On entre dans une salle de l’Ubu très clairsemée à quelques minutes du début du concert programmé ce soir-là. Or dès les premières minutes du set, de nombreux spectateurs viennent grossir les rangs du public, et le Badume’s Band joue les premières notes devant un parterre bien garni : le froid n’aura pas refroidi l’envie de (re)découvrir ce projet singulier.
En effet, le Badume’s Band est un groupe breton qui a la particularité de s’être entiché d ‘un genre musical peu commun, l’éthio-jazz. Ce courant a connu son âge d’or dans les années 70, le Badume’s Band jouant d’ailleurs il y a quelques années avec deux des plus grandes stars de l’éthio-jazz, Mahmoud Ahmed et Alémayéhu Eshèté.
Quand Eric Menneteau quitte le groupe, les musiciens qui composent le Badume’s Band vont alors élaborer de nouveaux titres avec l’une des étoiles montantes de la scène éthiopienne, la chanteuse Selamnesh Zéméné. C’est ce nouveau projet que le groupe nous proposait ce jeudi soir à l’Ubu, avec dans leur besace un tout nouvel album, Ale Gena Ethiopia, fruit de cette récente collaboration.
A l’écoute de ce nouvel opus, nous avions été charmé par la voix de Selamnesh et le talent des musiciens, mais le côté répétitif et hypnotique des titres laissait un sentiment mitigé sur la longueur. On imaginait forcément qu’une transposition scénique permettrait de gommer ce sentiment laissé à la première écoute. Pari gagné, et même au-delà : ce groupe est à découvrir sur scène pour prendre la juste mesure du projet, à la fois auditif mais aussi visuel.
La réussite de ce projet, c’est d’abord un backing band de luxe au service des chanteurs éthiopiens. Le Badume’s Band est composé d’un trio guitare-basse-batterie, d’un duo de saxophones, d’un clavier et de percussions. Le combo reste fidèle au son qui a marqué la capitale éthiopienne il y a quelques décennies, avec beaucoup de talent.
C’est un savant mélange de jazz, de soul, de funk et de rythm’n’blues, avec quelques incursions plus surprenantes, comme le twist, qui donne à l’éthio-jazz cette couleur si particulière. La basse est chaude et ronde, les sax jouent la ligne mélodique, la guitare joue des soli, les percussions soulignent la rythmique et les claviers enrobent l’ensemble d’une nappe aux sonorités 70’s. Les deux premiers titres instrumentaux, joués par le combo, fournissent une parfaite introduction à cet univers musical.
Après cette mise en bouche, le saxophoniste nous présente l’autre pièce maitresse du projet, « la nouvelle princesse éthiopienne », la chanteuse Selamnesh Zéméné. Celle-ci entre sur scène dans une magnifique robe et, dès les premières notes, elle nous captive avec sa voix. Et sa présence scénique est impressionnante, quel que soit le registre : sur les titres rythmés et joyeux, elle nous séduit avec sa voix altière, son sourire et ses pas de danse. Et sur les morceaux plus mélancoliques, son grain de voix se fait plus grave et elle nous fait presque oublier le groupe, tant sa présence est éblouissante.
L’une des belles surprises fut la présence de la danseuse et amie de Selamnesh, Zenash Tsegaye. Elle apparaît lors du troisième titre dans une superbe robe traditionnelle et danse avec une énergie redoutable sur le devant de la scène. Elle joue avec sa chevelure, en la faisant tournoyer dans tous les sens, agite les pans de sa ceinture comme autant de rubans, et sans jamais se départir de son joli sourire ! Elle quitte la scène à plusieurs reprises pour revenir avec différentes tenues, très colorées. Ses pas de danse sont parfaitement synchronisés avec la musique, et Selamnesh la rejoint même pour un duo de danse réussi. La performance lumineuse de Zenash apporte un vrai plus à ce set, et donne une autre dimension aux titres entendus sur album.
Mais la plus grande réussite de cette soirée réside dans la composition du set. Près de deux heures, avec une musique basée sur un groove hypnotique, ça peut être un peu long pour des oreilles peu familières de ce type de musique.
Or, le set alterne moments instrumentaux, titres rythmés et titres mélancoliques, avec un souci permanent de l’équilibre. Si vous ajoutez à cela les chorégraphies de Zenash, vous quittez le concert avec la sensation de ne pas avoir assisté à un simple concert. Pendant deux heures, le public s’est retrouvé immergé dans un des clubs d’Addis Abeba au beau milieu des années 70, et à voir les sourires et les pas de danse au premier rang, on espère que le Badume’s Band continuera à faire revivre l’éthio-jazz pendant de nombreuses années encore…
Photos : Yann