François Bégaudeau a un humour très potache. Cette verdeur héritée des longues années à trainer sur les bancs de l’école a semble-t-il durablement affecté son caractère, ce qui n’est pas à proprement parler pour nous déplaire. Mais ce jeune homme ironique semble néanmoins souffrir du mal du 21ème siècle, c’est à dire de troubles bi-polaire (on ne dit plus maniaco-dépressif, c’est trop déprimant .. !). Durant ses phases de replis, celui-ci s’interroge sur le sens de la vie, ou plutôt de sa vie, celle d’un écrivain. Être écrivain n’est pas un choix, cela vous tombe dessus sans prévenir, un peu comme la dépression pour les maniaco-dépressifs. Si l’écrivain analyse le pourquoi il s’est jeté dans cette existence ingrate, il trouvera invariablement une rupture, ou ce que Bégaudeau nomme ici « la blessure ». Cette blessure peut être psychologique, sentimentale ou charnelle, sauf pour les bras, sinon comment l’écrivain écrirait-il ?
Dans « La blessure la vraie » François Bégaudeau va donc à la rencontre de sa blessure, celle qui a tout fait basculer, celle d’un été pas comme les autres, celui de 1986, à l’extrême sud de la cote Vendéenne. En 1986, François a 15 ans et un objectif, celui de coucher avec une fille pour se débarrasser enfin de ce tourment existentiel. Si en plus, les copains le savent et que la fille appartient à une caste supérieure (comprendre, être âgée de plus de 15 ans) alors il sera vraiment reconnu parmi les siens et la « vraie » vie pourra enfin commencer.
Le livre de François Bégaudeau est une double immersion. Premièrement dans l’ambiance estivale de l’année 86 avec tous ces petits riens qui coloraient le monde d’alors, avec dans le désordre, la princesse Fergie et son beau Andrew, « Say You Say Me » de Lionel Richie, les T-Shirts d’Iron Maiden ou de Def Leppard, les cassettes audio C30, etc. tout un monde que l’on croyait disparu de notre mémoire. Mais la vrai prouesse du livre est de nous faire vivre dans la tête d’un gamin de 15 ans. Bégaudeau reprend le principe développé par Joyce dans Ulysse. Il laisse les pensées de son narrateur se dérouler sans interruption. Mais là où la lecture d’un Joyce offrait peu d’accroches, ici dans la caboche d’un ado focalisé sur le sexe, les errances intérieures prennent une autre saveur. Vous l’aurez compris, la lecture est aisée presque fluide et Bégaudeau joue à pousser la tension à son paroxysme pour lâcher le lecteur dans un hébétement final.
Si vous ne connaissiez Bégaudeau que pour ses prouesses médiatiques dont la fameuse palme d’or à Cannes pour « Entre les murs », vous serez sans doute surpris et j’espère charmé par ce livre assez surprenant mais néanmoins ludique. Pour ceux qui auraient envie de poursuivre Bégaudeau dans ses réflexions sur ce qui fait un écrivain, il a rédigé un « Antimanuel de littérature » sur l’ensemble des mythes qui entourent la littérature. Si l’ouvrage est plus théorique que « La blessure », il coupe néanmoins la tête à quelques idées toutes faites qui trainent autour de l’aura du livre et de leurs auteurs. Si vous êtes plus sensible au côté espiègle de Bégaudeau mais sans vous soustraire des problématiques graves qu’il soulève, je vous conseillerais le petit essai « Tu seras écrivain mon fils » sorti en 2011 aux éditions Bréal.
Par contre si les théories malsaines de Bégaudeau sur la littérature vous agacent et ressemblent à de la masturbation intellectuelle de bas étage, vous pourrez vous rabattre sur l’intégrale des Zabriskie Point, un groupe de Punk-Rock Nantais de la fin du siècle dernier. Pourquoi ce groupe et pas un autre groupe de Punks électroniques plus sexy permettant de conclure dans toutes les bonnes discothèques de l’hexagone et au delà ? Premièrement parce que ces gars ont pondu un classique instantané au titre prédestiné « Punk » et que deuxièmement le gars qui écrivait et éructait les textes était un certain Bégaudeau, alors étudiant en littérature (enfin si je m’en réfère à leurs paroles). Les Zabs étaient alors le parfait croisement du cynisme des Pistols et de l’engagement des Clash. Réécouter aujourd’hui les Zabriskie Point c’est découvrir les p’tits frères des Olivensteins alors ne boudez pas votre plaisir. La discographie sortie initialement sur leur label « Dialektik Records » est aujourd’hui rééditée parfaitement en 2 doubles albums chez « Des gens de l’occident ». J’en profite aussi pour rendre un hommage à leur guitariste, Xavier Esnault, parti sans dire adieu fin 2012 à l’âge de 41 ans. Les punks rockers ont du coeur mais ils ne font pas de vieux os. Alors (re)jetez vous sur les Zabs, c’est Punk, c’est plus marrant.
Depuis « La blessure » sortie en en 2011, François Bégaudeau a publié 2 autres livres, « Au début » en 2012, une compilation de témoignages sur la maternité et la naissance et en début d’année « Deux singes ou ma vie politique ». Deux ouvrages qui me permettront sans nul doute possible de passer avec plus de sérénité l’hiver rude qui s’annonce.
Liens
Le site officiel de François Bégaudeau
Le site des Zabriskie Point
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La blessure, la vraie – François Bégaudeau – Collection Folio n°5444 – ISBN : 9782070447923
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