Avant propos : l’article évoquera principalement la violence masculine, les femmes restent en très grande majorité les premières victimes de violences conjugales mais nous n’oublions pas que le cas des hommes battus ou maltraités existe aussi.
***
Cruel et désarmant constat. En France, chaque année, 216 000 femmes sont victimes de violences commises par leurs partenaires(1) et tous les trois jours, une femme meurt sous leurs coups. Statistique sans doute bien en-deçà de la réalité tant la loi du silence perdure. En parallèle des politiques publiques axées principalement sur la prise en charge des victimes et leur protection, une nouvelle voie peu connue allant parfois à l’encontre de certaines idées reçues est menée à Rennes pour enrayer le cycle de la brutalité en prenant en charge directement les auteurs de ces violences.
Rencontre avec l’association Nell qui développe des stages de responsabilisation pour prévenir la récidive.
****
L’alternative
Entre un classement sans suite, une amende ou une peine de prison, Charline Olivier (assistante sociale de formation) et Jean-René Gouriou (psychologue) proposent une alternative aux poursuites judiciaires depuis juin 2012 au sein de leur association NELL.
Charline Olivier : « Notre association s’insère dans un dispositif psycho-criminologique et est conventionnée pour exercer des mesures de compositions pénales, mesures que peut prendre le parquet dans le cadre d’une procédure alternative aux poursuites. »
Ces stages sont proposés uniquement aux auteurs ayant reconnu les faits reprochés dans le cadre d’une ouverture de procédure faisant suite soit à un renseignement judiciaire ou soit à un dépôt de plainte(3). A eux ensuite de donner leur accord mais rares sont les refus (moins de 10 % en 2014); refus synonyme de renvoi vers la justice.
Jean-René Gouriou : « Cela peut-être vécu comme une échappatoire pour eux, bien sûr, nous ne sommes sûrs de rien. On s’imagine bien que les gens ne viennent pas ici de bon cœur et d’ailleurs, certains ne se gênent pas pour nous le dire dès la première rencontre. Ces personnes sont orientées vers ce stage de responsabilisation sous la contrainte judiciaire. Mais de la contrainte naît l’adhésion et généralement, les personnes qui viennent vers nous jouent le jeu et se surprennent elles-mêmes à apprécier et à s’impliquer dans les réunions, pas seulement avec nous mais avec le groupe… la preuve que cela correspond bien à un besoin »
Les toutes premières expériences dans ce domaine ont été initiées par le Dr Roland Coutanceau, qui a ouvert en 2001 l’une des premières consultations françaises pour les hommes violents(5). En 2013, Virginie Kles, sénatrice et rapporteur du rapport « Égalité femmes-hommes », a énoncé la nécessité de proposer cette prise en charge socio-judiciaire.
Expliquer n’est pas excuser !
En 2014, c’est donc une cinquantaine d’auteurs de violence qui a été accompagnée par l’association :
Jean-René Gouriou : « Nous ne prenons pas en charge des hommes violents mais des hommes ayant eu un comportement violent ou ayant produit des actes qualifiés de faits de violences conjugales. Nous abordons un comportement et tentons alors de le déconstruire à la fois à travers des entretiens individuels ou lors de séances de groupes pour empêcher la récidive. »
Le stage de responsabilisation d’une durée totale de trois à six mois est constitué de plusieurs temps forts, d’un accompagnement en 5 séances en mode groupal, d’un bilan et d’un suivi. A travers celui-ci, nos deux interlocuteurs vont alors tenter de faire ressurgir des explications, des éléments déclencheurs pour déterminer ce qui a pu engendrer le passage à l’acte violent. Certains exercices collectifs donnent lieu à des échanges entretenant ainsi une dynamique de groupe, des potentialités de changement, de réaménagement psychologique de chaque participant. L’importance de verbaliser les choses. A la fin du stage, certains pourront être mieux orientés pour une prise en charge spécifique accompagnée de partenaires sociaux, médicaux ou psychosociaux (aide psychologique, lutte contre des addictions type alcoolisme etc…).
Jean-René Gouriou : « Autour du quatrième regroupement, nous insistons sur la notion de vulnérabilité : qu’est-ce qui fait que la personne a explosé à un moment donné ? La violence montre un symptôme de vulnérabilité et c’est celle-ci que l’on interroge, quel que soit son contenu puisque ce qui est déterminant est ici de connaitre le type de vulnérabilité. »
La violence psychologique, économique, verbale ou physique est partout, dans toutes les couches sociales. L’image du conjoint violent, rustre et alcoolique n’est que trop simpliste. « Il n’y a pas de profil type, ce peut être le voisin charmant ou la personne avec qui l’on travaille ; ces hommes sont souvent très sympathiques dans la vie sociale », explique Françoise Brié, vice-présidente de la FNSF (Fédération Nationale Solidarité Femmes). D’ailleurs selon le rapport 2014 fourni par NELL, les auteurs sont pour la plupart tous bien insérés dans la société : en situation d’emploi à 83,3 %, parents à 91,7% et une faible minorité résidant sur les quartiers reconnus prioritaires par les politiques. La complexité et la singularité des histoires personnelles empêchent toute tentative de généralisation des soins. Malgré tout, on retrouve quelques récurrences chez ces auteurs.
Charline Olivier : « Beaucoup nous ont raconté avoir été témoins de violences sur leur mère ou ont été eux-mêmes victimes dans leur enfance. Ce sont également des gens qui n’ont absolument pas confiance en eux, ni dans leurs réactions. On n’excuse jamais rien, expliquer n’est pas excuser. Expliquer, c’est juste remettre du droit dans l’histoire. »
Rien n’est acquis, l’humilité est de mise : « notre travail c’est de l’artisanat, on tente de comprendre chez une personne singulière ce qui l’anime et ce qui pourrait l’aider à produire du changement » nous avouera Charline mais les résultats – certes encore récents pour avoir un vrai recul sur la durée – semblent probants : les auteurs reçus n’ont pas fait l’objet de nouvelles plaintes pour violence sur leur conjoint même si, bémol oblige, cela ne signifie pas obligatoirement aucune réitération de violence(4) .
Charline Olivier : « On sait que le passage à l’acte peut survenir lors de moments de vulnérabilité : un deuil, une perte d’emploi, la naissance d’un enfant, la retraite. Nous travaillons sur ces périodes où la violence est apparue et sur les jours d’avant, les semaines, les années. Si une situation de crise apparaît de nouveau, il faut que la personne puisse savoir réagir, contacter une tierce personne et éviter ainsi de retomber dans la violence.(9)»
Charline Olivier : « Ce qui est intéressant c’est que beaucoup nous recontactent après la fin du stage parfois un an après pour nous demander conseil. Ce qui est surprenant est de voir que ce sont souvent ceux avec qui nous avons eu le plus de mal à entrer en lien au début. »
QUID DE LA PRÉVENTION ?
Malgré ces résultats encourageants, les structures prenant en charge les auteurs de violences restent marginales sur le territoire. A Rennes, NELL n’est subventionnée qu’à hauteur de 8000€ par l’État et 1500€ par la ville de Rennes, impossible donc d’augmenter le nombre de personnes prises en charge. Ailleurs, une même association s’est vu purement et simplement supprimer ses subventions, réorientées pour l’acquisition de caméras de vidéosurveillance malgré là aussi des retours plus que positifs. Idem, à Lyon, à Marseille : arrêtées faute de crédits.
Pourtant, la prison au vu des conditions de détention actuelle et de l’aggravation de la récidive(2) ne peut pas tout régler, bien au contraire comme le remarque le président de la FNACAV (fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales)
Alain Legrand, président de la FNACAV : « La condamnation par les tribunaux ne suffit pas et souvent même conduit au résultat inverse. L’auteur se sent triplement victime : de sa femme qui l’a dénoncé […], de la police qui vient l’arrêter comme un criminel et de la justice qui ne veut pas l’entendre et qui le condamne directement… »
Est-on sûr alors de mettre efficacement tous les moyens pour éradiquer ce fléau devenu grande cause nationale en 2010. Quels sont les dispositifs disponibles actuellement pour prendre en charge les couples en conjugalité violente autre que par la voie judiciaire sachant que seules 16% des victimes vont porter plainte et à peine 10% déposer une main courante(6) ?
Charline Olivier : « Il existe malgré tout des professionnels comme les conseillers conjugaux mais ils sont peu nombreux sur le territoire, peut-être 1 pour 10 communes, et sont peu connus. Pour savoir où ils se trouvent, il faut pousser la porte des services sociaux et ce n’est pas simple. Certains couples viennent nous voir de leur propre initiative en nous trouvant après une recherche internet mais dans ce cas-là, aucune subvention de l’Etat ne leur est accordée et tous les couples n’ont pas les moyens financiers pour se le permettre. »
Même constat pour Hubert Lemonnier, chef de service de l’ASFAD, association rennaise qui gère l’accueil et l’hébergement de femmes violentées.
Hubert Lemonnier : « Jusqu’en 2009, l’ASFAD avait un service destiné aux hommes avec une aide gratuite à la fois sociale et psychologique mais faute de moyens, nous avons été obligés de le fermer et il n’y a pas d’équivalent à Rennes. Un homme aujourd’hui qui prend conscience de sa violence a peu de possibilités d’y remédier sauf s’il a les moyens d’aller consulter un psychologue libéral et encore il n’est pas sûr de trouver un psychologue qui soit au fait de la problématique des violences.(7) Ce qui est dommage aujourd’hui c’est qu’aucune structure n’existe pour l’accompagnement et le soutien des hommes qui en formulent la demande (8)»
Un étude a évalué le coût financier global des violences conjugales à 2,5 milliards d’euros par an et a pu démontrer qu’en « augmentant seulement de un euro le budget des politiques de prévention des violences conjugales, l’État, l’assurance maladie ou encore les collectivités locales pourraient économiser jusqu’à 87 euros de dépenses sociétales, dont 30 euros de dépenses directes ». Pourtant, « tout le monde dit qu’il faut le faire, tout va dans le sens de cette nécessité des politiques de prévention mais cela ne se fait pas. Quand des enfants vivent dans un environnement de violence conjugale, il faut du temps avant que cela arrive aux oreilles de la justice, et forcement, il y a de la casse… » soupire Jean-René Gouriou.
Au courage de ces victimes qui ont décidé de ne pas se taire, il serait dommage de répondre par la lâcheté de notre silence.
****
Contact de l’association : NELL – nellconjugalite[ @ ] gmail.com
Biblio et glanage d’infos (entre autre) :
JUSTICE : LA TROISIÈME VOIE (BREIZH FEMME)
PROTECTION ET ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES (YEGG)
LA PRISE EN CHARGE DES AUTEURS DE VIOLENCES CONJUGALES
(1) : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/action/piece-jointe/2014/11/dp_violences_final.pdf
(2) : http://www.humanite.fr/letat-mis-lamende-pour-ses-prisons + http://rue89.nouvelobs.com/2012/09/12/infographie-ce-quil-faut-savoir-sur-la-recidive-235100
(3) : Les auteurs dont la sanction encourue comporte une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans et ceux qui nient leurs responsabilités sont systématiquement exclus de la composition pénale. L’exécution de celle-ci éteint l’action publique, et rend de ce fait toute poursuite impossible, mais les compositions pénales exécutées restent inscrites au bulletin n°1 du casier judiciaire pendant trois ans. Seules les autorités judiciaires ont accès à cette partie du casier.
(4) : Charline Olivier (Ouest France) « Le bilan est positif. Les auteurs que nous avons reçus n’ont pas fait l’objet de nouvelles plaintes pour des gestes violents sur leur conjoint. Il faut savoir que la moitié des couples se sont séparés après les faits. »
(5) : Il est notamment l’auteur de Amour et violence, le défi de l’intimité .
(6) : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques-79/
(7) : Extrait de l’article de http://www.breizhfemmes.fr/index.php/violences-conjugales
(8) : Extrait de l’interview Yegg Mag de nov 2013 http://issuu.com/yeggmag/docs/yegg_novembre_2013/16
(9) : Extrait de l’interview Ouest France