[Report dimanche] La Route du Rock 2018 – Ombres et paillettes

Compte rendu écrit à six mains mais les lombaires endoloris par Mr. B, Yann et Isa et photographié par Mr B.

Sur le papier, cette ultime soirée de la 28ème édition de la Route du Rock ne faisait vraiment pas l’unanimité dans notre fine équipe. Heureusement, ce dimanche 19 août 2018 nous aura finalement offert une  belle soirée foutraque et un peu décousue mais au final parfaitement rythmée. Si les têtes d’affiches ne nous ont guère emballés, nous avons hautement apprécié le grand écart entre, d’un côté : la rage orageuse de Protomartyr et l’intimisme un poil trop surgonflé de Charlotte Gainsbourg et de l’autre : la coolitude acidulée de Superorganism, la folie grandiloquente de The Lemon Twigs et le groove atomique et classieux de The Black Madonna. Retour sur des bonheurs contrastés.

King Tuff

En découvrant la grille de programmation, on avoue avoir été surpris de découvrir King Tuff, taulier de la scène garage californienne, en ouverture sur la scène des Remparts lors du dernier jour : du rock garage pour un warm-up devant des festivaliers éreintés en mode diesel, on risquait le claquage auditif. Mais après trois albums fleurant bon le garage psyché californien, et sillonné les routes avec The Muggers, le backing band de Ty Segall, Kyle Thomas nous revient plus apaisé. Son nouvel album, The Other est radicalement différent, le garage rêche faisant place à une pop psyché du plus bel effet. On avait fait le pari qu’une (très) large place serait faite à cet album, et on ne s’était pas trompé : Kyle Yhomas à la guitare, entouré d’une bassiste, d’une guitariste, d’une claviériste et d’un batteur, attaque le concert avec son tube, Raindrop Blue (on vous conseille d’aller jeter un oeil sur le clip bien barré).
Costume zébré et casquette intégralement customisée, Kyle occupe pleinement la scène dès son entrée, l’enveloppant de son timbre de voix légèrement nasillard. Il passe allègrement de l’hyper-psyché Neverending Sunshine et ses claviers west-coast au discoïde Psycho Star et sa basse groovy, en passant par le lent Thru The Cracks et le bluesy Ultraviolet, pour livrer au final un set assez punchy, calibré pour le festival. Le tout est saupoudré de pincées (ou de poignées) psychés, qui font qu’on frise parfois l’excès, mais l’ensemble reste plutôt agréable et permet de nous offrir un apéritif musical plutôt digeste. Mais après le Black Moon Spell (2014) en toute fin de set, on se dit qu’une petite gorgée de garage supplémentaire ne nous aurait finalement pas déplu.

Protomartyr

Au même endroit en 2014, le quatuor de Detroit  Protomartyr nous avait fait une brillante démonstration de rock rageur et mélancolique. Nous avons depuis suivi de près la discographie de la bande. Après l’inaugural No Passion, All Technique en 2012,  il y avait eu Under Color of Official Right en 2014, The Agent Intellect en 2015, et enfin l’excellent Relatives In Descent en 2017 chez Domino Records. La qualité de leur album ayant été constante (et même croissante), nous avions beaucoup misé sur leur retour au Fort.

Il n’a beau être que 19h15, nous frétillons donc d’impatience quand Joe Casey (chant), Greg Ahee (guitare), Scott Davidson (basse) et Alex Leonard (batterie) s’installent sur la grande scène. On va immédiatement retrouver tout ce qu’on aime chez eux : basse en avant, guitares tranchantes, voix caverneuse et rythmiques plombées. Leur musique tout en tension, noirceur et mélancolie ne va, comme la fois précédente, absolument pas pâtir du soleil voilé de cette fin d’après-midi. Le set laisse d’abord couver l’orage en commençant par des titres plutôt calmes (tout est relatif) essentiellement extraits de leur dernier album. On reconnait et apprécie d’ailleurs des versions remarquablement puissantes du ténébreux My Children et de son riff de guitare hanté ou de la déchirante fuite en avant The Chuckler. Protomartyr à l’art de la mèche lente et ménage ses effets pour progressivement faire monter l’orage. Les deux notes de basse implacables de What The Wall Said annoncent la charge. On hurle à pleins poumons le déchirant Ha Ha Ha Ha du refrain avec l’impérial Joe Casey, qui campé derrière ses lunettes de soleil, prouve qu’on peut avoir la classe avec une Corona dans la poche de la veste. Le milieu du concert nous offre un retour sur des morceaux plus anciens. On se laisse emporter par l’implacable The Devil In His Youth puis on tangue langoureusement  sur le contradictoire Violent avant de décoller avec une monstrueuse version de leur imparable Jumbo’s. A partir de là, nous n’avons déjà plus le pieds qui touchent le sol, d’autant plus que nous reconnaissons le roulement de batterie rageur du splendide et retors A Private Understanding qui ouvre avec grande classe  leur dernier disque. On a a peine le temps d’onduler sous les coups de boutoirs de la basse ronde et vicelarde d’Here is The Thing qu’il est déjà temps d’attaquer les trois dernier morceaux. Après l’impeccable duo Cowards Starve / Why Does It Shake ? issu de leur avant dernier disque The Agent Intellect, ils concluent fort logiquement le concert en apothéose avec l’imposant Half Sister sur lequel on braille avec un plaisir cathartique le déchirant final She’s trying to reach You

Face à une aussi généreuse démonstration de post punk écorché et hyper mélodique, on reste un peu songeur sur ce que cela pourrait donner à un horaire plus tardif et dans un espace plus intime. Quoi qu’il en soit nous ressortons totalement ravis que le quatuor ait de façon aussi éclatante explosé toutes nos attentes sur leur retour à la Route du Rock.
On remercie bien bas le jeune fan ayant réussi à chopper la setlist du groupe et qui nous a donc bien aidé pour la rédaction de ce paragraphe.

Charlotte Gainsbourg

(Les photos officielles du concert par la Route du Rock, les seules  acceptées et autorisées, n’étant pas mises en ligne à l’heure où nous publions ces lignes, nous n’avons pas d’images à vous montrer)

C’est avec des frissons d’excitation et de crainte qu’on attend Charlotte Gainsbourg tant on s’est trouvé touchés par son dernier album, Rest aux textes qui poignardent doucement (j’entends toujours battre les clous) autour des deuils, du temps qui passe, de la peur que la vie abîme ses enfants (et ce malgré, on le concède, quelques ratages, qui n’entament en rien l’intérêt qu’on lui porte). Comment adapter au live un disque si personnel ? Un album de la perte, des souvenirs, du deuil et du manque, de ce que l’artiste avait à se dire à elle-même d’abord. En espérant qu’il touche, peut-être ailleurs. Et parce que Charlotte Gainsbourg, à son corps défendant, a quasi un statut de monument national, on aurait presque oublié que la perte d’un être cher, tout célèbre et adulé qu’il soit, reste d’abord une déchirure intime. Que la mort d’une sœur c’est d’abord vivre avec ce manque intolérable. Et que toute fille de qu’on soit, perdre un père fait surtout de vous une orpheline (on se souvient d’ailleurs que Sylvia Plath, ici convoquée, cherchait-elle aussi partout ce père trop tôt disparu). Bref, on n’en mène pas vraiment large quand Charlotte Gainsbourg entre sur scène, et que sa silhouette fragile, toute de jean vêtue, se glisse derrière les claviers sur la boucle hypnotique d’intro de Lying with you, morceau bouleversant s’il en est.

Mais parce que sur cet album courageux, la timide Charlotte est à nu, elle s’est entourée sur scène d’une tripotée de musiciens, et des costauds s’il vous plaît, affûtés comme des couteaux (peut-être d’ailleurs un poil trop à notre goût). Tous cadrent, bornent et déroulent avec une immense maîtrise, insistant davantage sur le groove que la fragilité. On retiendra pour notre part le choriste qui apporte une vraie émotion, notamment sur le final de Ring a Ring o Roses qui suit et que Charlotte achève en se tournant vers le Fort en disant son bonheur d’être là (tout en s’inquiétant du léger crachin qui tombe sur nos têtes). Le Beckien Heaven Can Wait et son refrain so sixties, ainsi que le très groovy Sylvia Says toute basse en avant rythment alors le propos pour le grand plaisir du Fort. Charlotte Gainsbourg quitte ensuite son piano et s’avance vers la foule, déclenchant immédiatement les cris jusqu’au très chouette final à deux voix sur une nappe tournoyante. Visuellement, la scénographie est particulièrement réussie, avec de grands cadres en néons blancs et des miroirs lumineux qui descendent des cintres. On en imagine d’ailleurs l’impact percutant sur une scène plongée dans le noir. Mais il est ce soir trop tôt pour jouer avec la nuit. Tant pis, c ‘est beau quand même.

The Song that we sing plus loin est également particulièrement enjoué et après s’être accroupie en front de scène devant une foule enthousiaste, Charlotte Gainsbourg enchaîne sur un Paradisco funky en diable. Ça y va à pleine louchées sur la basse (avec de sérieuses rasades de slaps), mais c’est furieusement efficace et le final à deux voix est superbe. Charlotte retourne se protéger derrière son clavier pour un Crocodile qui mélange grésillements, martèlements et pop. On regrette juste un peu le mixage des voix qui empêche de bien entendre les textes (ainsi que la bouillie de basses qui commence à être  un poil trop récurrente sur la scène du Fort). Les morceaux de Charlotte y perdent de fait une partie de leur fragilité qui nous avait émus.

L’artiste tombe alors la veste pour enchaîner sur un Deadly Valentine taillé pour emporter la foule. Le batteur, debout, fume sa clope tout en martelant sa cymbale. Charlotte accroche sa main à l’un des néons devant la scène et ce disco sombre, comme une vague emportant tout sur son passage, finit de séduire le Fort sur un beau ballet vocal des choristes et une sirène qui joue les fausses fins.

Les lumières s’éteignent alors, hormis un cadre de néon qui enlace Charlotte de sa lumière blanche pour une intro suspendue du poignant Kate. Mais la timide Charlotte n’ose pas jusqu’au bout et un pied de grosse caisse vient habiller pudiquement le texte qui, on le devine, lui est particulièrement cher. Malgré cela, le moment est émouvant et le Charlotte Forever (superbes arrangements sur le Rhodes), sur lequel Charlotte Gainsbourg chante à la fois sa voix et celle de son père, ce qui n’est pas sans nous serrer la gorge, est un moment suspendu. La musicienne explique qu’en répétition, les deux morceaux se sont trouvés accolés à son grand plaisir et qu’elle souhaite dédier ce concert à sa sœur. Ce que le Fort lui accorde bien sûr avec émotion.

Remarkable Day, puis surtout Les Oxalis renouent ensuite avec le groove chaloupé (Melody et son ombre tutélaire ne sont pas loin, mais qu’étrangeté serait de contester à Charlotte cet héritage). Bassiste et choriste s’amusent d’allers retours en fond de scène, batteur et choriste de papouilles. Avant que le final Lemon Incest pour lequel Charlotte Gainsbourg assure une nouvelle fois sa voix et celle de son père n’achève un set efficace, touchant même par moments. Au final, on apprécie sans être totalement emporté. Charlotte Gainsbourg doit sûrement encore apprendre à se faire davantage confiance. On ne lui en tiendra aucune rigueur, tant on comprend également que lorsqu’à son corps défendant, on appartient à tout le monde, il est impossible de se mettre davantage à nu sur scène et qu’il reste particulièrement ardu de louvoyer entre les écueils de l’intime, du trop lisse à l’embarrassant. Un bon moment, donc, mais auquel il manquera pour nous une étincelle pour s’embraser complètement.

Superorganism

On avait quelques doutes sur la capacité du collectif Superorganism à se faire une place entre les deux têtes d’affiche de la soirée. A l’origine de cette formation, les musiciens néo-zélandais de The Eversons contactent, via internet, la jeune Orono rencontrée lors d’un concert au Japon, afin qu’elle pose sa voix et son texte sur une mélodie (Something For Your M.I.N.D.). Rejoints par d’autres musiciens, toute cette joyeuse bande vit depuis dans une grande maison de l’est londonien, et vient de sortir un premier album éponyme sur Domino Records, dans une démarche totalement Do It Yourself. Mais sur scène ? Dès le premier titre, It’s All Good, on retrouve l’esprit de l’album et des clips : un kaléidoscope musical coloré, à l’image du visuel projeté en arrière-plan, avec pour seul maitre mot la recherche du fun. Étrangement, le set plonge en intensité avec le triptyque qui suit (Nobody Cares / Night Time / Reflections On The Screen) : le concert devient mou, et les 6 musiciens entourant la chanteuse Orono ont beau s’escrimer avec un jeu de scène énergique (à l’image du trio de choristes), on s’ennuie un peu.
Fort heureusement, le set redécolle avec The Prawn Song et on retrouve ce qui nous avait charmés sur album : des mélodies, sucrées à l’envi, mariant synthés et guitare, boite à rythmes et batterie, chœurs glucidiques et voix nonchalante d’Orono, avec un fourmillement d’évènements sonores réjouissants. Au cas où on ne l’aurait pas compris, le combo martèle son nom dans l’hymne psyché SPRORGNSM, nous embarque dans une balade étrange (Nai’s March), avant de balancer sa pop joyeusement débridée (Everybody Wants To Be Famous). La voix nonchalante d’Orono est complètement raccord avec le tempo relativement lent des compos, et sa présence scénique est pour beaucoup dans la réussite du concert. Derrière sa fine silhouette et son jeune âge se cache une véritable meneuse de bande, interrogeant les musiciens sur leurs souvenirs de tournée, s’adressant directement à un spectateur avant de lui dédicacer un morceau… Elle rigole (beaucoup), même pendant les morceaux, et fait preuve d’une aisance scénique qu’on ne soupçonnait pas en la voyant débarquer sur sa petite plateforme en devant de scène. Le concert s’achève avec Something For Your M.I.N.D., repris en chœur par des festivaliers visiblement ravis. A défaut de nous laisser un souvenir impérissable, les Superorganism nous auront offert un moment joyeux, coloré et plein de fraicheur.

Phoenix

C’est l’intro sonore de Ti Amo Speciale, in italiano per favore, qui accompagne l’arrivée sur scène des quatre Phoenix et de leur backing band dans les cris déjà enamourés du Fort. Des retrouvailles, puisque on se souvient les avoir vus au même endroit il y a quatorze ans (ouch !). Et eux aussi s’en souviennent, avec émotion même, comme ils le détaillent à un Fort encore plus ravi. Batteur à la grosse caisse ornée d’un cœur lumineux et claviériste dans les airs, perchés sur une estrade, surplombent les quatre drilles, Thomas Mars (chant), Deck d’Arcy (basse, clavier), Christian Mazzalai (guitare) et Laurent Brancowitz (guitare) sur l’avant de la scène et tous semblent avoir la même envie de faire la fête avec une foule qui leur est d’ores et déjà acquise.

Le doucement chaloupé J Boy avec ses cot-cot à la guitare et son synthé scintillant ouvrent le bal avant qu’un Lasso, particulièrement emballé par un batteur aux roulements massifs qui cavalcade autant qu’il martèle, ne finisse de lancer le Fort en orbite. La scène du Fort souffre malheureusement encore de son trop fréquent mixage « des basses, des basses, des basses » et la grosse caisse nous empêche de vraiment entendre les guitares, ce qui est tout de même dommage. On en vient même à souhaiter que le batteur arrête de frapper sa grosse caisse comme sur les parties plus aériennes d’Entertainment. Ça nous gâche sûrement un peu le truc. Mais le Fort réagit comme un seul homme, saute, chante, crie. Le très bon Lisztomania qui suit, chanté à tue-tête par la foule est d’ailleurs un moment de plaisir partagé avec une belle intensité et son final tout en lumière tournoyantes, stroboscopiques et fumées mettent un joyeux bordel devant la scène.

Le Fort se régale et c’est tant mieux. Nous, moins. Si l’on reconnaît sans peine que les garçons ont du talent pour combler les foules, qu’ils savent trousser des tubes (les tout autant plébiscités Too Young, Ti amo, 1901, Bankrupt ! ou autre If i ever feel better qui nous vaudra une douche à la bière d’un fan monté sur ressort), que le show visuel avec toutes ces couleurs et ses lumières est très réussi et concourt pleinement à faire du concert une fête colorée et bigarrée qui emporte la foule, que la fine équipe fait preuve d’une générosité sans borne et même qu’on a toujours un vrai faible pour le timbre vocal de Thomas Mars, cette pop ligne claire sautillante aux guitares un tantinet funky et aux textures synthétiques nous laisse en dehors et on ne l’écoute que d’une oreille distante. Mais Phoenix fait le boulot, assure, faisant preuve d’un talent certain pour porter le Fort à ébullition notamment sur un Ti amo de più final qui voit Thomas Mars fendre la foule tel Moïse au milieu du Fort, et s’élever au-dessus des mains des festivaliers dans un halo de lumière. Public et groupe comblés : sûrement le concert de la soirée pour l’immense majorité du Fort. Et c’est tant mieux. Nous, on passe poliment notre tour.

The Lemon Twigs

Au troisième jour d’un festival au rythme délicieusement infernal, chaque occasion de pauser un moment nos fesses est précieuse. On remercie donc bien les Phoenix de nous avoir permis d’arriver requinqués pour le set de The Lemon Twigs. Malgré (et sûrement aussi un peu à cause de) la hype, nous étions totalement passé au travers de Do Hollywood, l’étonnant premier album de la bande menée par Brian et Michael D’Addario sorti en 2016. Les deux frangins new-yorkais et leurs acolytes vont vite nous remettre les pendules à l’heure. Somptueusement accompagné de Daryl Johns (basse et chant), de Tommaso Taddonio (le clavier bien frenchy malgré son patronyme) et d’Andres Valbuena (batterie), le duo va vite nous faire la démonstration d’un talent hors norme.

Dès le premier morceaux, nous tombons instantanément sous le charme de l’implication totale et de l’énergie volcanique des deux zigues. Le quintet joue avec une fougue hautement réjouissante leur épatante revisite de rien de moins que trois décennies de pop-rock. Armés d’un jeu de guitare flamboyant et de voix sidérantes de facilité dans tous les registres (y compris pour le bassiste !), ils nous offrent une prestation brillante qui nous fait rapidement oublier la fatigue accumulée jusque là. Impossible en effet pour nous de résister à une démonstration aussi éclatante de talents. D’autant plus que cette effervescence est au service de compositions de haute volée. Nos quelques doutes sur leur capacité à retranscrire sur scène la minutie et l’éclectisme foutraque de leurs compositions sur scène vont vite voler en éclat. Ces garçons savent tout faire et brillamment. Vous voulez du glam Rock débridé ? De la pop baroque, échevelée ou psychédélique ? Des arrangements vocaux somptueux ? Du rock bluesy et hargneux ? Ils ont tout ça en stock avec, de plus,  un sens mélodique remarquable. Cerise sur le gâteau avec paillettes et bougies feu d’artifice, ils l’interprètent en live de façon époustouflante et avec une facilité désarmante.

A la fin d’un set ébouriffant de bout en bout, on se rappelle en se pinçant pour le croire qu’ils ont tous les deux à peine vingt ans. Autant vous dire que nous allons désormais suivre leur actualité (à commencer par leur second album GoTo School qui sort à la fin du mois) avec une attention désormais toute particulière.

Jungle

Lors de leur précédent passage il y a trois ans, on reconnaissait au duo de producteurs londoniens Jungle (transformé en collectif de 7 membres pour les prestations live) une certaine efficacité : un mélange de funk, soul et électronique, pour des compos qui manquaient tout de même de mordant et tournaient un peu à vide un fois les tubes passés. Il faut dire qu’ils passaient après le naufrage The Juan MacLean, et ils avaient réussi à nous faire tenir jusqu’à la moitié de leur set.

On les attendait donc de pied ferme, mais on a rapidement compris qu’on ne tiendrait pas aussi longtemps qu’il y a 3 ans. Toujours pas de sueur au programme, une soul sans âme, une rythmique funky qui ne réussira pas à faire frémir le moindre de nos orteils, et un quatuor de voix d’une platitude désarmante. Alors certes, après la fessée que nous a collé The Lemon Twigs avec leurs harmonies vocales (et tout le reste), on s’attendait à une douche glaciale. Mais les nouvelles compos de For Ever, leur nouvel album à paraître le mois prochain, ne nous feront malheureusement pas changer d’avis. Sachant que le groove, le vrai, est à venir, on joue rapidement notre joker pour reprendre des forces, avant de se prendre une suée que l’on espère mémorable.

The Black Madonna

Une fois l’immense chenille du Fort achevée, on a en effet rendez-vous avec The Black Madonna. Dire qu’on a un très gros faible pour la musicienne du Kentucky est un euphémisme. Imaginez que Marea Stamper a quitté le lycée à 15 ans poussée par son amour de la musique, qui l’obsédait quasi depuis toujours et est partie clubber. Et qu’elle ne s’est pas arrêtée depuis. Aussi féministe que tatouée, aussi politiquement engagée qu’exceptionnelle derrière les platines, The Black Madonna a été la toute première femme Dj résidente et directrice artistique du Smart Bar à Chicago, résidente au côté de Derrick May (oui, vous pouvez pleurer), mais tout aussi fan d’ESG, d’Optimo, Derrick Carter ou Mark Enestus, comme le prouvent ses invitations lors de sa carte blanche aux Nuits Sonores en 2017.

Particulièrement charismatique derrière les platines, cette riot girrrl de l’électro se battant contre les formes de discrimination et de violence contre les minorités (racisme, LGBTQI…) qui subsistent malgré leur apport historique dans la culture club (et pas que), désormais installée à Londres, parcourt désormais la planète club en tous sens pour distiller la bonne parole et arrive donc derrière les platines de la Route du Rock avec un enthousiasme aussi inextinguible qu’immensément communicatif.

Autant tuer le suspense. C’est plus qu’une suée mémorable qui nous attend. C’est un déchaînement incontrôlé des corps, un raz-de-marée qui nous saisit, un déferlement incoercible. Le prêche de The Black Madonna nous a fait voir la lumière, alléluia. Car si quelqu’un a le groove, le mojo, c’est bien l’Américaine. Derrière ses platines, The Black Madonna danse, chante, connaît ses disques par cœur, les breake, les coupe, les magnifie. Joue des potards, s’amuse avec la foule. C’est comme s’il n’y avait plus de barrière entre le dancefloor et elle, tant elle est constamment tournée vers l’autre, tant elle écoute la foule. La musique, pour Marea Stamper, est d’abord un partage. Quelque chose qu’on vit ensemble. Et elle s’offre à en montrer le chemin.

Ça commence par du disco chaloupé, aux basses ondulantes totalement irrésistibles, qui plonge immédiatement le Fort dans des déhanchés endiablés. On ferme les yeux. On est au Paradise Garage. Avant de retrouver Frankie Knuckles à Chicago pour une house des plus chaleureuses, et progressivement, The Black Madonna nous emmène où elle veut, mêlant house dantesque à forte teneur chicagoane, aciiid à vous vriller la tête et les jambes, percussions afro qui affolent le palpitant, disco à pleurer, riffs funky et basses hypnotiques, sans oublier un détour techno qui nous concasse les lombaires à 140bpm avec un bonheur ineffable et libérateur. Car The Black Madonna aime à briser les limites, à naviguer de frontières en frontières, questionnant par là-même leur existence. On plonge à corps perdus dans cette brillante histoire musicale, exaltés par un Here comes that sound again (Love De Luxe) d’anthologie, encore sublimé à coups de potards et de crossfaders subtils et astucieux, on se gondole sur la version de Do you what you wanna do de The Cage, on regarde les étoiles en entendant la voix de Beth Gibbons et on lève les mains en l’air.

Car cette vétérante des raves le sait mieux que quiconque : les musiques électroniques « combinent (…) la ferveur spirituelle du gospel et l’efficacité des machines. » (Le Monde, 19 mai 2017). Alors quand elle achève son set sur un Don’t Leave Me this way (la version originale d’Harold Melvins and the Blue Notes s’il vous plaît) qui pourrait s’étirer jusqu’au matin, c’est l’explosion dans le Fort. La foule bouillonnante, bondit les bras en l’air prise d’un bonheur sauvage. Dix (quinze ?) minutes d’une euphorie complète, irréfrénable, secouent le Fort qui devient soudain une masse sens dessous de bras et de jambes, de cris et d’extase. The Black Madonna parvenant de nouveau à cette communion qui rassemble les êtres pendant quelques heures gagnées sur l’ombre. Pouvait-on en attendre moins d’une vierge noire ? Essentielle.

Il est presque 4h du matin. La 28ème édition de la Route du Rock est terminée. Nous rentrons, certes légèrement engourdis, mais un sourire radieux aux lèvres.

Route du Rock 2018 : Dimanche 19 août


La Route du Rock avait lieu du 16 au 19 août 2018.

Plus d’1fos.


1 commentaire sur “[Report dimanche] La Route du Rock 2018 – Ombres et paillettes

  1. djeepthejedi

    Just for your information, en fait la bassiste de King Tuff comme vous dites bah c’est un mec! Si si ! 😉

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