[critique] Elle

Dix ans après Black Book, Paul Verhoeven revient au long-métrage avec Elle, présenté en compétition officielle au festival de Cannes. Entre ses deux derniers films, le réalisateur s’est intéressé à la figure de Jésus dans une biographie contestée. Il émet l’hypothèse d’un viol commis à l’encontre de Marie par un centurion romain, et que Jésus serait le fruit de cette union. Dans Elle, Michèle Leblanc (Isabelle Huppert) est violée à l’intérieur de sa grande maison, sous le regard perçant d’un chat.

Elle, c’est donc Isabelle Huppert. Elle est à la tête d’une entreprise de développement de jeu vidéo, mère d’un enfant immature, divorcée, et se retrouve rouée de coups et violée dans son salon. Elle prend un bain, fait un test pour le VIH et reprend sa route. Elle n’appelle pas la police et décide de se confier à ses amis lors d’un dîner au restaurant. Le film est entièrement centré sur le personnage d’Isabelle Huppert qui n’est heureuse que lorsque le monde est au bord du gouffre, que quand les expériences vécues sont au bord du chaos. Michèle Leblanc doit composer avec un héritage difficile – son père a assassiné 27 personnes – et une routine qui ne lui sied guère. Elle est donc partagée entre l’envie de tuer celui qui l’a souillée et celle de le retrouver pour comprendre son acte, voire pour réitérer le moment. Le son est essentiel pour comprendre la démarche du cinéaste. Les coups portés lors de la scène du viol résonnent dans la salle de cinéma et la scène est éprouvante à regarder. Il accentue la puissance des coups pour insister sur la violence du geste. Pour le personnage d’Isabelle Huppert, la violence est tolérée comme en témoigne cette scène où elle retrouve son violeur et où elle accepte qui lui mette des coups pour retrouver l’expérience première.

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Le thème du dédoublement est à nouveau présent dans Elle. Dans Total recall, le personnage d’Arnold Schwarzenegger ne sait plus qui il est (Quaid ou Hauser). Là, les personnages jouent presque tous à un double jeu. A l’instar de Claude Chabrol, Paul Verhoeven fait voler les hypocrisies en éclat lors de la scène du repas à Noël. Michèle Leblanc complote dans la cuisine pour préparer son petit jeu de massacre, accompagnée de sa meilleure amie. Le cinéaste prend un malin plaisir à déjouer les codes d’un cinéma français petit bourgeois en invitant le grotesque autour de la table et c’est l’une des scènes les plus réussies du film.

Le film se déroule presque uniquement dans des endroits fermés. On ne voit que peu de pièces de la maison de Michèle Leblanc et sur son lieu de travail, elle navigue entre son bureau et celui d’un employé zélé. Le studio de développement est en train de créer un nouvel épisode de la saga Styx. Ce n’est pas anodin puisque le but du jeu est de s’infiltrer dans un environnement hostile sans se faire repérer. Cela rappelle les multiples effractions du violeur pour entrer dans la maison. D’ailleurs, le lieu de travail sera le champ de bataille d’un thriller machiavélique où plusieurs employés seront pointés du doigt par la caméra comme potentiel suspect du viol commis sur Michèle Leblanc. En ce sens, le film multiplie les intrigues au sein d’un même environnement. Tout est sexuel autour d’elle. En effet, elle rend visite à sa mère et trouve un jeune homme en slip à ses côtés. Sur son lieu de travail, Michèle Leblanc masturbe le mari de sa meilleure amie.

Dans ses déambulations, Isabelle Huppert est magnifique de noirceur et de cynisme et il est difficile d’imaginer une autre actrice qu’elle pour interpréter ce rôle. Au fur et à mesure du film, elle s’éloigne pour n’être là que physiquement. Les autres acteurs sont tous aussi bons (Anne Consigny en tête) et aucun n’est sacrifié au profit d’Isabelle Huppert. On retrouve le goût de Verhoeven pour le sexe, la violence, le sacré. Par-delà la morale, il dessine les contours d’une actrice au sommet de sa forme.

 

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