[report] l’Embellie de Patchrock @ salle de la Cité : Des lumières dans la nuit

Vendredi 25 avril 2025, toute la bande gravitant autour de l’association Patchrock organisait dans la salle de la Cité, une soirée qui n’a ressemblé à aucune autre. Frappée en plein cœur par le décès brutal d’un des piliers de l’association Stéphanie Cadeau l’an dernier, elle n’organisait pas d’édition du festival Les Embellies cette année, mais un unique événement rassemblant huit groupes liés de très près au festival et pas moins de quatre collectifs pour embellir les scènes et le lieu. Retour encore toutes et tous ému.e.s d’un moment bouleversant et lumineux dont on se souviendra longtemps. 

Au printemps 2024, un accident brutalement absurde privait le monde de la présence de Stéphanie Cadeau. Productrice, organisatrice et programmatrice du festival Les Embellies, elle était le véritable cœur de l’événement en plus d’être une des plus belles personnes qu’on ait pu croiser sur les scènes rennaises au fil de nos aventures altérophiles. L’association Patchrock dont elle avait participé à la création en 1996, a longtemps réfléchi comment célébrer et prolonger l’esprit de cette grande dame et a finalement trouvé une idée lumineuse : se rassembler, pour bâtir collectivement une soirée célébrant avec générosité sa conception ouverte, exigeante, indépendante et joyeuse de la musique. Pour y parvenir, il fallait bien huit groupes, quatre structures, un DJ et des techniciens experts. Plus qu’une simple succession de concerts, la soirée a été conçue comme un seul grand mouvement collectif reflétant les multiples facettes des coups de cœur et de l’audace qui plaisait tant à Stéphanie.

C’est donc avec déjà une certaine émotion qu’on entre dans une salle de la Cité parée des projections de Vitrine en Cours. C’est la musique délicate et sensorielle de Suuij qui a le redoutable honneur d’ouvrir le bal. Seule avec son violoncelle sur scène, Juliette Divry va d’emblée placer la barre très haut. Vous avez peut-être déjà eu la chance d’entendre les cordes sensibles de cette violoncelliste au sein de Mermonte ou The Last Morning Soundtrack. Parallèlement, la Rennaise creusait son sillon en solo sous le pseudonyme Suuij. Ce projet a fini par s’incarner dans Souffle Nu, un premier album à fleur de peau sorti en avril 2023 sur l’impeccable label Les Disques Normal. Sa prestation aux Embellies 2023 nous avait offert une singulière et sensible aventure musicale pleine d’émotions et de frissons. Ça va de nouveau être le cas avec une prestation d’une sensibilité communicative et sublimée par les jeux de lumières et les projections qui entourent l’artiste. L’ampleur avec laquelle la voix et les cordes de la dame emplissent l’espace nous laisse pantois. Entame de soirée parfaite donc et ce n’est pourtant que le début.

C’est ensuite à Sylvain Texier de prendre le relais, confiné avec son piano dans une étrange structure métallique cubique. Il vient interpréter la musique d’Ô Lake, son projet néo-classique aux influences pop et cinématographique. Ce projet nous avait littéralement enchantés lors des Embellies de 2018 et 2022. Il va, encore une fois, nous mettre le cœur à vif. Les compositions délicates du monsieur vont de plus être parées d’un nouveau tour de force poétique des artisans rêveurs de Grand Géant. Au fil du set, le duo vêtu de seyantes salopettes blanches va délicatement emballer le musicien à l’aide d’un ruban adhésif blanc. Dans une gracieuse chorégraphie enrubannée, Sylvain Texier va disparaitre de notre vue pour laisser la place aux projections lumineuses que vont dévoiler ce délicat imbroglio se métamorphosant petit à petit en un écran kaléidoscopique. On gardera longtemps en mémoire ce moment de poésie pure, si singulier et beau qu’on se demande encore si on ne l’a pas rêvé ?

Pas facile après ça, d’enchainer pour les Flying Bones. Création de l’édition 2024 des Embellies, ce duo rock/garage aux influences éclectiques navigue en effet entre rock psychédélique fuzz, math rock et même zouk/rock. Sur la grande scène, là encore somptueusement parée de jeux de lumière, les deux lascars vont jouer le contraste sans forcer le trait avec deux longs morceaux dont un spécialement écrit pour l’occasion. Ce ne fut clairement pas le set le plus carré de la soirée mais la sincérité et l’émotion palpable des deux compères. nous ont aussi touché en plein cœur.

À peine le temps de reprendre son souffle et il est temps de retrouver la pop folk sensible de Kat White. Cette Rennaise ayant quitté l’Angleterre à ses 15 ans est une voyageuse qui ne souhaite pas visiter, mais chanter les lieux. Des lieux perdus, retrouvés. Lieux souffrants et soignés. Puisant dans ses expériences jazz, hip-hop, RnB ou brit-rock, au sein de Namas, The Erikson Project, Go Slowly, The Diggers ou Sarah Kay Trio, Kat White crée une poésie unique, emplie de sensibilité et d’émerveillement. Elle avait enchanté l’édition 2024 des Embellies en duo avec son guitariste. Elle revient avec un batteur et un bassiste en plus. On retrouve avec plaisir son univers à fleur de peau et sa verve malicieuse. Même si ses compos sont un peu trop lisses à notre goût, on ne résiste pas longtemps à l’énergie et la lumière qu’elle dégage sur scène. Merci à elle et à ses acolytes pour la chaleureuse joie qu’ils ont dégagé sur scène.


On va ensuite être un peu pris par surprise par le set de Bumpkin Island joué au cœur du public et presque sans amplification. Les six complices viennent au contact pour nous toucher au plus près et c’est une parfaite réussite. La bande a joué aux Embellies en 2013, 2014, avec une chorale pop de mômes en 2017, bâti un récit-concert sur Le Festin de Babette en 2021… il était donc fort logique qu’elle fasse aussi partie des présents. Ce soir-là, leur musique mêlant pop orchestrale, post rock, electronica, dans un univers musical vaste et élégant, est donc dépouillée à l’os, mise à nu, pour laisser la part belle aux voix. Ce choix audacieux va rapidement se révéler gagnant et la connexion entre le sextet et le public qui l’entoure atteint des sommets d’émotions comme rarement on en a vécu. Le final du set s’envole vers les nuages dans un tourbillon qui nous laisse des frissons dans le dos et des larmes de joie au coin des yeux.


On a donc encore la tête dans les nuages quand les très attendus Montgomery retrouvent enfin la scène. Treize années qu’on ne les avait plus vus en live. C’est peu dire qu’ils nous ont manqué tant leurs deux albums : le sans titre (2007) et Stromboli (2009) restent parmi nos albums préférés grâce à leur audace, leur malicieuse inventivité et leur grâce lunaire. Nous ne sommes visiblement pas les seul.e.s et le public nombreux qui emplit la salle réagit au quart de tour dès les premiers morceaux du set. Rapidement, on sent que nous sommes témoins et acteur.ice.s d’un de ces moments rares et précieux où l’énergie dégagée par la prestation du groupe se nourrit de celle dégagée par le public, et inversement. Pour notre plus grand plaisir, ce cercle vertueux va de nouveau nous porter vers un jubilatoire et communicatif sommet de joie dont on espère bien qu’il ne faudra pas attendre une autre décennie avant de la retrouver. Ce soir-là, le diabolique synthé et le refrain de 6 bonnes raisons (d’espérer en hiver) n’ont jamais sonné aussi lumineusement juste.


Pas folle la guêpe, notre précieuse Laetitia Shériff, qui enchaine derrière ce moment magique, embauche une partie de l’équipage Montgomery pour son premier titre. Cela nous vaut une superbe version fiévreuse du People Rise Up de son dernier disque. Célébrer la revendication et le collectif, on n’en attendait pas moins d’une artiste dont le lien avec les Embellies et sa programmatrice est plus que fort. Seule avec sa guitare, elle entame ensuite un morceau composé spécialement pour Stéphanie, qu’elle interprète les yeux tournés vers les cieux et avec une émotion qui irradie de chaque note. Ce n’est pas la première fois (ni la dernière sans doute) que Laetitia nous met dedans dehors, mais la grâce terrassante de ce moment restera bien gravée dans nos cœurs.


Puisqu’il fallait bien que ça se termine à un moment, c’est le trio Yes Basketball, autre groupe dont l’histoire est intimement liée avec le festival, qui concluait la soirée. Né d’une blessure lors d’un match de basket ayant écarté de la scène quelque temps le prolifique batteur Pierre Marolleau (Fordamage, Fat Supper, We Only Said, My Name Is Nobody…), ce projet est d’abord le sien, celui des envies et des inspirations qui se sont concrétisées pendant cette parenthèse. Un premier album est paru le 13 novembre 2020 grâce aux efforts conjoints des impeccables les Disques Normal et À tant Rêver du Roi, il s’appelle Goodbye Basketball et ça a été une des plus belles bouffées d’air frais de cette foutue pandémie. On vous en a chanté à l’époque toutes les louanges qu’il mérite dans cette chronique. Le 7 février 2025 est paru, toujours sur les mêmes labels, Medium level l’encore plus réussi second volet des aventures de cette belle équipe. Composé lors de séances d’impros entre Pierre Marolleau, Yoann Buffeteau (Montgomery) et Jérémy Rouault (Bumpkin Island), le disque ressert le propos sans perdre l’esprit aventureux qu’on adore. On vous en a causé plus en détails dans notre podcast Music Machine de février. Baigné dans un superbe jeu de lumière, le trio livre comme à son habitude un set groovy et enlevé qui termine sur une touche malicieuse et vivifiante une soirée tout simplement parfaite.

Bravo aux groupes, aux technicien.ne.s, à DJ Ced Poussisk aux sélections parfaites… pour cette soirée qui a réussi à parfaitement synthétiser tout ce que Stéphanie aimait et défendait avec la pugnacité et la douceur qu’on lui connaissait. Collective, bigarrée, poétique, joyeuse, cette fête était parfaitement à l’image de ce qui l’animait. On espère bien fort que de cette formidable énergie naitra l’élan et la force de prolonger encore cet esprit dans de futures éditions des Embellies.

Après les concerts, notre petite équipe d’alter1fo est restée longtemps devant la salle de la Cité. Parce qu’on avait besoin de revenir et d’échanger avec plein de gens sur cette soirée si particulière. Parce qu’on y a retrouvé plein de personnes qu’on n’avait pas vu depuis longtemps. Parce qu’on était heureux d’avoir célébré avec une telle force et un tel sens du collectif une personne qu’on adorait. C’était aussi ça l’Embellie, un moment de communion de gens qui partagent un amour commun et immodéré d’iune dée farouchement libre et indépendante de la musique.

Notre galerie photos complète de la soirée :
Soirée l’Embellie par Patchrock @ salle de la Cité, Rennes

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