L’association Kfuel conviait vendredi 1er juin deux duos guitare-batterie adeptes d’un rock atmosphérique et labyrinthique au Bar’Hic à Rennes. Si nous avons été particulièrement heureux d’avoir l’occasion d’y revoir les fiévreux parisiens de One Lick Less nous avons été totalement conquis par la remarquable prestation des angevins de Dalès que nous venions découvrir ce soir là.
On s’en doutait un peu vu les échos dithyrambiques qui nous en étaient parvenus : la précédente soirée du 10 mai au Bar’Hic globalement et le concert de Moodie Black en particulier est sur toutes les lèvres. Pour une fois, c’est l’équipe Kfuel qui a le superlatif en fleur. On ne va heureusement pas ruminer nos regrets bien longtemps. Cette soirée du 1er juin va se révéler un parfait remède à nos remords.
On se remercie d’ailleurs à genoux d’être arrivé à l’heure tant le duo instrumental Dalès a été immense. Venu de Montaigu, Joris Pesquer est à la batterie. Et quel batteur. D’aucuns l’ont peut-être vu sur les scènes punks d’ici et d’ailleurs (One Thousand Directions). Nous pas. Mais là on s’en prend plein les oreilles : subtilité du toucher (baguettes, mailloches), richesses rythmiques, constante recherche sur les timbres, le garçon ne laisse rien au hasard et se révèle aussi époustouflant pour vous percuter l’âme à toute puissance sur ses toms que pour tricoter des entrelacs rythmiques aériens qui filent le vertige. Assis à ses côtés, son comparse angevin Enguerran Wimez à la guitare, venu de la mouvance noise expé (The Forks, Zucchini), n’est pas davantage manchot. Vox sur les genoux, multiples pédales d’effets à ses pieds pour encore sculpter davantage le son et les structures, le musicien fait partie de ces guitaristes dont vous croyez qu’ils sont deux quand ils jouent. Mais en fait non. La faute à une technique imparable d’arpèges à trois doigts, désynchronisés du pouce et de l’index qui jouent au médiator sur les cordes basses. Là aussi, ça se balade sur les cordes et les gammes avec une habileté de funambule. Mais écrire uniquement de Dalès qu’ils sont monstrueux techniquement est un peu n’avoir rien dit. La technique, on s’en tape le coquillard sur la banquise si elle n’est au plein service d’un propos. Et là, le duo excelle. A l’exercice casse-gueule de la musique instrumentale sur scène, Dalès navigue sans écueils : tout en nuances, pleins de reliefs, fourmillants de détails (à l’image du magnifique visuel de leur premier album, Akènes, dont nous choperons le vinyle à la fin du concert), leurs morceaux se dégustent à pleines oreilles. Se partagent, même. Tournoyante, la longue cavalcade de Duende, commencée par des glissements de baguette inattendus et inouïs sur les cymbales, gonfle progressivement en intensité, emplit l’air, l’espace, devient énorme et confine à la transe. Autour, le silence s’est fait. Plus personne ne parle au bar, tout le monde s’est fait cueillir. Immergés totalement, tendus dans le son, on se laisse balader des couleurs jazz des accords sur la six-cordes alliées aux rythmiques équilibristes d’Elhna aux chemins de traverse mélodiques parfois suspendus de Labúr. Et on en passe, tant le voyage que les deux garçons nous proposent, se révèle prenant, riche. Et les cris retentissant à chaque fin de morceau devant la scène viennent encore confirmer que la musique de Dalès est de celle qui a des choses à dire, de celle qui se partage. Sur et devant la scène. Un moment en apesanteur.
Nous avons donc encore la tête dans les nuages quand One Lick Less prend place sur scène. Nous n’allons pas redescendre de beaucoup. Basile Ferriot, assis derrière ses futs, ouvre le bal en jouant de l’archet sur ses cymbales annonçant le très beau Unkind Folk Tale en guise d’ouverture. Julien Bancilhonde est assis à sa gauche avec son intrigante boîte guitare (réversible !) sur laquelle il brode en slide ou en arpèges rageurs des ambiances envoûtantes et orageuses. On retrouve avec un plaisir intact l’alchimie si particulière de ce jeu de batterie libre et évocateur et de ce son de guitare si particulier. Le duo flotte avec toujours autant de grâce entre les eaux folk, blues, post-rock ou prog tout en se gardant de se noyer dans la démonstration ou le délayage. Pourtant, on sent ce soir là que le duo peine à faire monter le set en puissance. Malgré l’enthousiasme certain du public, le duo n’arrive visiblement pas à rentrer totalement dans son concert et reste de façon frustrante à la surface de la force dont il a pu faire preuve lors de leur précédent set sur Rennes. Une soirée un peu sans donc, mais qui resta cependant fort agréable. Même en demi-teinte, la musique de One Lick Less jouée en live reste un moment précieux. On ne peut de toutes façons pas sérieusement en vouloir à des gens qui vous offrent une superbe version du Alifib de Robert Wyatt en guise de rappel. On les attend donc de pied ferme pour qu’ils reviennent dans le coin faire preuve de leur plein potentiel.
Report rédigé à quatre oreilles et dix doigts avec la toujours aussi impeccable Isa.