La venue à Rennes des Mancuniens de Total Victory avait suscité de hautes espérances parmi toutes celles et tous ceux qui étaient tombés sous le charme du post-punk classieux de leurs deux énormes albums. Promesses mille fois tenues, vendredi 1er novembre au Bar’Hic avec une énormissime prestation qui s’inscrit d’emblée au firmament de nos plus inoubliables déculottées scéniques.

Quand nous arrivons Place des Lices, c’est avec la ferme intention de nous faire hautement consoler de cette pluvieuse et morne journée de 1er novembre. Nous en avons d’autant plus l’espoir, que nous avons réécouté en boucle depuis leur découverte, les formidables The Pyramids of Privilege et National Service du quintet de Manchester Total Victory. Ajoutez à ça : une vidéo ébouriffante de leur tout récent concert à Marseille, un Don Lurie qui place la barre très très haut à grand renfort de dithyrambe facebookesque, la présence de deux des membres des excellents Berline 0.33 ayant fait spécialement le déplacement pour suivre le groupe avec lequel ils ont joué à Lille et Paris… et en plus la fine équipe de Kfuel qui nous annonce le sourire aux lèvres avoir applaudi à la fin de la balance du groupe, et ce n’est rien de dire que nous entrons dans le Bar’Hic confiants de nous prendre une sacrée mornifle. Pour ce qui sera la dernière date de leur première tournée, on compte fermement sur un final de toute beauté.

Avec de telles attentes, ce n’est pas facile pour le premier groupe d’ouvrir le bal. Pourtant avec un peu d’humour et un tonitruant Mission en guise d’ouverture, les Rennais de MusicSova se mettent l’accueillant public dans la poche. La suite est à l’avenant, avec un noise-rock solide et racé qui nous ravit les oreilles. On regrettera juste que le quatuor ne se lâche vraiment que sur la fin du set, où l’impeccable enchaînement du terrible Fix it avec l’ample et foudroyant Bangkok Station, montre de quoi ils sont capables quand ils lâchent la bride. Nous sommes en tout cas ravis de compter dans les parages un groupe de plus avec un aussi chouette potentiel. A suivre donc.

L’impatience de découvrir enfin sur scène les Total Victory est donc à son apogée quand débarque avec un flegme tout britannique la bande. Le dégingandé chanteur Dan Brookes arbore fièrement un superbe maillot rouge d’un club de foot allemand des années 80 et noue consciencieusement en grigri une écharpe de supporter. Les quelques petits doutes qui subsistaient encore sur la grandeur de ce qu’on va se prendre dans la tronche vont instantanément être pulvérisés par une volcanique version du tubesque Churchbuilder en guise de prélude. Pas de doute, ces gars sont bien là pour tout donner. Ça tombe bien parce que le public venu nombreux a l’air fermement décidé à le leur rendre au centuple. Pas question de tourner autour du pot, les gars balancent d’emblée leurs morceaux qui nous avaient le plus tapé dans l’oreille joués (très) fort et avec une intensité estomaquante. Petit retour au premier album avec le puissant Conservative Girl et voilà qu’ils déclenchent le coup de grâce… au troisième morceau. Ils décochent donc d’emblée leur plus imparable cartouche : What The Body Wants, The Body Gets, chanson immense, ici magnifiée dans une version surpuissante qui nous file encore des frissons rien que d’en reparler. L’espace d’un instant, on a même peur que nos lascars n’aient grillé trop vite leurs atouts, mais leur générosité et leur talent feront que l’intensité ne fera finalement qu’augmenter au fil du set. Ce qui fait vraiment sortir de l’ordinaire leur prestation, c’est l’homogénéité de puissance de chacun des éléments du groupe. Le plus ostentatoire est bien sûr le chanteur Dan Brookes. Le monsieur bouge et hurle comme si sa vie en dépendait et sa voix (même éraillée par une intense semaine de tournée) est décidément une des plus sidérante qu’on ait entendue depuis longtemps. Mais ce serait totalement injuste d’oublier de louer la frappe ahurissante du batteur James Ellams, l’envoûtante basse de Matthew Leonard et les guitares foudroyantes et subtilement dissonantes de Matthew Evans et Martin Mansell. La montée en puissance entre les disques et la scène est presque surnaturelle. Leur post-punk élégant et accrocheur se mût en un noise-rock dévastateur alliant une science mélodique rare avec la puissance de feu d’une horde de porte-avions. Dans une générosité délicieusement déraisonnable, la bande lâche toutes les amarres et enchaîne tuerie sur tuerie sur un rythme d’enfer, sans qu’à aucun moment la tension ne redescende d’un iota.
Une grosse dizaine de titres plus tard, nous sortons de là totalement lessivés, avec les oreilles et la tête qui bourdonnent mais le sourire jusqu’aux oreilles malgré la pluie et les températures pré-hivernales. Mieux que les capuches ou les parapluies, nous emportons avec nous le souvenir de ce qui restera probablement comme un des plus magnifiques concerts de l’année, voire plus.
Merci à Kfuel, au Bar’Hic et a tous ceux qui ont permis cette superbe tournée. Les Total Victory ont l’air tout aussi ravis que nous et on guettera avec l’anxiété de sœur Anne leur retour dans nos contrées. En attendant, on surveille avec la même intensité la prochaine vidéo de l’ami Appolosmouse. Ce fut si beau, qu’il a décidé de prendre le temps de monter sur ces images une meilleure prise de son pour rendre honneur dignement à ces instants magiques.