Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Pour cette 16ème étape, nous vous invitions à découvrir l’univers sombre, très sombre, d’un des nos grands coups au cœur et au plexus de l’an passé : Benjamin Whitmer.
Un des grands plaisirs des serial lecteurs dans notre genre est la découverte fracassante d’un nouvel auteur ou d’une nouvelle autrice. Il y a ainsi des livres qui vous frappent d’évidence tel l’éclair et qui, une fois reposé, vous laissent avec l’irrépressible envie d’aller immédiatement dévorer toute la bibliographie de la personne. Évasion de Benjamin Whitmer est de ceux là.
Troisième roman de cet auteur originaire de l’Ohio, Évasion raconte bien l’histoire de l’échappée d’une douzaine de prévenus de la prison d’Old Lonesome qui surplombe une petite ville du Colorado encerclée de montagnes. Nous sommes le soir du réveillon de 1968, en pleine tempête hivernale, et gare à celles et ceux qui croiseront dans le blizzard la route des prévenus en cavale comme celles des représentants de l’autorité à leur poursuite.
Autant vous prévenir, c’est un roman d’une âpreté et d’une violence rare. Avec une écriture sèche comme un direct au foie et un rythme aussi singulier qu’étouffant, Whitmer dresse le portrait d’une ville et de l’effet qu’à la présence écrasante du terrifiant pénitencier. Habitants, prisonniers, gardiens, directeur de la prison, journalistes sont disséqués et mis à nu par l’implacable spirale d’événements menée de main de maître par l’auteur. Dans le froid glacé des éléments et du déchainement de la violence humaine, l’auteur réussit l’exploit de faire surgir, de façon aussi ténue que fragile, toute la tragique humanité qui fait notre lot à toutes et tous.
Même si nous en sommes un peu sortis en état de choc, ce grand roman, nous a donc donné envie de découvrir ce que valait le reste de l’œuvre du monsieur. Nous vous conseillons tout aussi chaudement Pike et Cry Father ses deux premiers livres tout aussi intenses mais celui qui nous a encore plus mis dedans dehors, c’est son dernier opus : Les dynamiteurs.
Sorti toujours chez Gallmeister, en grand format en 2020 puis en poche à l’été 2021, Les dynamiteurs est une ambitieuse fresque historique. Whitmer nous y conte les origines de sa ville de prédilection : Denver, capitale du Colorado. Nous sommes en 1895 et Sam et Cora, tous les deux orphelins veillent sur une bande de gamins des rues ayant trouvé refuge dans une usine désaffectée assaillie régulièrement par les autres déshérités hantant le bidonville jouxtant la ville. Lors d’une bataille particulièrement âpre, ils sont sauvés par l’intervention d’un étrange colosse défiguré et gravement blessé. Alors que notre géant retrouve peu à peu ses forces grâce aux soins de Cora, une relation va naitre entre la brute et Sam, seul du groupe capable de lire les messages griffonnés dans un carnet par lesquels ils communiquent. Cette rencontre et celles qui vont en découler vont amener l’adolescent à se délester des derniers lambeaux d’enfance fracassée qui lui restent pour entrer dans le monde aussi repoussant que fascinant des adultes.
Là encore, l’auteur réussit à mêler destins individuels et vision large d’une ville en plein essor industriel et voulant se parer des atours de la modernité, mais bâtit sur un épais socle d’injustices sociales et de violences criminelles. Chez Whitmer, la violence est partout, chez les malfrats, les enfants, les clochards ou les notables. Pourtant, le livre déborde d’une tendresse infinie et fulgurante pour cette bande de mômes dont le destin fragile va se fracasser sur les intrigues et les luttes des adultes qui les entourent. On ne pensait pas ça possible mais son écriture a encore gagné en force et en précision. Chaque chapitre, chaque phrase sont terrassants de précision et de force. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas aussi souvent arrêté notre lecture pour relire ou disséquer certains passages.
Les blessures du quotidien et la fatigue due aux coups reçus à chaque nouveau bulletin d’infos vous feront peut-être soupirer à l’idée de vous plonger dans des livres d’une telle noirceur. Nous pensons cependant que l’écriture foudroyante et l’œil acéré d’auteurs comme Benjamin Whitmer n’ont jamais été aussi essentiels qu’aujourd’hui.
Évasion de Benjamin Whitmer, 432 pages – 11,10 Euros
Traduit de l‘anglais par Jacques Mailhos
Préface de Pierre Lemaitre
Paru le 6 février 2020 chez Gallmeister – Totem n°151
ISBN 978-2-35178-747-2
Les Dynamiteurs de Benjamin Whitmer – 384 pages – 10,60 Euros
Traduit de l‘anglais par Jacques Mailhos
Paru le 19 août 2021 – chez Gallmeister – Totem n°194
ISBN 978-2-35178-827-1
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