Dans la première moitié du XIXème siècle, une jeune femme a empoisonné plus d’une soixantaine de personnes. Hélène Jégado est imprégnée des légendes de la Basse Bretagne et pense agir au nom de l’Ankou qui est une figure de la mort. De ce fait-divers est né le roman de Jean Teulé qui a donné envie à Stéphanie Pillonca de réaliser son premier long-métrage cinématographique. Déborah François, une actrice qui se fait assez rare sur les écrans, interprète ce personnage torturé. Nous avons rencontré la réalisatrice de ce film intitulé « Fleur de tonnerre ».
Alter1fo : A quel moment êtes-vous tombée sur le roman de Jean Teulé et qu’est-ce qui vous a poussé à en faire une adaptation ?
Stéphanie Pillonca : A la lecture d’un de ses romans qui a été adapté au théâtre, Le magasin des suicides, j’ai rencontré Jean. J’ai tissé une relation avec lui qui était professionnelle et amicale. Il m’a envoyé Fleurs de tonnerre et j’étais complètement abasourdie par le parcours de cette femme. Elle m’a vraiment beaucoup touchée et j’ai eu envie de raconter une partie de sa vie au cinéma.
Jean Teulé vous a-t-il conseillé lors de l’écriture du scénario ?
Non, pas du tout. On a été complètement libre. Quand on adapte au cinéma, on doit acheter les droits d’adaptations cinématographiques et, de ce fait, on est autonome et dégagé de tout attachement à l’auteur. Par respect et par amitié puisqu’il m’avait choisie pour adapter son roman, je lui ai montré les différentes versions du scénario ainsi que le montage pour qu’il puisse participer, de loin, au développement du film. C’était aussi pour obtenir son aval.
Vous avez écrit le scénario à quatre mains, avec votre mari Gustave Kervern. À part son petit rôle dans le film, était-il présent lors du tournage ?
Non, non. Sur le plateau, c’est difficile d’être à deux sauf quand c’est une volonté de co-réaliser un film. Par ailleurs, il était déjà en tournage à ce moment-là. Il y avait un risque d’interférence avec les comédiens si les décisions n’étaient pas coordonnées.
Le soutien de Dany Boon au projet a-t-il permis de soulever davantage de fonds ?
Il a sauvé le film. En fait, il nous manquait 80 000 € pour tourner et on avait arrêté le film en préparation. C’est Dany Boon qui a su, par l’agent de la comédienne, que l’on était en grande difficulté et que l’on arrêtait le film. Lui aime beaucoup le cinéma d’art et d’essai et il a décidé de sauver notre film.
Pour rendre crédible la Bretagne du XIXème siècle, avez-vous fait appel à des historiens ?
Pas vraiment. J’ai travaillé avec des chefs de poste très brillants, mais j’ai beaucoup consulté de reproductions, de tableaux. Les lectures ont été importantes pour préparer le film. Les associations ont été mobilisées ainsi que des groupes de personnes qui se chargent de préserver, de transmettre l’histoire, le patrimoine et les traditions. Je pense à l’écomusée de St-Dégan à Brech qui a vraiment travaillé avec nous sur comment était la Bretagne à cette époque et comment on pouvait représenter les intérieurs des maisons.
Une scène du film m’a fait penser au tableau « la laitière » de Veermer et une bonne partie des plans ressemble à des tableaux. Quelle technique avez-vous utilisée pour obtenir ce rendu ?
On a voulu que certains plans ressemblent à des tableaux de peinture donc on s’est attaché au premier et au second plan, à la façon dont on pouvait mettre le focus. Il fallait mettre en lumière des éléments particuliers afin de composer des tableaux. J’ai beaucoup de mal avec le numérique donc on a eu recours à des accessoires que l’on collait au cul de la caméra pour obtenir un rendu un peu papier, avec de la densité, avec du grain et du relief afin de retrouver l’émotion de la pellicule.
Comment équilibrer le côté très stylisé du film avec le quotidien difficile de l’époque ?
En créant des moments d’action avec la caméra à l’épaule et en rapprochant la caméra de la peau pour obtenir quelque chose d’humain, de sensible.
Deux musiciens sont présents dans le film, en tant qu’acteurs. C’est en les voyant sur scène que vous avez pensé à eux ?
Pour Benjamin, c’est en le voyant sur scène. Il a quelque chose de très romanesque en lui. Il a quelque chose d’un autre temps, dans sa façon de voir et dans son phrasé. C’est vraiment d’un autre monde et il n’est pas du tout contemporain. Sa distinction et sa noblesse étaient parfaites pour jouer ce personnage. Pour Miossec, j’ai eu l’occasion de travailler sur un clip qu’à réalisé Gustave et qui s’appelait Chanson pour les amis. Dans ce clip, il apparaît quelques secondes à l’écran et il apporte quelque chose de vrai.
Deborah François est parfaite dans le rôle d’Hélène Jégado. Vous pensiez à elle dès l’écriture du scénario ?
Sur le moment, on ne sait pas à qui on pense vraiment. Déborah a immédiatement dit que ce rôle était pour elle et qu’elle ne laisserait personne d’autre le prendre. A partir de ce moment, cela devient une évidence et vous avez besoin d’avoir quelqu’un en tête pour pouvoir écrire. C’est important de caler un visage sur des mots, sur des émotions, sur des désirs.
Il y a un basculement dans le film quand elle annonce que tuer n’est plus un but mais un moyen. A partir de ce moment, il n’y a pas plus d’échappatoire ?
Oui, elle a décidé de se rendre et elle devient sa propre victime. Tout devient insoutenable.
L’amour ne peut plus la sauver.
Non, contrairement à ce en quoi beaucoup d’espoirs des hommes sont fondés, l’amour ne peut pas sauver de tout.
Rétrospectivement, faire votre premier film pour le cinéma fut quelque chose de difficile ?
C’est difficile. Mais, une fois que le film est fait, c’est comme un accouchement, on oublie tout (rires). On a oublié la douleur, la pénibilité, la solitude et les gens qui ne croient pas en vous. Faire un premier film dans des conditions difficiles, c’est bien. On ose espérer que si d’autres choses arrivent, on sera aguerri pour de nouveaux combats.
En accompagnant le film dans les salles et notamment en Bretagne, avez-vous constaté un attachement aux histoires orales et à tout ce qui relève du chamanisme ou du druidisme ?
Oui, il n’y a pas véritablement d’attachement, mais une inquiétude persiste sur le sujet. Cela peut alimenter le cœur de l’homme, de se dire qu’il existe d’autres moyens pour intervenir, pour guérir. C’est une sphère qui a beaucoup d’attrait. Elle nous extirpe du quotidien.
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai un projet d’un film contemporain, tourné à Paris. Je suivrai un homme et une femme qui vivent des émotions propres à chacun dans un laps de temps particulier. En fait, cela se passera juste avant les attentats du 13 novembre. Je raconte ce qui a pu se passer dans les vies de certains, juste avant les attentats. J’essaie de trouver un producteur courageux.