Shannon Wright à l’Antipode : l’Intensité de la foudre

Shannon Wright revient sur la scène de l’Antipode ce mercredi 19 mars, avec les indépassables Kyle Crabtree et Todd Cook (Shipping News) à ses côtés (autrement dit le meilleur line-up imaginable). Suite à la dérouillée qu’on s’est prise ces derniers jours sur les quelques dates de la tournée qu’on a eu l’immense chance de voir, préparez-vous à être remué.es. Lessivé.es. Bouleversé.es. Grillé.es par la foudre.

Shannon Wright live @ Bonjour Minuit, St Brieuc, mars 2025- Photo Caro Alter1fo

Enfin si vous avez votre place. Parce que c’est complet, et déjà depuis longtemps (avant même que le nouvel album ne sorte !). C’est dire l’excitation suscitée par le retour de l’Américaine par ici (et ailleurs !). Et pour cause…

On l’a déjà dit, Shannon Wright, on l’aime d’amour. Parce qu’elle nous a centrifugé cœur, âme et estomac tout ensemble à chacune de ses prestations ou sorties discographiques. En 1998, l’Américaine saborde son groupe, Crowsdell, et part, seule, avec sa guitare comme unique bien. De là naîtront les fragiles et troublants Flighsafety et Maps of Tacit (1999 et 2000), puis plus tard, le rêche et sublime Dyed in the Wool (2001). Une vraie claque déjà. De ces disques qu’on écoute en boucle pendant des jours, sans rien vouloir écouter d’autre. Tout ça grâce à l’essentiel label bordelais Vicious Circle qui vient alors de signer la sortie de l’album dans l’Hexagone. Nous, on n’y comprend rien. Pendant des jours, voire des semaines entières, on se repasse un même morceau en boucle, découvert sur un sampler du fanzine Abus Dangereux (la face 75, pour être précis). On vient d’être grillé par la foudre. On attendra avec une fébrilité alors inconnue la sortie de l’album en France. Dyed in the wool, imprimé au plus profond de nos épidermes, déjà.

Shannon Wright – Crédits Photo : Jason Maris

La France a aussi la chance de la découvrir en live, en première partie de Calexico notamment, lors de prestations intenses. Shannon est écorchée et passionnée, elle ne laisse personne indifférent. On l’a dit. Plus qu’une claque : une tornade. A l’intégrité et à la sincérité qui vous font mal au ventre mais vous libèrent en même temps. Sur scène, le visage souvent dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée par la musique. Ses déflagrations sonores vous mettent de terribles claques dont vous peinez à vous relever. Vous pensez enfin arriver à vous rétablir ? Peine perdue, le morceau suivant vous renvoie directement dans les cordes…

En 2004, elle retrouve l’ami essentiel Steve Albini (que la terre lui soit légère) pour son album (alors) le plus rock et le plus rêche, Over The Sun. Cet album change des vies. Tumulte de guitares électriques, voix poussées à l’extrême. C’est un disque abrasif. Shannon y manie la guitare « comme une serpe» disent les gars de Vicious. Et puis il y a le pianoCes morceaux doux en apparence qui vous poignardent tout aussi fort. Suivra un disque avec Yann Tiersen qui la fera connaître davantage (écoutez par ici ce que Yann Tiersen dit de cette rencontre qui l’a plus qu’inspiré).

Shannon Wright – Crédits photo : Jason Maris

Puis contre toute attente, Shannon revient en 2007, avec Let in the Light, un album apaisé, sans pour autant être rangé. On l’imagine plus heureuse, moins à vif, mais on la sait toujours aussi exigeante. Shannon ne lâche rien. Elle n’a rien à faire des clichés, des modes, des étiquettes. Elle reste sur le fil tendu. Intègre. L’album suivant, Honeybee Girls, sorti en septembre 2009, alterne les assauts frontaux, les climats orageux et les moments plus paisibles… Mais méfiez-vous de l’eau qui dort. Sous ce calme apparent, les cassures apparaissent. Et les morceaux au piano se révèlent tout aussi ravageurs, tout comme cette incursion très rare (alors) dans la discographie de l’Américaine, dans les terres électroniques sur un morceau glaçant et bouleversant, Father.

On pensait attendre plus longtemps avant la sortie d’un nouvel opus. Et puis Secret Blood est arrivé début novembre 2010. Une entrée en matière sur les chapeaux de roue, un brûlot hardcore (l’énorme Fractured qui prend toute sa puissance en live ou plus loin l’époustouflant Commoner’s Saint), des ballades renversantes et encore des mélodies qui livrent progressivement leurs secrets. La sortie dIn film Sound début 2013 nous marquera une nouvelle fois au fer rouge. On ne pensait (naïvement) pas que Shannon pouvait aller encore plus loin. En 9 titres désormais essentiels, elle livre un album à la densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et perfore vos poumonsExplosions rêches, riffs qui transpercent, propulsés par une rythmique à la puissance nucléaire ou accalmies poignantes et déchirantes (oui, Who’s sorry now ? ou Bleed juste après) In Film Sound déchaîne les corps et libère les âmes. Et, comme pour la tournée de Let in the light, en live, avec les indépassables Kyle Crabtree (batterie) et Todd Cook (basse) -Shipping News-, les trois nous propulsent à des hauteurs insoupçonnables.

On attendra 3 ans pour la sortie de DivisionNé d’une rencontre essentielle, celle de l’Américaine avec Katia Labèque, immense pianiste aux oreilles grandes ouvertes, un soir d’orage émotionnel en Suisse (Shannon est alors sur le point d’arrêter la musique – Katia Labèque lui ouvre grand les bras et l’invite dans son studio à Rome), l’album explore de nouvelles facettes de l’art de songwriter de la musicienne. Shannon essaie de nouvelles choses : elle y mêle acoustique et électronique (les immenses pianos du KML studio aux synthés analogiques, les batteries acoustiques aux boîtes à rythmes digitales), se permet une fragilité et une tendresse à faire chialer les pierres et ose un travail autour des voix et des mélodies vocales tout aussi renversant et désarmant. Au final un disque courageux, libre, une nouvelle fois défendu live en trio, avec notamment David Chalmin (qui a enregistré l’album).

C’est justement avec David Chalmin que Shannon donnera suite à Division en 2019, tout(e) au piano, avec le bouleversant Providence. Uniquement à la voix et au piano, Shannon Wright déchire à nouveau les âmes et les cœurs. Sept titres à peine. Et pourtant un condensé d’épaisseur, d’émotions, qui prend aux tripes. Et déchire en même temps qu’il apaise. Ou l’inverse.

Pendant toutes ces années, Shannon Wright tourne en France, en Belgique, en Suisse, en Italie et quelques fois aux Etats Unis avec ses amis de Shellac essentiellement. Et puis le silence. Cinq ans d’absence discographique, lacérés par le deuil et la maladie qui rendent encore plus immensément précieux la sortie de Reservoir of Love et le retour sur scène de Shannon, qui auraient pu ne jamais avoir lieu (on en tremble encore).

Shannon Wright – Reservoir of Love

Aussi la cinquantaine de secondes anonymes et salvatrices qui ont annoncées la sortie de Reservoir of Love (sorti en février comme toujours chez l’indéfectible et immensément précieux label bordelais Vicious Circle, qu’on aime d’amour aussi), cette boucle à l’envers accompagnant la ritournelle de la boîte à musique soudainement lacérée de quatre accords -légèrement- saturés à la guitare et d’une batterie toute en déflagration au ralenti nous ont instantanément vrillé les sens. Cinquante secondes qu’on a écoutées pendant trois jours euphoriques de félicité fébrile et soulagée, sans discontinuer (un peu comme il y a fort longtemps, les premières secondes disponibles annonçant la sortie d’Over the sun).

A sa sortie, on a ensuite obsessionnellement fait tourner le morceau complet dans nos oreilles, que ce soit sous la neige ou sous la pluie, dans le soleil d’hiver et le froid sec, sous les étoiles, devant le feu, au milieu des immeubles ou dans la forêt, ces cinq minutes et des poussières accompagnant en boucle nos marches, nos réveils difficiles, nos nuits douces ou cabossées, nos jours heureux ou anxieux, et se révélant, définitivement, inusable. Après un second extrait (The Hits, tout autant écouté, on l’avoue), l’album est arrivé au complet, révélant au final huit titres de très haute tenue, à la fois lumineux et déchirants (comment ne pas finir en larmes à chaque écoute de Something Borrowed ?), composés et enregistrés par Shannon seule chez elle (hormis le jeu de batterie et le mastering assurés par Kevin Ratterman -qui avait enregistré In film Sound déjà-). Les versions lives qu’on a pu en découvrir ces derniers jours confirmant leur statut de classiques instantanés. Un album en même temps différent de tout ce que Shannon avait écrit jusqu’alors mais tout aussi instantanément familier. Shannon s’y réinvente, s’y permet autre, tout en continuant de nous renverser par sa  désarmante intégrité.

Shannon Wright – Crédits photo : Thomas Rabillon

On ne dira rien du live qui accompagne la sortie de l’album, hormis que la setlist en est parfaite (Kyle nous a même soufflé qu’à Rennes, ils essaieraient de glisser un nouveau morceau de l’album qu’ils n’ont pas encore joué sur la tournée -s’ils arrivent à le répéter d’ici là-) et que chacune des quatre dates qu’on a pu voir nous a chaviré l’âme et le cœur. Et chaque soir toutes les salles avec nous.

Si vous ajoutez que son compagnon de label, l’émouvant Troy Von Balthazar (Chokebore) viendra lui aussi ce soir là présenter son très touchant nouvel album Aloha Means Goodbye (mars 2025, Vicious Circle) dans la foulée de la réédition de l’iconique Black Black de Chokebore (toujours sur Vicious Circle) -et peut-être avec un dispositif adapté à ses ennuis de santé – et vous comprendrez pourquoi nombreux.ses sont ceux et celles qui nous envient cette date à Rennes.

On vous aura prévenu.es : la foudre, contrairement à ce que dit l’adage, tombe souvent au même endroit


Shannon Wright et Troy Von Balthazar seront en concert le mercredi 19 mars 2025 à 20h30 à lAntipode (avenue Jules Maniez, Rennes)

Ouverture des portes : 20h00 – Début des concerts : 20h30 – Antipode – Le Club : Placement libre debout

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