L’une des plus belles soirées du festival Mythos sera pour nous celle proposée par l’Antipode ce jeudi 14 avril. Ce sont en effet les Rennais de Del Cielo et le collectif Zone Libre vs Casey & B. James qui se partageront la scène. L’un comme l’autre, du côté des mots, de l’encre qui tâche les âmes, qui frotte, grince et lacère. Des textes qui brûlent, abrasent. L’un peut être du côté pop, mais de la pop inflammable, entre guitares post-rock déchiquetées et nappes de brouillard électroniques : Del Cielo. L’autre au carrefour entre le hip hop qui décoche et le rock qui grince et cogne : Zone Libre Versus Casey & B.James.
Del Cielo est un duo qui parvient, souvent, à arrêter le temps, en nous donnant, le temps d’une prestation, une heure en plus dans nos vies. Del Cielo, c’est un duo qui existe déjà depuis 2006. Au départ, le projet naît d’une collaboration inattendue pour le label Range ta chambre (pour la compilation « Fais chanter tes copines » ) entre Cécile Bellat aka Liz Bastard et Gaël Desbois, célèbre par ici pour Mobiil, son travail avec Lætitia Sheriff, ainsi que pour ses collaborations ponctuelles ou au long cours avec Psykick Lyrikah, Miossec, Nestor Is Bianca pour n’en citer que quelques unes. De cette rencontre impromptue nait alors un premier Ep, sorti en 2007 qui donnera à beaucoup l’envie d’en entendre plus.
Pour la compilation de Range ta chambre, le duo avait créé un morceau pop, en anglais. Mais la collision avec le français va amener le projet vers des rivages un peu différents. Comme l’expliquait Liz Bastard dans une interview réalisée par Ced pour les Trans Musicales 2009, ses textes ne s’écrivent pas en accord avec la musique, mais plutôt contre, ou davantage « à côté » . Car les rôles, dans Del Cielo, semblent bien délimités : les textes et la voix sont le fait de Liz Bastard, et « tout le reste ou presque » comme inscrit sur le premier album « Sous les Cendres » est assuré par Gaël Desbois. Le batteur-compositeur est responsable de toutes les musiques ainsi que des arrangements.
Pour la sortie de « Sous les Cendres », le duo expliquait que la musique vient d’abord et que ce n’est qu’ensuite que Liz Bastard crée les textes qui vont venir prendre leur place contre. Contre, à côté, car Liz Bastard choisit une sorte de non-chant, une voix blanche qui rappelle, malgré un timbre féminin plus sensuel, les scansions d’un Diabologum ou d’Experience avec des textes qui incisent « un goût permanent pour les failles et les fissures, et les entailles et les blessures et les entailles et les brûlures » . On n’était donc pas étonné sur l’album de retrouver les pesanteurs graves du timbre d’Arm sur quelques titres. Autre compagnon de label, Robert le Magnifique (retrouvez l’interview d’Idwet ici) viendra poser de temps en temps sa basse et quelques scratches. Pour tout le reste, ou presque c’est l’œuvre de Gaël Desbois donc : production ascétique, climats orageux électriques qui naviguent entre boucles hip hop déviant et guitares post-rock claires et déchiquetées, nappés d’une froide brume électronique.
On se laisse très vite prendre par les ambiances glacées et cet acide susurré… « On ne crie pas tout bas » . Bien sûr. Malgré quelques mélodies un tout petit peu plus sautillantes, l’ensemble reste tendu, plombé par ces pressions d’avant l’orage, et d’une mélancolie à vif. On en redemande. Et ça tombe bien, Del Cielo revient cet avril avec un nouvel album tout aussi réussi, Sur des braises. Un nouvelle fois des détours mélodiques qui vous emportent, d’une vague à l’autre et vous projettent d’un sous bois sombre jusqu’à la « soie délitée du monde » , des « océans asséchés fragiles » jusqu’à des rêves à l’envers. Un fil de groove d’acier, ténu, à suivre d’un titre à l’autre, en funambule et des mots, surtout, pour tenter de saisir à pleines mains l’équilibre, la densité… Il y a bien sûr, aussi, la voix de Dominique A. renversante et feutrée, sur ce titre, Casoretto, addictif en diable. Mais surtout une nouvelle fois, on se heurte à la même question : « Qu’est-ce qui fait que ça vacille autant ? » Alors laissons l’encre défoncer nos silences, car ces « petits pas fragiles vers le néant certain » germeront, il est sûr, dans des oreilles fertiles. Espérons qu’elles seront nombreuses ce jeudi à l’Antipode.
D’autant que la scène de l’Antipode laissera ensuite la place à une autre plante vénéneuse et fragile germée au milieu des cendres et sous les braises, Zone Libre vs Casey et B. James. Zone Libre, c’est la rencontre d’un instant entre le rock qui écorche de Serge Teyssot-Gay (feu Noir Désir), Cyril Bilbeaud (ex Sloy) et Marc Sens et le rap qui lacère de Casey (retrouvez l’interview de Casey ici) et B. James.
Sur le devant de la scène, les deux rappeurs du collectif Anfalsh font montre d’une réflexion politique aiguisée, loin du rap fm : leurs textes tranchent dans le vif, abordent les sujets qui réveillent les consciences. Ils parlent de la vie dans les cités qui laminent, réfléchissent sur les rapports de pouvoir et de domination à travers le prisme du colonialisme ou de l’esclavage : « y a encore peu de temps, des descendants de monarques / En Guadeloupe, Martinique, ont fait lâcher les chiens / Alors oui, je rabâche, la corvée, la cravache / Que les ignorants sachent que c’est loin d’aller mieux / Je revois en flash, ceux qui pensaient que tâche / La couleur de ma peau, voulaient toucher les cheveux (…) Partout où je traîne, j’ai la marque de ma chaîne. »
Leurs trois acolytes derrière eux, assènent, élaguent, à coups de guitares chauffées à blanc. Les brûlots de Rage against the Machine nous reviennent à l’oreille. « Croiser dans le bordel nos deux musiques entre elles, gros bâtards de guitares et de cités dortoirs » . Entre les mots qui écorchent les âmes, des déflagrations de guitares explosent et crachent. Les carnets de voyage de Casey se transforment ici en « carnet de ma cage » . D’escalier, de cité. Qui vacillent de poudre blanche. Les « sucres d’orge filent le teint pâle à des gueules d’anges » . On enrage.
De cette rencontre ont jailli Les Contes du Chaos, second album sombre et abrasif. « Enregistré très vite et dans les conditions du live, l’album reflète l’urgence de témoigner du désastre du monde non pour s’en affliger mais pour s’en relever » explique le communiqué de presse. On peine, pourtant, à s’en relever. Intègre, abrasive, la musique du collectif nous laisse la trace de l’uppercut. Mais, là encore, on en redemande.
Retrouvez tous nos articles sur Mythos ici.
____________________________________
Zone Libre Vs Casey & B. James et Del Cielo seront en concert à l’Antipode, dans le cadre du festival Mythos, jeudi 14 avril à 20h30.
L’Antipode, 2 rue André Trasbot, Rennes. : Membres – 10 euros / Plein Tarif : 14 euros
Myspace de Del Cielo : http://www.myspace.com/opendelcielo
Myspace de Zone Libre vs Casey & B. James : http://www.myspace.com/librezone
Retrouvez également Del Cielo lors de l’enregistrement de l’Echo du Oan’s mercredi 13 avril – Dès 19h30 -entrée libre.
Festival Mythos 2011
Du 12 au 17 avril
infos et programmation complète : www.festival-mythos.com