Programmée au tout début du mois de févier dernier à l’Antipode, la carte blanche autour de Régïs Boulard avait finalement dû être annulée et être reportée à une date ultérieure. On retrouvera donc l’excellent musicien rennais avec son trio Chien Vert le 6 octobre prochain au Théâtre du Vieux St Etienne, l’Antipode étant occupé à la même période par la reformation des mythiques Mass Murderers.
Tout juste ré-ouvert (le 23 septembre), après des travaux de rénovation (afin de conforter la charpente et de réaliser des aménagements techniques pour faciliter le travail des équipes artistiques), le Théâtre du Vieux St Étienne accueillera donc cette carte blanche qui promet d’être exceptionnelle. Durant cette soirée produite par la Station Service et soutenue par l’Antipode, Regïs Boulard a en effet choisi de présenter un concert de sa formation la plus personnelle, Chien Vert , suivi de la prestation de ses invités, les non-moins excellents La Terre Tremble !!!
On en a d’ores et déjà l’eau à la bouche. Le batteur rennais navigue en effet entre la musique expérimentale et le rock avec escales sur les rivages du jazz, participe à des projets essentiels (Trunks, Chien Vert donc, Noël Akchoté, Régis Huby, Jean-François Vrod, Sons of the desert, Olivier Mellano) et a sorti certains de ses disques sur Signature, l’un des labels de Radio France. L’hiver dernier avait ainsi vu la sortie du second album de Chien Vert, Radio Dog, enregistré dans les studios de Radio France, excusez du peu, après un premier essai réussi et remarqué (Les touristes, 2008).
Quant aux invités de Régïs Boulard, La Terre Tremble !!!, trio plus ou moins nouvellement rennais (mais qui vient en réalité du Puy de Dôme et se partage aussi en terre nantaise), il propose une musique savamment construite, autour de motifs rythmiques à la guitare, à la batterie ou à la voix, que vient toujours gripper un petit grain de sable… Ce qui relance alors le morceau dans une direction encore différente. Sur chaque voie mélodique apparaît systématiquement un carrefour inattendu, ou bien un nouvel élément sonore déboule tout aussi soudainement. Auditeurs, vous êtes prévenus, il vous faut garder l’oreille en alerte.
Sorti sur le très bon collectif Effervescence (et ressorti en vinyle en juin dernier), leur dernier album, Travail, a aussi su séduire Jean-Louis Brossard qui leur a proposé la scène de l’Ubu pour les Trans Musicales 2009, ainsi que La Blogothèque qui s’est déplacée à Rennes pour les filmer pour un « concert à emporter »… En concert, leurs morceaux prennent d’ailleurs encore davantage d’ampleur. Comme les musiciens de La Terre Tremble !!! nous le disaient en effet en interview en juin 2010 : « les chansons naissent souvent sur disque sous des formes assez froides et brutes, un peu comme de solides points de départ pour une réinterprétation plus vivante sur scène » (le texte intégral de l’interview ici). Dont acte, on ira pour notre part les écouter ce jeudi soir sur la scène du Vieux St Étienne.
A l’hiver dernier, en grand fan de Trunks et à l’annonce de la carte blanche qui devait se dérouler en février , on avait donc eu très envie d’interviewer Regïs Boulard. Pour des raisons d’emploi du temps plutôt chargés de part et d’autre, l’interview s’était faite par mail. On y avait appris que le batteur rennais se levait tôt, mais surtout on s’y était révélé ému par tant de sincérité et d’intégrité. Voici donc une belle occasion de relire cette interview publiée en janvier dernier (texte intégral ici)
Alter1fo : Je sais que ce n’est pas évident, mais si vous deviez vous présenter en quelques mots ou quelques lignes, que diriez-vous ?
Régïs Boulard : 47 ans depuis peu, amoureux depuis 20 ans de la même femme, deux enfants de 19 et 12 ans… Un gars bien ordinaire!
Le projet principal dans lequel vous jouez, Chien Vert a sorti un nouvel album au mois de janvier. Il a été enregistré à Radio France, et est sorti sur le label Signature. Comment s’est passée la rencontre ? Ce sont eux qui sont venus vous contacter ? Comment avez vous eu envie de travailler ensemble ?
Bruno Letort, qui s’occupe des labels de Radio France (Signature, Ocora, Paroles), est aussi le producteur de l’émission Tapage nocturne, sur France Musique. Il m’avait invité pour son émission, en 2000 ou 2001, avec mon ami Franck Laurent, intrigué par le label que nous avions créé, BoxPock. Sur ce label, nous avions, entre autres, deux disques avec Noël Akchoté, que Bruno connaissait bien. C’est Noël qui lui avait dit « vas-y ».
Il est venu voir, on ne s’est plus quitté ! Ce qu’on appelle une rencontre… J’avais commencé un disque avec mon complice de toujours, Régis Huby, pour BoxPock. Bruno nous a proposé de le faire pour Signature. Nous avons donc enregistré là-bas une bonne moitié du disque. Pour moi, LE rêve. Un endroit incroyable… Et le Service Public! Je suis tout autant un enfant de la télé que de la radio (c’est un privilège de mon âge, d’avoir le cul entre ces deux chaises-là). Ce disque ( « Oui mais ») à peine enregistré, Bruno m’a proposé d’en faire un autre. Ce fut Streamer. Et comme il est têtu (moi je dis « fidèle »), il nous a proposé de faire cet album de Chien Vert !
Dans Chien Vert, vous jouez avec Nicolas Méheust (voir l’interview de Shtok) et Stéphane Fromentin. Comment vous est venue l’idée de travailler ensemble ?
Je connais Stéphane depuis quelques années déjà. Nous nous sommes rencontré un peu par hasard, rencontre qui devait donner naissance à Trunks, quand même !!! Quand il a été question de monter Streamer sur scène, j’avais d’abord proposé à Olivier Mellano de nous rejoindre, Pierre Fablet étant l’autre guitariste. Olivier n’étant pas disponible, j’ai demandé à Stéphane. Bénédiction des agendas ! Ce fut pour moi une évidence immédiate. Sur cet exercice difficile (reprendre une musique jouée par d’autres et en très grande partie improvisée), il fut brillant. Fluide, proposant toujours, tout en gardant en ligne de mire l’intégrité du projet. Ultra fiable, rassurant, quoi !
J’ai rencontré Nicolas plus tard, nous avons été amené à partager des répétitions pour un projet qui ne me convenait pas. Mais Nicolas m’avait tapé dans l’oreille. Nous partageons des choses avec lui que je partage avec très peu de gens (Magma, King Crimson, Ellington…). C’est un gars solaire, il rayonne ! Et tous les deux ont ce truc précieux : une vraie intégrité, c’est-à-dire quelque chose qu’ils ne revendiquent jamais, mais qui’ ils mettent en œuvre jour après jour, très simplement. J’en oublierai presque de dire que ce sont de sacrés musiciens !
A un moment, j’ai souhaité prendre le risque d’initier un projet plus personnel que mon boulot de batteur, et plus versatile que Streamer qui a un cadre très défini. Je souhaitais une forme légère, trio au maximum. J’ai demandé à Stéphane et Nicolas s’ils étaient OK pour faire un essai d’enregistrement, « comme ça », pour voir… Ceddy Gonod m’avait proposé de prendre quelques jours chez ses parents (toute une histoire, une belle !), à enregistrer sans pression. Dès le 2ème jour, j’ai compris que ça serait un disque, et un bon ! Et voilà comment en quatre après-midi, en pleine digestion, est né Chien Vert, et le disque « Les touristes »…
Vous êtes connu pour votre intérêt pour l’improvisation et l’expérimentation. Quelle est la place de l’improvisation dans vos compositions ?
Comment dire ? Improviser, c’est désormais pour moi un moyen. Pas une fin. Je ne souhaite pas faire de la musique improvisée. Juste de la musique. Si à un moment, improviser me semble judicieux, alors banco ! Pour éviter certains pièges de l’improvisation (là, je parle à titre personnel, en fonction de mes capacités et surtout de mes incapacités !), quand nous avons enregistré « Oui mais » avec R. Huby, je lui ai proposé le système suivant: l’un couche une proposition sur la bande. L’autre écoute pendant la prise de son, et intervient à suivre, sans trop cogiter. Et ainsi de suite. Ça reste très ouvert, mais il y a en permanence la conscience que quelqu’un d’autre va suivre : il faut lui laisser la place, il faut rester concentrer sur l’autre.
Aujourd’hui c’est ce que nous faisons avec Chien Vert, mais tous les trois en même temps. Quand on sort des nouveaux morceaux, ça peut être Stéphane qui amène un embryon de mélodie, Nicolas une ligne de basse, ou moi un beat particulier, tout cela parfaitement interchangeable. Un mot ou une phrase peut suffire. Nous nous nourrissons de stimuli, mais il n’y a pas de challenge entre nous, genre « arbre à cames », vas-y avec ces mots, fais moi une symphonie… La notion de performance m’ennuie prodigieusement en général, alors en musique…
Dans Chien Vert, comment est-ce que cela se passe ? Vous composez et improvisez à trois ? Chacun amène ses parties ?
Il y a déjà une bonne part de réponse plus haut. Il n’y a aucune autre règle que faire de la bonne musique ensemble. De la musique que chacun peut porter. Même si certains morceaux conviennent plus à l’un ou l’autre, à l’occasion. Aucun état d’âme sur le « comment », la concentration reste sur le « pourquoi ». Donc nous partons souvent d’une idée simple, ou plutôt d’une idée claire ! On voit comment ça vient, on prend 5 min pour formaliser un peu éventuellement, et hop !
C’est là que ce trio est très fort: ça va très vite à l’essentiel, donc ça laisse de la marge de manœuvre pour le superflu. Nous savons tous les trois comment ça marche, la mécanique de la composition. Alors nous ne perdons pas de temps là dessus. Chacun a parfaitement intégré une large part du patrimoine musical de notre monde. On l’utilise comme cadre. Ou pas… Mais j’ai la prétention de faire de la musique facile, qui vient beaucoup d’ici (enfin, l’Europe, les USA, 50’s, 60’s, 70’s, 90’s etc.) Beaucoup de gens s’y retrouvent, pas forcément des mélomanes répertoriés, loin s’en faut… Et si un morceau ne marche pas vite, on passe à autre chose. Quitte à ce qu’il réapparaisse plus tard. La fluidité reste primordiale.
Quelles étaient vos envies avec ce nouvel album ?
Principalement, faire aussi bien que le premier ! Enfoncer le clou. C’est la 1ère fois que je vois un projet dans lequel je m’investis autant avoir accès à un deuxième disque ! La précarité devient la règle…
(Depuis, Trunks a gonflé les statistiques)
Objectif dépassé, nous pensons tous les trois que ce disque est encore un peu plus Chien Vert. Je dois dire que nous en sommes très fiers !
Quelles sont les influences que vous revendiquez ?
Ce qui m’influence aujourd’hui… Ou encore aujourd’hui. The Who. Définitivement. Groupe libertaire, immature, visionnaire, courageux, tenace. Keith Moon est dans mon cœur depuis mes 11 ans.
Comme lui, je fais souvent l’idiot. Pas forcément pour faire rire, ou pour exister. Comprenne qui veut. Moon, c’était un miroir tendu aux trois autres…
Dernièrement, Stéphane m’a offert « Chien Blanc », de Romain Gary. Je crois que ça va me squatter un moment.
Ma femme m’influence beaucoup. Elle est à la fois très élégante, toujours, et diablement « cash ». Je voudrais que ma musique soit comme ça.
C’est d’ailleurs un peu la même chose avec Stéphane et Nicolas. Je suis très fan de ces types-là. J’aime être fan. Mon fils est fan d’ AC/DC. Et je vois que c’est un moteur pour lui. Il s’éclate avec ça. J’aime assez être heureux. Chien Vert me rend heureux. Donc ça m’influence…
Si vous deviez citer trois disques sans lesquels vous ne pourriez vivre ?
Oh là là, la question maudite !!! Allez, sans trop finasser, ce matin (là, il est 7h45) ça serait « Who’s next » (des Who, donc!), « Descendre » de Terje Rypdal, et « Third » de Portishead. Mais à écrire ça, je me sens déjà orphelin des Noces de Stravinsky, de Wurdah Itah de Magma, d’ Ascension de Coltrane, de Red de Crimson… Et de mon best off de Blondie.
Vous jouez aussi dans Trunks. Qu’y a t-il de prévu dans les mois à venir?
Eh bien, ni plus ni moins que le prochain album, enregistré voilà deux semaines (c’est tout frais) au studio Black Box. Ce disque a pris son temps et c’est très bien. Nous avons trouvé un équilibre de fonctionnement très efficace qui n’était pas encore là il y a un an. Il faut dire que nous avons eu la chance de beaucoup jouer l’an dernier, grâce à notre défunt tourneur Propergol (spécial dédicace à Ben). Là, nous démarrons une nouvelle aventure avec Caravelle, et donc ce nouveau disque. Il sortira en vinyle et en numérique (CD ou pas…). De la balle ! Et là aussi, un fonctionnement collectif, fluide, efficace. A cinq ! Respect… [NDLR : depuis l’interview, l’album – On the roof -est sorti, enfin c’est tout neuf puisque ça date du 29 septembre ! ]
Sur la scène rennaise, comment vous situez-vous ? Êtes-vous en contact avec d’autres artistes rennais ?
Je ne me situe pas, j’avoue. Je ne sais pas. Il y a peu, François Leblay (le boss de la Station Service, qui produit cette carte blanche, et qui me soutient depuis des années) écrivait « R. B. batteur incontournable (…) ». Et je me disais que je suis quand même sacrément contourné… Apparemment, tout le monde pense que je suis over booké. Il y en a qui pensent que je suis inapprochable, impossible à vivre, trop ceci, trop cela… C’est forcément de ma faute, mais je le regrette. Je me suis autant éclaté à jouer avec Fannytastic ou Marc Gauvin qu’avec Sons of the Desert, et j’y ai mis autant d’énergie que dans Chien Vert. Pour moi, l’essentiel, c’est d’avoir envie de jouer avec untel ou une telle, ou qu’ untel (…) ait envie de jouer avec moi. Une fois que c’est posé, la musique arrivera forcément, convoquée par notre volonté!
Faudra juste voir si c’est bon ou pas…
Pour la 2eme partie de la question, oui, bien sûr, mais pas tant que ça. Outre les gens de Chien Vert et de Trunks (et ça fait du monde : Laetitia Shériff, Florian Marzano, Daniel Paboeuf!), Olivier Mellano et moi trouvons toujours le moyen de faire des trucs une ou deux fois par an. Et il m’invite à (presque) chacune de ses cartes blanches. Où j’y retrouve Thomas Poli, Gaël Desbois, David Euverte avec qui je partage pas mal d’aventures passées et présentes (Marc Gauvin, Cine Monstro…) et d’autres, je vais en oublier, pardon… J’ai aussi beaucoup d’admiration pour La Terre Tremble !!! [c’est d’ailleurs réciproque : voir l’interview de La Terre Tremble !!! ]On s’est croisé lors de deux stages d’improvisations que j’animais. Quel parcours ! Et puis Robert le Magnifique, on se renifle le derrière depuis un moment, avec Stéphane Fromentin, ça va se faire… Il y a le travail que je fais avec Ceddy Gonod, de production, de musique, d’enregistrement, de bouffe aussi. Mais j’ai du mal à lui coller l’étiquette « artiste rennais » . Mais c’est à Rennes qu’on s’est choisi, c’est sûr !
Après cette carte blanche à l’Antipode, quels sont vos projets ? Une tournée avec Chien Vert ? D’autres projets ?
(…)
Nous allons essayer de tourner au maximum avec Chien Vert. Sophie Racineux, de la Station Service, s’occupe de nous depuis peu, et ça semble prometteur, le 1er album a été bien reçu, le 2ème arrive à temps. Je vais aussi tenter de survivre matériellement, ça prend du temps, désormais.
Je vais essayer à nouveau de rencontrer d’autres personnes, d’autres mondes. Pour nourrir le mien. Par forcément dans la musique! Ma rencontre de l’année 2009, qui me porte encore, ça a été avec Robert et Sylvia Meanwell. Lui est un ancien membre d’équipage de char Sherman. Elle une des plus belles femmes que j’ai pu voir. 89 et 88 ans. Et une force de vie peu banale, tournés tout les deux vers l’avenir, et le gin tonic.
Cheers!
Merci !!
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Regïs Boulard sera au Théâtre du Vieux Saint Etienne le 6 octobre 2011 à partir de 19h pour une Carte Blanche avec des concerts de Chien Vert et de La Terre Tremble !!!
Myspace de Régïs Boulard/ Chien Vert : http://www.myspace.com/chienvert
Site de Trunks : http://www.trunks.fr/trunks1.0.html
Myspace de La Terre Tremble !!! : http://www.myspace.com/laterretremble
Renseignements et réservations : 06-12-37-05-23 / sophie[at]lastationservice.org
Sur place : 10 €, sur réservation : 8 € tarif plein, 6 € tarif réduit (demandeurs d’emploi), 3 € (tarif sortir !)