Quand les cancres s’en remettent au Ciel : les dévotions rennaises pour réussir ses examens.

C’est une malédiction saisonnière. Alors qu’après des mois de grisaille, la ville se réveille et s’ébroue sous le soleil intermittent d’Avril, une gelée tardive semble figer les campus rennais : c’est l’heure funeste des examens de fin d’année.

Rien de trop effrayant pour quelque spécimens déjà sur le pied de guerre, avec leurs fiches toutes prêtes et leurs cours bien rangés. Mais il y a tous les autres :

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Devant le pôle langues, des étudiants choqués par la terrible découverte : ce bâtiment abriterait une bibliothèque. Une cellule psychologique a été mise en place. (c)Ouest-France

On pense aux rêveurs maladifs, qui tout un semestre ont scruté le plafond de la BU et les fessiers de leurs voisin(e)s ; qui procrastinent à mort, qu’un rien détourne de leur travail pour les livrer en pâture à des songes grandioses et somptueusement improductifs.

On pense surtout à ces figures tutélaires de la vie rennaise : les fêtards, les dilettantes, ceux qui donnent dans la guitare ou dans la bombe aérosol, ceux qui hurlent à la Révolution sociale, ceux qui tombent amoureux trois fois par semaine et meurent d’amour deux fois par mois ; ceux qui baisent, boivent, fument, gueulent, s’engueulent, s’embrassent et s’effondrent, puis qui cuvent et replongent tête baissée dans les abîmes de la fête nocturne, suspendus à leur parachute de MDMA.

Pour toutes ces cigales-là, l’approche du mois de mai fait l’effet d’un coup de blizzard sur la garrigue. Un grand silence d’abord, puis cette certitude : ça va pas le faire. Cette fois c’est sûr, ça passera jamais.

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« … jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus »

Haut les cœurs ! Pour leur rappeler que rien n’est jamais perdu, Alter1fo dédie aux cancres et aux gentils fumistes cette introduction à quelques cultes étranges auxquels se sont livrés, en guise de recours ultime, des générations de leurs prédécesseurs.

 

MULTIPLICATION DES POINTS À NOTRE-DAME-DE-BONNE-NOUVELLE

Tout part d’un réflexe primaire : chacun, au seuil de la mort, n’appelle-t-il pas sa mère ? Ce principe a sa traduction spirituelle dans la ferveur mariale qui prend soudain le bachelier en perdition, tout prêt à fuir l’œil sévère de l’examinateur pour se réfugier dans les jupes de la Vierge.

La Vierge, oui mais laquelle ?

Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle par exemple, domiciliée en l’église Saint-Aubin sur la place Sainte-Anne.

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Cette Vierge à l’enfant peinte sur bois est l’objet d’une vénération de plus de cinq siècles. Son vocable lui viendrait de Jean de Montfort, prétendant heureux au duché de Bretagne. Vainqueur en 1364 de Charles de Blois, son concurrent soutenu par le roi de France, il aurait par ces mots appris sa victoire:  «  Bonne nouvelle monseigneur, vous êtes duc de Bretagne  » . De là l’intention, d’après une tradition historique mal assurée mais bien trouvée, de fonder en l’honneur de la Vierge le couvent dominicain Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle ; c’est celui qu’on appelle aujourd’hui le couvent des Jacobins et qui abrita, le premier, l’icône miraculeuse.

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By GO69 (Own work) [CC0], via Wikimedia Commons

Dès la fin du XVe siècle, les guérisons sont en effet si nombreuses devant ce tableau qu’il devient l’objet d’un pèlerinage important. On attribue même à l’intercession de la Vierge l’interruption d’une épidémie de peste en 1632 : un « vœu » lui est alors offert sous la forme d’une grande maquette de la ville en argent (fondue à la Révolution). Certains croient encore la voir dans le ciel lors du grand incendie de 1720 et pensent lui être redevables du sauvetage des Lices et de la rue saint Michel, comme l’illustre ce tableau votif:

tableau votif

Tableau votif de Leroy, copie d’une aquarelle réalisée peu après l’incendie. By Leroy (Own work) [Public domain or CC0], via Wikimedia Commons

Thaumaturge, pompier de choc: Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle aurait-elle également quelque compétence dans le domaine de la multiplication des crédits ECTS ? Sans que ce soit à proprement parler une spécialité, quelques témoignages issus de son impressionnant mur d’ex-voto le laissent croire.

Il semble néanmoins que les affaires universitaires soient le plus souvent déléguées à sainte Thérèse, sise juste à côté. Moins regardante sur le décorum, on notera que celle-ci se contente désormais de simples requêtes graffitées sur le mur.

Dans les deux cas, on reste toutefois dans le domaine de la médecine spirituelle généraliste. Pour les situations plus épineuses, il existe des praticiens spécialisés :

 

NOTRE-DAME-DES-CANCRES À SAINT-SAUVEUR

Prenez Notre-Dames-des-Miracles, en l’église Saint-Sauveur : le nombre d’ex-voto d’étudiants qui lui sont dédiés lui vaudrait presque le titre de Notre-Dame-des-Cancres.

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Notre-Dame-des-Miracles (et des Vertus), basilique Saint-Sauveur (c)fmonvoisin

Cette statue néo-romane de la Vierge en majesté n’est pourtant qu’une reconstitution datée de 1876 puisque l’original, qui avait lui aussi passé sans dommage l’incendie de 1720, a disparu pendant la Révolution. Cela n’amoindrit pas la ferveur qu’elle suscite, largement portée par sa légende qui prend elle aussi sa source dans la guerre de Succession de Bretagne (1341-1364) :

En 1357, alors que les Anglais assiègent Rennes et tentent de la prendre en creusant une mine qui aboutit sous l’église Saint-Sauveur, les cloches se seraient mises à sonner toutes seules, en même temps que deux cierges s’allumaient et que la statue miraculeuse pointait son bras vers l’endroit où l’assaillant s’apprêtait à surgir (posture qu’elle aurait conservé ensuite).

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Sur le socle : « gain de 5 crédits ECTS toutes les fois qu’on prie devant cet autel » (c)fmonvoisin

Les esprits chagrins, toujours à pinailler sur les détails, auront la tâche facile : comment se fait-il qu’on n’ait pas eu mention de cette légende avant 1532 et que les détails n’en aient pas été fixés avant le milieu du 17e ? Sans compter qu’il faudrait se mettre d’accord : Notre-Dame-des-Miracles peut-elle combattre les Anglais à Saint-Sauveur pendant que Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle favorise Jean de Montfort, victorieux grâce à eux du parti français ?

On s’en fout, l’important c’est que ça marche :

Et puis quand ça ne marche pas, quand la médecine spirituelle officielle a épuisé tous ses recours, quand le rôle de cancre vous colle à la peau comme une mauvaise teigne, il reste encore à quitter l’irrationnel commun pour donner dans le franchement bizarre.

Bienvenue dans le cimetière du Nord.

 

BOUCHONS ET PETITS POCHONS : RITUELS ÉTRANGES AU CIMETIÈRE DU NORD

Les manuels d’histoire racontent que ce n’est plus la vox populi qui décerne les titres de sainteté depuis que les évêques, puis les papes à partir de 1234, en firent une prérogative personnelle. Et pourtant…

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L’abbé Huet, par exemple. De cet aumônier de l’Hôtel-Dieu enterré en 1930 au cimetière du Nord, on ne sait plus grand chose. Une gentille dame qu’on a croisée priant sur sa tombe nous a raconté le faire en mémoire de sa propre mère, qui fleurissait la sépulture chaque samedi et n’en fut empêchée qu’une fois, le 29 mai 1943. Cela lui sauva la vie : le cimetière fut ce jour là pulvérisé par un bombardement américain.

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À cette époque déjà, un genre de culte étudiant semble avoir éclos autour de la tombe de l’abbé où des offrandes étaient déposées en périodes d’examen -sans qu’on sache bien pourquoi. Quelques ex-voto en témoignent encore :

Le cimetière abrite d’autres bizarreries :
Par exemple, vous vous sentez fébrile une veille d’exam ? Passez donc voir Mme de Coëtlogon. Cette aristocrate morte en odeur de sainteté en 1674 fut d’abord inhumée dans la chapelle des Carmes, près de l’actuelle rue Vasselot. Lors de la destruction de la chapelle en 1798, son corps fut retrouvé intact ; on le transféra au cimetière du Nord.

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Sa tombe recouverte de lierre fait aujourd’hui encore l’objet d’un culte qui lui vaut le surnom de « sainte aux petits pochons » : des fidèles, pour guérir des fièvres, viennent y prélever un peu de terre qu’ils glissent dans un pochon porté autour du cou 9 jours durant ; puis ils reviennent accrocher le sachet sur la sépulture.

Ce petit tour macabre -mais rigolo- du cimetière du Nord, on aura soin de l’achever en visitant la « tombe aux bouchons » : il s’agit de la sépulture de l’abbé Thébault, curé doyen de Saint-Sauveur mort en 1860. Les éléments les plus turbulents de la communauté universitaire, qui portent encore sur les fesses l’empreinte du caniveau de la rue St-Michel, y trouveront d’utiles ressources : une pratique toujours vivotante consiste en effet à venir déposer sur le monument descellé un bouchon de liège où une capsule de bière – pour se défaire des démons de l’alcool, selon une explication peu étayée mais souvent avancée.

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Le préfet et les élus tiennent peut-être là une alternative à la Nuit des 4 Jeudis, Dazibao et autres dispositifs peu probants de lutte contre l’alcoolisation massive : pourquoi pas un apéro facebook géant au cimetière du Nord durant lequel, dans un exorcisme massif et tapageur, l’abbé Thébault libèrerait toutes les brebis éméchées du mauvais génie de la bouteille ?

En attendant que les autorités compétentes se saisissent de cette proposition novatrice, Alter1fo souhaite à tous les cancres des réussites inespérées et à tous les autres, des succès bien mérités.

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Pour en savoir plus:

-Les notices de Georges PROVOST dans VEILLARD J.-Y. et CROIX A. (dir), Dictionnaire du patrimoine rennais, éd. Apogée, 2004
-BROHAN G., Rennes secret et insolite, éd. Les Beaux Jours, 2009
-BROHAN G., Guide secret de Rennes, éd. Ouest-France, 2012

1 commentaires sur “Quand les cancres s’en remettent au Ciel : les dévotions rennaises pour réussir ses examens.

  1. Ste Anne d'(e presqu') Auray

    Je recommande également chaudement Ste Rita (Chapelle St. Guillaume à St. Brieuc), également connue comme la patronne des causes perdues qui m’a permis de surmonter les fonctions mathématiques au bac et de slalomer entre les nombreux obstacles de la question épineuse de l’investissement chez Marx.

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