A Rennes, des travailleurs sociaux en lutte contre la suppression de leurs congés trimestriels

Copie écran site web Espoir 35 (Nov 2014)
Copie écran site web Espoir 35 (Nov 2014)

A Rennes et depuis quelques mois, des poches de résistances se multiplient pour lutter contre les nombreuses mesures de restrictions budgétaires dans le secteur du médico-social et de la santé publique. Au centre Hospitalier Guillaume-Régnier, syndicats et salariés dénoncent « un climat social de plus en plus dégradé qui, à terme, sera préjudiciable à la qualité de la prise en charge des patients et aux conditions de travail des personnels », à l’association tutélaire d’ille-et-Vilaine qui gère environ 2 700 adultes placés par la justice sous curatelle ou sous tutelle, des salariés-grévistes critiquent « une baisse des salaires, le non-remplacement des collègues qui partent à la retraite et un nivellement par le bas de leur métier et de leur mission, au détriment des salariés mais aussi des personnes accompagnées ».

Dernièrement, les salariés de l’association Espoir 35 ont engagé un bras de fer avec leur direction pour protester principalement « contre la suppression unilatérale et sans négociation de leurs jours de congés trimestriels(1) ». Cette association, née en 1996 et adhérente à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, emploie actuellement 27 salariés qui accompagnent une centaine d’adultes souffrant de handicap psychique : schizophrénie et/ou de troubles bipolaires. Elle gère trois types de services : un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), un foyer d’hébergement et une résidence d’accueil ainsi que le soutien aux aidants familiaux.

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « Aujourd’hui, au vu du public que l’on accompagne, notre regard nous fait dire que les congés trimestriels ne sont pas nécessaires, ils sont indispensables. Ces congés trimestriels nous permettaient de souffler et de nous ressourcer. On nous les supprime pour des raisons que l’on ne comprend pas. Nous trouvons cela injuste…»

Pierre Le Duff, président de l’association (fondateur de l’enseigne Super Sport, frère de Louis Le duff : Brioche doré, delArte, Fournil de Pierre) justifie cette décision dans un courrier adressé aux Délégués du Personnel par « des contraintes budgétaires de leurs financeurs » et « par la nécessaire bonne gestion des finances de l’association et par anticipation »Pourtant, le financement total est assuré à plus de 90% par le Conseil Général  qui n’a fait aucune demande dans ce sens (le SAVS et le Foyer de vie étant financer à 100% par le CG)(6) :

Département d’Ille-et-Vilaine(3): « Le Conseil Général n’est pas à l’initiative de cette démarche, cette décision de supprimer les congés trimestriels repose sur une volonté de l’association employeur. La dotation octroyée aux structures de l’établissement suit l’augmentation accordée à tous les établissements médico-sociaux selon le taux directeur voté par l’assemblée départementale. Ce taux a toujours été positif, il devrait l’être encore en 2015. »

Le collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 que nous avons rencontré dénonce clairement cette décision qu’il qualifie d’autoritaire et basée sur de faux arguments budgétaires.

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 :  « Cet argument de faire des économies ne tient pas la route, puisque un salarié en congés trimestriels n’est pas remplacé : il n’y a pas d’embauche supplémentaire. Par contre, enlever nos congés trimestriels représente entre 9 à 18 jours de travail supplémentaire sur l’année(2). Chaque salarié pourra ainsi se voir augmenter le nombre d’accompagnements. Actuellement, on nous parle d’une à deux personnes supplémentaires par référent. Nous sommes déjà bien occupés sur notre semaine de travail, donc une à deux personnes en plus, clairement, ça ne passera pas…  Mais comme l’association est financée en fonction du nombre de personnes accompagnées par agrément : plus tu as de personnes, plus tu es susceptible de toucher des subventions…»

D’ailleurs, comme on peut le lire sur le site du Syndicat Sud Santé Sociaux 35, lors d’une rencontre avec des représentants des grévistes soutenus par le secrétaire adjoint Sud Santé Sociaux, Pierre Le Duff l’a finalement concédé : il espère gagner du temps de travail gratuit pour proposer à l’Agence Régionale de Santé une augmentation de l’activité et un agrément supplémentaire pour l’association !

Vision comptable du travail social ? Comment préserver une pérennité des soins, une régularité hebdomadaire de visite et d’accompagnement par bénéficiaire si leur nombre augmente, sinon diminuer la durée des visites et entretiens ou augmenter le temps de travail sur une semaine ?

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « Pratiquement toutes les personnes suivies par l’association ont séjourné auparavant en hôpital psychiatrique, au CHGR notamment. La plupart des familles en gardent un mauvais souvenir et se sont inquiétées de la qualité des soins, les conditions de travail s’y sont considérablement dégradées, ce n’est pas nouveau.  Du coup, si on s’attaque à présent à l’accompagnement social après celui du médical, quelle qualité d’accompagnements allons-nous pouvoir proposer à leurs enfants ?   »

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Une intensification de la charge de travail sans autre compensation, même financière (aucune garantie de revalorisation salariale n’a été actée malgré le fait que certains salariés exerceront jusqu’à 130 heures de plus par an),  aura forcement un impact sur le travail même de ces salariés, et par conséquence sur le suivi et la vie des bénéficiaires. Travaillez plus pour… une qualité moindre ? Obsession de la quantité au détriment de la qualité ? Le collectif se pose la question.

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « Les CT dont on bénéficiait auparavant nous permettaient de faire fi de certaines conditions de travail. Nous n’avons pas un salaire mirobolant, il est d’ailleurs gelé depuis quatre ans… Et là, nous devons travailler entre 9 à 18 jours de travail supplémentaires, sans augmentation de salaire. »

Cette prise de décision fut celle de trop. Le Collectif pointe du doigt des problèmes plus profonds liés au fonctionnement interne de l’association, comme une direction renouvelée trop régulièrement (la toute dernière directrice est arrivée en mars dernier après une période de 8 mois sans direction), des litiges entre employeurs et salariés : le rapport du commissaire au compte de l’exercice 2013 disponible via le journal-officiel indique un complément de provision pour litige de 63000€ avec un ancien directeur(4). Dernièrement, une inspectrice du travail a pointé le fait que les risques psychosociaux n’avaient pas du tout été pris en compte dans les mesures imposées par le CA.

Aujourd’hui, la tension est palpable, les nerfs sont mis à rude épreuve. En septembre, selon Ouest-France, la direction a même envisagé de sanctionner certains salariés, tandis qu’une lettre ouverte en date du 10 octobre de l’intersyndicale destinée à Pierre Le Duff dénonce une situation de stress anxiogène et des manœuvres d’intimidation.

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « Nous portons un regard sévère par rapport à la façon dont est dirigée et managée l’association même si nous tentons de garder un discours constructif, cela est compliqué puisque le CA semble n’avoir que très peu d’estime pour notre travail. Aujourd’hui, nous avons plus l’impression que l’on nous demande d’être une sorte de gardiens de la paix plutôt que des professionnels censés former des citoyens ; tout ça, sous couvert de crise et de restriction budgétaire. Pourtant, notre boulot n’est pas qu’alimentaire puisqu’il touche à l’humain et demande énormément d’investissement de notre part. Nous sommes une équipe réellement engagée, motivée et même reconnue. Nicolas Barré, par exemple, a écrit un livre sur l’accompagnement de la personne schizophrène. Certains salariés utilisaient même leur congé trimestriel pour intervenir dans des écoles de formation ou dans des organismes de formation (comme celui du cursus d’éducateur spécialisé, par exemple)  et transmettre ainsi leur connaissance de terrain… »

La connaissance du terrain, celle-là même qui semble manquer de plus en plus aux décisionnaires, un peu à l’image de cette décision du CA de modifier les horaires de présence des éducateurs au SAVS. Décalage cruel avec la réalité de terrain (Ndlr : Décision abandonnée finalement par le CA suite aux nombreuses remarques et actions de l’équipe)

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « On nous a dit que nous allions bosser de 14h à 20h ; mais à quel moment le CA se dit que les gens n’auront pas besoin d’accompagnement le matin?  De plus en plus, les directeurs de certaines institutions ou associations  n’ont jamais connu le terrain, ni le travail social. Ce ne sont uniquement que des managers ou des gestionnaires. »

Propos qui interpelle et rappelle une des revendications majeures du manifeste pour le travail social, celle de « renforcer la démocratie participative en l’inscrivant dans la loi pour faire une large place aux usagers et professionnels dans les instances gouvernantes des structures d’emplois ( CA, directoires, etc ) »

Page FB Élus Front de Gauche Mairie de Rennes & Rennes Métropole
Page FB Élus Front de Gauche Mairie de Rennes & Rennes Métropole

Les salariés en lutte d’Espoir 35 le répètent : ils ne se battent pas que pour leur propre intérêt mais bien pour la sauvegarde d’une qualité de soins et de service rendu aux résidents et bénéficiaires. Une pétition de soutien est même en ligne et a déjà aujourd’hui réuni plus de 500 signatures, preuve que leur combat n’est pas vain. Les soutiens sont nombreux comme celui de  l’Organisation Nationale des Éducateurs Spécialisés ou des élus Ensemble et Parti de Gauche à la Mairie de Rennes ainsi qu’au Conseil d’agglomération de Rennes Métropole.

Le département, lui, revendique sa neutralité « dans les relations entre l’employeur et les salariés au titre de sa mission de service public (3)» et souhaite « rester vigilant afin de ne pas amalgamer les situations particulières  pour en faire une problématique générale(3) ». Situation particulière ?… pourtant, tout comme les salariés d’Espoir 35, les travailleurs sociaux de l’association tutélaire d’Ille-et-vilaine se battent également pour le maintien de leur congés trimestriels.(5)

Collectif des travailleurs sociaux d’Espoir 35 : « Le combat mené à Espoir 35 n’est pas seulement cantonné à nos propres conditions de travail ou à notre seule structure. Nous nous battons parce que c’est la première fois que l’on s’attaque à la convention 66 dans l’Ille-et-Vilaine mais cela fait aussi partie d’un mouvement plus général de convergence des luttes actuelles des secteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux.  Nous sommes tous dans le même bateau, il faut lutter et se faire entendre, cela ne peut pas se faire autrement. » 

Manifestation à Rennes contre l’austérité dans le secteur social

Après deux jours de grèves en septembre, deux mois de «négociation», la suite du mouvement semble incertain : un médiateur va être associé pour instaurer de nouveau un dialogue constructif entre les salariés et le CA. En attendant, la suppression des congés trimestriels est bien en cours de manière progressive. Et comme dirait Pierre Le Duff dans sa dernière Newsletter,  « la meilleure façon de se construire un avenir est de bien travailler chaque jour en équipe! » »

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NDLR : Malgré nos relances (écrite puis téléphonique), Pierre Le Duff a refusé de répondre à nos questions écrites sur le sujet pour cause d’indisponibilité. Son assistante de direction nous a simplement renvoyé vers le site web de l’association pour y trouver nos réponses : une page spéciale intitulé « BLOG » a été tout récemment créée sur la gestion des congés trimestriels, lisibles par tous. Il y a encore quelques semaines, Pierre Le duff affirmait ne pas vouloir mêler les bénéficiaires à ce conflit social.

Ouest france Sep 2014
Copie Ecran Ouest-France Sep 2014

, tant privé que public.—

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plusd1fo

(1) Dans le travail social, en Ille-et-Vilaine, les associations affiliées à la convention 66 travaillant auprès d’adultes (annexe 10) permettent aux salariés  de  bénéficier usuellement de 18 jours de congés trimestriels.

(2) 18 jours pour les équipes éducatives, 9 jours pour les équipes administratives

(3) Réponses du Département – Interview mail 29/10/2014

(4)Association Espoir 35Rapport du Commissaire aux comptes sur les comptes annuels Exercice 2013

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(5)Pétition – Soutien aux salariés ATI

(6) Financement CG à 100% pour le SAVS et le Foyer de vie, pour la résidence d’accueil : il s’agit d’un financement de l’Etat :

Les ressources financières de l’Association (http://www.espoir35.fr/)

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