Dans le cadre de « Rennes Fête l’Europe », nous avons assisté à la projection du documentaire « Mémoires Tsiganes, l’autre génocide » à la Maison Internationale de Rennes. Ce film, réalisé par Idit Bloch et Juliette Jourdan, retrace l’histoire de la persécution des Tsiganes par les nazis et leurs alliés, d’un bout à l’autre de l’Europe, à travers des témoignages poignants et des archives pour la plupart inédites (à l’époque de sa sortie en 2011, NDLR). La projection a été suivie d’un échange (trop court à notre gout, NDLR) avec la co-réalisatrice et Henriette Asséo, historienne spécialiste des Tsiganes, pour approfondir les enjeux de cette mémoire longtemps occultée.
L’un des choix majeurs du film repose sur la manière dont les protagonistes s’expriment. Idit Bloch et son équipe ont opté pour un sous-titrage plutôt qu’un doublage, afin de préserver la richesse linguistique des personnes filmées. « Ils parlent tous roumain, mais aussi la langue du pays où ils vivent et dont ils sont originaires », explique la réalisatrice. Cette dernière souligne également la spontanéité des échanges, rendue possible parce que l’équipe connaissait bien ces communautés. « Ce sont des gens qui savent orienter les questions, qui parlent leur langue, ce qui contribue à cette parole très libre et intime », précise-t-elle. Ce souci du respect des témoignages donne au film une authenticité rare, qui se ressent tout au long du récit. Certains d’entre eux, empreints d’une force et d’une résilience bouleversantes, ont illuminé la salle, arrachant quelques rares sourires aux visages attentifs présents ce soir-là malgré les histoires tragiques racontées dans le film.
En effet, le documentaire (re)met en lumière une réalité peu connue : avant la guerre, les Tsiganes faisaient partie intégrante de la société européenne. Les archives montrent des scènes de vie où ces communautés étaient pleinement enracinées. Pourtant, dès 1895, l’état français met en place une surveillance administrative stricte. En 1912, une loi instaure le carnet anthropométrique, obligeant les personnes dîtes nomades de plus de 13 ans à présenter ce document contenant photos et empreintes digitales dans chaque commune où iels souhaitaient stationner. Puis, avec le régime de Vichy, la répression s’intensifie : en 1940, un décret interdit leur circulation, les assignant à résidence. Peu après, leur internement dans des camps français est mis en place à Montreuil-Bellay, Poitiers, Saliers, Linas-Montlhéry et Rivesaltes, mais aussi ici, à Rennes. Souvent sous surveillance policière française. Radio France a récemment publié une série de podcasts sur le sujet en indiquant qu’environ 7 000 personnes ont été enfermées dans des camps d’internement, et qu’au moins 500 ont été déportées vers des camps d’extermination.
De l’autre côté du Rhin, bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, les populations tsiganes faisaient déjà l’objet d’une surveillance étroite. L’idéologie nazie n’a fait qu’intensifier cette politique de contrôle, inscrivant les Tsiganes parmi les « indésirables » à éliminer. En 1936, ces dernier·es sont alors soumis·es aux lois raciales du régime, contraints au travail forcé, et victimes de stérilisations massives. À la veille des Jeux olympiques de Berlin, 600 d’entre elles/eux sont arrêté·es et transféré·es dans un camp insalubre à Marzahn, en périphérie de la capitale, prélude glaçant à leur destin sous le IIIe Reich.
Dans la nuit du 2 au 3 août 1944, 4 300 Tsiganes furent exterminé·es à Auschwitz-Birkenau lors de la liquidation du Zigeunerlager, le camp des familles tsigane. Au total, selon les estimations historiques, entre 400 000 et 550 000 Roms, Sinti, Gitan·es, Manouches, Yéniches et voyageur·ses ont été tué·es durant la Shoah, victimes d’exécutions de masse, de déportations vers les camps de la mort et de conditions de détention effroyables. Cette extermination, aujourd’hui désignée sous le nom de Samudaripen, ne fut pourtant jamais mentionné lors du procès de Nuremberg. Aucun·e survivant·e tzigane ne fut invité·e à témoigner. Si l’Allemagne et plusieurs pays européens commémorent la Journée européenne de commémoration du génocide des Roms le 2 août, la France tarde à la reconnaître pleinement. En 2016, la France admet sa responsabilité dans l’internement de Tsiganes de 1940 à 1946 à travers la voix de François Hollande. « Le jour est venu et il fallait que cette vérité soit dite », mais aucune commémoration officielle n’a encore été instaurée. Une proposition de résolution n° 923, déposée en février 2025, appelle à inscrire ce jour-là comme journée nationale de mémoire en France. Aussi, le film nous rappelle certaines vérités historiques essentielles comme par exemple, le rôle actif joué par les Tsiganes dans la Résistance. Il rappelle par exemple, que le 16 mai 1944, des familles tsiganes se sont soulevées, armées de bêches, haches, pieds de biche et montants de lits contre les Nazis au camp d’Auschwitz-Birkenau.
Enfin, au-delà du récit historique, le film interroge les mécanismes du totalitarisme et la manière dont les sociétés ont consenti, activement ou passivement, à l’exclusion et à l’extermination. En explorant les points de vue des bourreaux et des victimes, Mémoires Tsiganes, l’autre génocide cherche à comprendre les ressorts idéologiques du nazisme, notamment sa politique raciale, qui ne se limitait pas à l’exclusion des Juifs mais englobait une volonté de domination européenne fondée sur la hiérarchisation des populations. Malgré la noirceur du sujet, une lumière subsiste malgré tout : celle de la résilience, de la vitalité, et de la force des survivant·es.