Le Jardin Moderne en berne mais offensif !

Ville étudiante, festive et réputée « rock », Rennes voit éclore dans les années 90 bon nombre de groupes de musique pour notre plus grand bonheur. Revers de la médaille, il est alors bien difficile de trouver un local pour répéter dans de bonnes conditions. Alors que se tenaient les Assises de la Culture en 1997, un collectif au nom éponyme regroupant une quarantaine d’associations a décidé de prendre à bras-le-corps le problème et a bataillé pour obtenir un lieu dédié aux musiques actuelles. C’est ainsi qu’après des mois de négociations avec la mairie-époque-Edmond-Hervé, le Jardin Moderne ouvre ses portes en 1998.
Dès sa création, il est pensé comme une « boîte à outils » au service du monde éclectique de la musique, qu’il soit amateur ou professionnel. Depuis, et malgré son emplacement légèrement excentré, le « Jardin » est devenu un lieu de ressources, de travail, de vie et est aujourd’hui un incontournable de la scène musicale rennaise. Personnellement, nous devons à l’endroit un bon paquet de nos meilleurs souvenirs musicaux et humains.
Mais aujourd’hui, l’heure n’est plus aux réjouissances. L’impact de la crise sanitaire sur le monde de la culture est dramatique et n’épargne personne. Les « non-réponses » et les « non-annonces » de l’État apportent flou et insécurité. No-futur, isn’t it ? Ne voulant pas s’avouer vaincue, l’association du Jardin Moderne a décidé de se faire entendre à travers un communiqué que l’on vous propose de lire à la fin de l’article. L’occasion pour nous de nous entretenir avec Juliette Josselin qui assure depuis février 2020 la codirection du JM avec Thomas Remillieux.
( → PS : Entretien effectué avant les différentes annonces de la tenue de concerts expérimentaux à Marseille, Paris et Saint-Malo, NDLR)

 

OrchestreToutPuissantMarcelDuchamp@JardinModerne-alter1fo (2)

 

[Alter1fo] : Bonjour Juliette, peux-tu en quelques mots présenter le Jardin Moderne ?

Juliette Josselin : J’aime bien utiliser le mot de « tiers-lieu » de la musique pour décrire le jardin car il est constitué de plein d’outils. Au même endroit, on trouve des locaux de répétitions, un studio d’enregistrement, un centre de ressources. Il y a bien sûr une salle de concerts, un café, un restaurant et l’espace extérieur. Habituellement, sur une année « normale », une cinquantaine d’évènements sont organisés. Le jardin est enfin un organisme de formations permettant aux professionnel·les tout comme aux bénévoles de venir s’informer sur des questions administratives, techniques et bien sûr artistiques.

[Alter1fo] : Suite aux différentes restrictions sanitaires, est-ce que le jardin s’est mis totalement à l’arrêt ?

Non, certaines activités ont pu se maintenir. Le restaurant fonctionne avec de la vente à emporter. Cela permet de garder un lien avec les habitué·es qui travaillent dans la zone industrielle. Nous avons le droit d’accueillir également des artistes professionnel·les pour des résidences, nous continuons à organiser des formations car certaines ne peuvent pas se faire à distance. Enfin, l’animateur du centre de ressources poursuit ses entretiens avec celles et ceux qui en font la demande.

On profite aussi de cette période particulière pour lancer des travaux de rénovation du bâtiment. La salle de concert n’a pas été repeinte depuis près de 10 ans, par exemple, et dernièrement, nous avons fait appel à des métallières pour fabriquer une vraie scène dans le café avec des garde-corps.

[Alter1fo] : Pourquoi avoir écrit et publié (le 04 février 2021, NDLR) ce communiqué ?

Nous et l’ensemble des salarié·es travaillant au sein de structures culturelles sommes épuisé·es par ces 11 mois de crise sanitaire. Nous avons bien conscience des difficultés et des enjeux mais nous saturons de devoir nous adapter à chaque nouvelle mesure, à devoir gérer les aléas. Nous ressentons autour de nous une certaine lassitude à devoir attendre… mais attendre, quoi ?! La culture, les loisirs et les activités sportives ne sont même plus évoquées lors des prises de parole gouvernementale. Nous voulions donc sortir de ce schéma et de cette communication fataliste et continuer à nous indigner !

Spring Rec @ Le Jardin Moderne

 

[Alter1fo] : Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, un nouveau confinement était envisagé…

Certes, la situation actuelle est grave mais elle est surtout inéquitable. Pourquoi permettre aux gens de circuler dans des grandes surfaces et leur interdire l’accès aux musées ? Pourquoi permettre aux gens de s’assoir dans un train pendant plusieurs heures à côté d’inconnu·es et pas dans un cinéma ? Le conseil d’Etat a stipulé lui-même qu’il existait une atteinte grave aux libertés fondamentales.

(→ « Le juge des référés relève que la fermeture au public de ces lieux culturels porte une atteinte grave aux libertés, notamment à la liberté d’expression, à la liberté de création artistique, à la liberté d’accès aux œuvres culturelles et la liberté d’entreprendre», NDLR)

[Alter1fo] : Vous pointez du doigt également la distinction faite par le gouvernement entre la pratique artistique professionnelle et amateur ?

Le problème est que cette décision n’est pas adaptée au secteur des musiques actuelles ! On nous autorise à ouvrir uniquement aux professionnel·les et pourtant, dans notre secteur, beaucoup d’artistes fonctionnent en DIY (Do-It-yourself, NDLR), dans le milieu underground, ou se débrouillent avec un RSA ou un petit boulot à côté pour s’épanouir pleinement et faire plein de concerts chaque année. Le statut « amateur » n’est en rien un indicateur sur la qualité de tous ces projets qui sont de fait, à cause de ces décisions, mis à l’arrêt. Cela doit nous interroger sur le modèle de société que nous sommes en train de maintenir.  Si le coronavirus est dangereux pour notre santé, les restrictions nuisent aussi à la démocratie, aux droits culturels, aux libertés et à la diversité…

 [Alter1fo] : Vous demandez finalement qu’on vous laisse faire votre métier ?

Exactement. On a besoin de co-construire, d’agir à un échelon local. Sortons de cette gestion « hyper-présidentielle » avec des prises de décision hyper centralisées, exigeons une concertation. Pourquoi ne nous laisse-t-on pas proposer nos propres protocoles sanitaires, pensés et réfléchis, et les expérimenter afin de permettre une reprise, même partielle, de nos activités ? Pour rappel, après le premier confinement en juin dernier, à la reprise de l’activité de répétition, nous n’accueillions qu’un groupe par jour par studio pour avoir le temps de désinfecter et d’aérer les espaces alors qu’à l’habitude, les groupes s’enchaînaient. On peut imaginer reprendre ce protocole… A côté de nous, des territoires comme la Nouvelle Aquitaine organisent un programme de coopération entre le secteur culturel et le monde scientifique pour expérimenter l’organisation de certaines activités. Nous connaissons notre métier, nous avons notre expertise, un savoir-faire. Justement, qu’on nous laisse faire !

PNEU@LesEmbellies2015-alter1fo (4)

 

[Alter1fo] : On imagine par contre le casse-tête qui entoure une éventuelle reprise des concerts…

( → PS : Entretien effectué avant les différentes annonces de la tenue de concerts expérimentaux à Marseille, Paris et Saint-Malo, NDLR)

Nous dénonçons le flou actuel, rien n’est fait pour nous préparer à une potentielle réouverture des lieux. Aucune stratégie n’est accompagnée d’un calendrier ou d’une feuille de route : est-ce que l’ouverture se basera sur le nombre de personnes vaccinées ? Sur le nombre de personnes encore en réanimation ? Est-ce que les concerts devront se vivre debout ? Assis ? A l’intérieur, à l’extérieur ? Avec ou sans possibilité d’ouvrir le bar ? Nous avons besoin d’anticiper pour accueillir dans les meilleures conditions de sécurité le public. On regrette l’absence de « co-construction ». Des réunions sont – certes – en cours entre le ministère de la Culture, les syndicats et des festivals mais le sentiment qui prédomine est que cela a été organisé uniquement parce le Hellfest a interpellé publiquement Roselyne Bachelot dans une lettre ouverte.

[Alter1fo] : Pour protester contre leur fermeture, des restaurants ont lancé un appel à ouvrir le 1er février dernier, est-ce que vous pensez, non pas à vous lancer dans la restauration, mais de passer outre les recommandations gouvernementales ?

Si la situation continue d’être aussi inéquitable, oui, la question d’une désobéissance civile se posera. C’est une forme de contestation qui mérite réflexion mais nous n’en sommes pas encore là. Certains théâtres ont d’ailleurs tenté le coup avec des protocoles stricts afin d’illustrer l’iniquité de la situation.

(→ un appel à la « désobéissance civile » a été lancé par des responsables de théâtres pour ouvrir leur salle pendant une heure samedi 30 janvier, NDLR)

 [Alter1fo] : Un dernier mot ?

Faites-nous confiance !

 

Depuis notre entretien téléphonique avec Juliette Josselin, ça bouge, ça bouge

Le communiqué du Jardin Moderne :

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