Les Embellies printanières sont devenues hivernales cette année, mais la qualité de la programmation est restée tout aussi exceptionnelle. Et pour finir en beauté à l’Ubu, le festival a offert une carte blanche à Sylvain Texier aka The Last Morning Soundtrack : une manière de boucler la boucle, puisqu’après avoir créé son spectacle il y a un an lors d’une résidence exceptionnelle à l’Antipode, il revenait à Rennes après une longue tournée.
Pour cette carte blanche, il a eu l’excellente idée d’inviter The Delano Orchestra, que nous avions découvert sur scène lors de la résidence Kütu Folk Records à l’Aire Libre, pendant les dernières Trans Musicales. On s’était pris une claque gigantesque, qui confirmait tout le bien que l’on pensait de ce groupe clermontois emmené par Alexandre Rochon, l’un des membres fondateurs du label cousu main. On ne savait pas trop à quoi s’attendre pour cette invitation exceptionnelle à l’Ubu, car le groupe menait deux projets parallèles : The Escape, qu’on avait découvert à l’Aire Libre, projet de réorchestration des morceaux du Delano Orchestra autour d’un quatuor à cordes ; mais aussi la réalisation d’un nouvel album fraîchement enregistré il y a quinze jours.
Le groupe n’étant pas en tournée, c’est un combo inédit qui s’est présenté à nous, avec un bassiste inhabituel, mais sans la présence du trompettiste Julien Quinet. Alexandre nous précise dès le début qu’ils ont choisi de nous présenter les nouveaux titres de leur album, et on est forcément ravi de pouvoir les découvrir en avant-première.
Première constatation : le groupe a pris un réel virage rock, avec des compositions beaucoup plus ramassées, délaissant quelque peu les montées orageuses qu’on lui connaissait. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ensemble fonctionne redoutablement ! La rythmique est impeccable (Christophe Pie à la batterie est tout bonnement phénoménal), les jeux de guitares de Matthieu Lopez et d’Alexandre se complètent parfaitement, et le jeu de violoncelle de Guillaume Bongiraud est riche et atypique, notamment dans des sonorités noisy qui collent parfaitement avec les mélodies puissantes et torturées. Ca envoie sévère, les morceaux sont plus courts et plus denses qu’à l’accoutumée, et le contraste avec la voix diaphane d’Alexandre est encore plus saisissant.
Et ce virage rock se confirme même sur les anciens titres, comme sur l’excellent Seawater, beaucoup plus punchy que sur album (l’indispensable Now That You Are Free My Beloved Love). Julien Quinet nous avait confirmé cela il y a quelques semaines lors d’une interview : « On enregistre un nouvel album en février. Les morceaux sont déjà prêt, c’est peut-être plus rock que ce qu’on a fait dans les précédents albums« .
C’est effectivement plus rock, sans toutefois délaisser le côté post-rock de certains titres, comme le magnifique Outro joué en toute fin de concert. Alors effectivement ce titre est difficilement jouable sans le solo de trompette qui joue le thème central, et Alexandre tente le pari de faire chanter ce thème par le public (non sans humour), toutes lumières éteintes. Un final réussi pour un nouveau set très prometteur : le public a d’ailleurs accueilli très chaleureusement ces nouvelles compositions, de bon augure avant la sortie très attendue de cet opus. Un grand merci à Sylvain de nous avoir offert la possibilité de les (re)découvrir.
Lors de la pause, sont mis en place un triptique de toiles, une grosse caisse recouvert d’une fourrure noire, un clavier et deux guitares : le tout est beaucoup plus minimaliste, et dès son entrée sur scène, Sylvain Texier s’en amusera d’ailleurs avec le public, en s’excusant de faire moins puissant que The Delano Orchestra. Mais c’est ce qu’on aime chez The Last Morning Sountrack : des mélodies folk feutrées et ciselées à merveille. Le jeu de guitare subtil de Sylvain et le classieux violoncelle de Juliette Divry se confondent avec poésie pour créer une atmosphère si singulière. Sans oublier le timbre de voix chaleureux et posé de Sylvain, qui se marie à merveille avec les compositions.
On n’avait malheureusement vu que la fin de son set lors de la précédente édition de Top Of The Folk, avec une certaine frustration : et le concert de ce soir confirme l’importance de voir le concert intégralement pour apprécier l’atmosphère qu’il réussit à imposer dans la salle. Il faut dire qu’on a la chance d’assiter à une prestation aboutie : crée lors d’une résidence exceptionnelle à l’Antipode il y a un an (toujours dans le cadre du festival des Embellies), ce set, majoritairement composé des titres de son album A Distance, A Lack, s’est singulièrement enrichi au fil de la tournée.
Il y a notamment ces projections vidéos en arrière-plan, qui renforcent visuellement l’émotion véhiculée par les titres. Un paysage qui défile sur A Snowman In Summer, des flocons de neige qui tombent délicatement sur The Last Chapter, et qui se mettent à tourbillonner lorsque le morceau monte en puissance… Le titre le plus abouti scéniquement parlant est probablement Around The Bend, avec sa petite boîte à musique qui apparaît en ombre sur la grosse caisse pour marquer le début et la fin du morceau, mais aussi avec la discrète présence de Juliette qui joue sur un mini-piano rouge derrière les pans de toiles.
Cette mise en scène participe de l’ambiance teintée de mélancolie qui plane au dessus d’un public silencieux (ce qui ne manque pas de troubler Sylvain). Qu’il soit seul (We Don’t Need An Ending) ou accompagné de Juliette au violoncelle ou aux claviers, il nous dévoile une sensiblité au service de mélodies folk imparables. Les compositions prennent parfois des contours post-folk pour notre plus grand bonheur, avec des montées en puissance tendues (The Belated Promise Of Lovers, The Last Chapter), marquées par l’utilisation de la grosse caisse et de la guitare électrique.
A l’occasion de cette carte blanche, Sylvain a invité trois amis à le rejoindre : Florian Mona aux claviers sur From Now On, William Josh Beck au banjo sur Old Tired Promises (tout nouveau morceau prometteur !), et Guillaume Bongiraud au violoncelle sur As Lonely As I Am. Trois morceaux réorchestrés pour autant de jolis moments. Et le concert se termine en beauté avec Story of O. et son final orageux, renforcé par un savant jeu d’ombres de l’artiste, projetées en différé derrière lui.
Un set impeccable qui confirme les très bonnes impressions à l’écoute de l’album, mais aussi la confirmation du potentiel du jeune homme, si l’on s’en tient aux nouveaux titres entendus et à l’accueil qu’ils ont reçu. L’association Patchrock aura, une fois de plus, embelli la soirée de clôture de ce merveilleux festival. A l’année prochaine !
Photos : Solène