’étais imposée lors de mes portraits de zombies. Mais je ne voulais pas sortir de Aâma, voire renforcer le phénomène d’immersion. Donc voilà comment l’idée est venue. Je me suis dit que ça me forcerait à faire des recherches, à provoquer des accidents, à faire des trouvailles inattendues. Quelquefois, le cours du scénario a même été infléchi par une idée née d’un croquis de recherche, fait presque sans y penser. Mais principalement, c’est la régularité qui est intéressante, le fait de garder le cerveau en éveil, et de créer une masse d’images et de réflexions de toute sorte, qui servent de terreau, pour nourrir toute l’histoire. Et puis c’est une banque mémorielle, très utile pour répondre aux questions des journalistes. Et c’est aussi plus honnête pour les lecteurs que ça intéresse, et qui ne seront pas obligés de payer un tirage spécial à 35 euros pour avoir accès à trois pauvres croquis au crayon.
Tu annonçais vouloir partir avec Aâma sur une saga aux nombreux albums. Commences-tu à avoir une idée plus précise de la longueur finale de l’histoire ?
Oui oui. Soit cinq tomes, soit quatre avec un quatrième plus épais.
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous répondre malgré un agenda très chargé.
Bibliothèque municipale de Cleunay – du 14 au 30 novembre 2012 – entrée libre
Si vous vous rendez jusque là, on vous conseille fortement de vous attarder au rez-de-chaussée pour jeter un œil aux créatures fantasmatiques et hautes en couleur de Sebastien Feraut, alias NIARk1.
MJC Antipode – du 14 novembre au 14 décembre 2012 – entrée libre