« Pour élever un enfant, il faut tout un village »
L’école républicaine est à bout de souffle et se confronte à des défis importants. Toutes les études convergent dans le même sens : « les inégalités dans la réussite des élèves sont très nettement corrélées aux inégalités sociales et culturelles de leurs familles. L’école n’arrive plus à diminuer ces inégalités de départ […] qui ont même tendance aujourd’hui à augmenter tout au long de la scolarité[1] ». Un tel constat validerait donc l’interprétation de Bourdieu et Passeron qui dénonçait l’école comme objet de reproduction sociale ? L’égalité des chances garantie par l’école ne serait donc qu’une vaste fumisterie ?
La réponse n’est pas si évidente mais ce qui reste vrai est que le rapport entre l’école et les parents d’élèves notamment ceux issus des classes défavorisées restent difficiles quand elles ne sont pas inexistantes. « En France, les relations entre parents d’élèves et les institutions éducatives oscillent entre la méfiance réciproque, l’ambiguïté et des attentes déçues… » constate d’ailleurs Dominique Bargas, ancienne inspectrice de l’Éducation nationale, venue témoigner lors d’un atelier participatif dans le cadre du Projet Éducatif Local (PEL) de la ville de Rennes[2].
Ainsi et depuis les années 80, l’idée fait son chemin selon laquelle une éducation réussie est une éducation qui associe l’ensemble des acteurs éducatifs autour de l’enfant. On parle alors de coopération ou de partenariat. Transformation à 180° quand on sait que l’école de Jules Ferry s’est bâtie principalement contre la famille[4] et que « longtemps les familles ont été tenues à distance de l’école, l’Etat les considérant comme un obstacle au projet éducatif qu’il entendait mener. » dixit le sociologue Philippe Gombert[9].
En 2013 avec la refondation de l’École de la République, la notion même de coéducation est inscrite dans le code de l’éducation[3]. Certains mauvais esprits (comme le nôtre) pourraient y voir alors une manipulation pour tenter de diluer certaines responsabilités et y voir un stratagème pour combler des sous-effectifs et certains manques de moyens ici ou là. Lénaïc Briéro, déléguée à l’éducation et aux politiques mémorielles de la ville de Rennes ne l’entend pas ainsi :
Lénaïc Briéro [A]: « Je ne suis pas d’accord avec cette idée de dilution des responsabilités. L’école a plus que jamais besoin de la mobilisation de tous ses partenaires, de tous les acteurs éducatifs. L’expérience de chacun sur le terrain est indispensable à la réussite de tous. Je le dis souvent : chacun dans son rôle mais chacun a un rôle à jouer pour faire réussir les jeunes rennais. C’est ensemble en donnant corps à l’éducation partagée que nous apporterons le meilleur aux enfants… »
ATD QUART MONDE : l’exemple de Maurepas
Quand des parents abordent l’école avec leurs propres blessures d’enfance, quand d’autres se sentent dépassés ou impuissants, et ceux qui s’imaginent l’école comme un monde opaque et fermé, ils s’éloignent des institutions éducatives et se mettent à l’écart.
Or, « un enfant ne peut pas suivre des apprentissages s’il ne fait pas le lien avec ce qu’il vit dans sa famille » [10]. L’idée d’éducation assurée conjointement par l’école et la famille s’imposerait donc d’elle-même. C’est en tout cas ce que nous confie Bruno Masurel, volontaire permanent à ATD Quart Monde et animateur au sein du réseau école.
Entre 2007 et 2011, ATD Quart Monde a engagé un projet-pilote à Maurepas, projet au nom revendicatif et positif « En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir ! ». Le projet d’ATD Quart Monde fut destiné à prouver que si « on donne vraiment aux familles d’un quartier populaire, et notamment à certaines d’entre elles qui sont parmi les plus défavorisées, les moyens de développer des relations de confiance, avec les autres familles, et avec les enseignants, cela va contribuer à la réussite de tous les enfants ».
Bruno Masurel (volontaire permanent, ATD Quart Monde) [B]: « Partant du constat qu’il existait des incompréhensions inacceptables entre des parents venant de la grande pauvreté et l’école, que certains parents ne se sentaient pas respectés ni pris en considération comme éducateurs de leurs propres enfants nous avons voulu lancer ce projet dans le quartier de Maurepas. On ne peut pas améliorer la situation des gens dans la pauvreté sans qu’ils y participent. Si les enfants comprennent qu’il y a une alliance qui se fait entre l’école et leurs parents, ils vivront mieux l’école. C’est évident. »
ATD Quart monde a donc proposé à cinq partenaires de s’associer à ce projet par une convention signée par tous, histoire de responsabiliser ce petit monde et assurer le projet dans la durée :
- la Ville de Rennes impliquée par ses élus, son projet de réussite éducative, sa direction de quartier,
- l’Inspection Académique d’Ille et Vilaine par le biais du Réseau de Réussite Scolaire et des écoles du quartier,
- l’IUFM pour améliorer la formation des enseignants,
- la FCPE d’Ille et Vilaine, pour mieux représenter les parents défavorisés,
- l’Université Rennes 2 qui effectué un travail de recherche parallèlement au projet.
La méthodologie du projet fut basée sur un travail entre pairs : d’un côté un groupe de parents, d’un autre un groupe d’enseignants pour mieux se rassembler plus tard et converger vers des objectifs communs.
Bruno Masurel [B]: « On savait que les familles n’allaient pas venir d’emblée à des groupes, à des réunions. Pour que cela marche, il fallait que les parents se connaissent entre eux : il y avait plus de 40 nationalités à l’école Tregain. Montrer aux parents que ce qu’ils disent pouvaient être entendus leur redonnait un pouvoir d’agir et cela a permis de leur montrer l’intérêt de participer à l’école. »
Benoit Hooge (ancien directeur-adjoint de l’IUFM de Bretagne) [B]: « Les enseignants savent que certains parents ont peur de venir à l’école même si nous connaissons tous des réactions d’enseignants qui se plaignent de ne pas les voir lors de convocations. Mais, il faut bien comprendre qu’à l’inverse certains enseignants ont aussi peur de rencontrer les parents. Ils se sentent parfois démunis mais cela se travaille… »
Ainsi, les échanges ont porté sur les modalités de communication, sur le vécu des parents à l’école, sur la confiance et l’estime de soi, sur ce que les parents peuvent apporter à l’école, sur le sens du mot « réussite », sur la lisibilité de l’école et du travail dans la classe. Le projet fut riche d’enseignement et même si le qualitatif est difficilement quantifiable, il ne cesse de faire des petits. De nombreuses demandes de formations de la part d’acteurs de l’éducation (personnels d’encadrement, enseignants, éducateurs et les services sociaux…) sont demandées auprès de l’ATD Quart Monde pour venir expliquer et valoriser la coéducation. Ces préoccupations sont aussi prises en compte dans l’Éducation Nationale, et la Refondation de l’École.
Lénaïc Briéro (déléguée à l’éducation et aux politiques mémorielles) [A]: « Le projet porté par ATD quart monde a largement démontré qu’une des conditions de sa réussite a été le partenariat entre tous les acteurs. L’enjeu principal pour notre collectivité est de rendre l’école plus accessible aux parents. Nous continuerons bien évidemment à soutenir ce type d’action, à nous appuyer sur ces formidables énergies associatives et citoyennes. »
VERS UNE COEDUCATION IMPOSSIBLE ?
Malgré tout, les choses évoluent lentement. La participation accrue des parents à l’action éducative reste encore modeste selon Dominique Bargas[B]. Une des premières causes est sans doute les moyens nécessaire à cette mise en œuvre. En effet, rien que pour le projet lancé par ATD Quart Monde, il aura fallu beaucoup d’engagements de la part des six partenaires et un fort investissement en temps qui représente donc un coût :
- un temps plein financé par ATD pour aller à la rencontre des habitants du quartier;
- un animateur famille/éducation du Projet de la réussite éducative de la ville de Rennes pour coordonner et co-animer les réunions;
- une implication forte de l’Education Nationale permettant aux enseignants de se dégager du temps pour le projet.
« On met en œuvre un espace parent sauf qu’il n’y a pas de budget pour qu’un professionnel soit présent. Le monde enseignant n’a pas non plus assez d’horaires dédiés[14] pour rencontrer les parents, ils le font souvent en bénévolat… » invectivera aussi un parent d’élève au cours de l’atelier participatif du 15 Décembre sur la parentalité.
Certains enseignants rencontrés se sentent eux-mêmes démunis. Manque de moyens, manque de disponibilité, besoins accrus en formations et de discours cohérents de la part de leur ministère. « On a parfois l’impression qu’on nous dit d’un côté : ouvrez l’école sur l’extérieur et que de l’autre, on nous rappelle sans cesse que n’importe qui ne peut pas entrer dans l’école. » regrette une enseignante. D’autant plus que tous les établissements ne sont pas logés à la même enseigne. Selon l’équipe éducative ou l’inspection de circonscription de l’éducation nationale, la coéducation sera plus ou moins présente ! Quand ici on instaure des rendez-vous individuels trois fois par an avec les parents, ailleurs, le contenu de la circulaire reste flou.
On citera malgré tout de certaines avancées comme cette expérimentation du « dernier mot » laissé aux parents lors du choix de la voie d’orientation en fin de 3ieme; expérience menée dans une centaine de collèges pour tenter de renforcer les relations école-famille afin de prévenir le décrochage et améliorer l’orientation scolaire[11]. Le sociologue Raymond Boudon dans « L’inégalité des chances » expliquait les inégalités de réussite scolaire par le résultat de stratégies familiales différentes et de leurs représentations qu’ils se font des coûts et avantages des études longues[15].
A Rennes, suite au constat que beaucoup de parents ne maîtrisaient pas suffisamment le fonctionnement et les termes de l’école, un abécédaire les explicitant a été publié à destination de tous les parents mais principalement ceux issus de la diversité pour lesquelles la langue d’origine n’est pas le français.
Dominique Bargas [B] : « La communication reste très difficile entre les parents et l’institution scolaire parce que cette dernière utilise un langage trop spécifique. Cela bloque la compréhension du système éducatif avec beaucoup d’acronymes… Cela bloque la compréhension des consignes, de l’évaluation, des filières et d’accès à l’orientation. Cela interpelle quand même qu’un service public n’arrive pas à se faire comprendre. »
Au niveau ministériel, cela bouge aussi. Un rapport de Jean-Paul Delahaye[7] et un projet d’avis du Conseil économique, social et environnemental intitulé « Une école de la réussite pour tous » [8] partagent une vingtaine de préconisations ayant pour idée commune l’alliance éducative, la mixité scolaire, faire participer toujours plus les parents et travailler avec les territoires.
CONCLUSION…
Une récente étude signale que les relations parents-enseignants se tendent de plus en plus[13]. Jean-Rémi Girard, secrétaire national à la pédagogie du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges) n’hésite pas à pointer du doigt l’ « entrée des parents, et plus particulièrement de leurs représentants, dans les instances décisionnelles des établissements[13] » qui, selon lui « entraîne évidemment une remise en cause de l’autorité des maîtres et des professeurs, extrêmement préjudiciable dans l’exercice de leur métier ». Cela relativise du coup toutes ces bonnes intentions ou au contraire encourage à les mettre en œuvre au plus vite selon que l’on regarde le verre à moitié vide ou à moitié plein…
Face à la complexité de notre société, il n’y a pas de réponse simple. La solution idéale née d’une idéologie ou d’un dogmatisme n’existe pas pour combattre et réduire les inégalités à l’école. « Faire entrer les parents à l’École » revient finalement à assumer de faire entrer avec eux des contradictions, des désaccords, de soustraire quelques pouvoirs à des fédérations, représentatives seulement que d’une certaine catégorie de parents d’élèves. Mais des solutions existent, des volontés sont là pour améliorer les choses et le jeu en vaut la chandelle. Il nous faut sans doute inventer une nouvelle forme de collectif, être plus ’dans le faire et dans l’action’ en mettant en place des ateliers communs parents/enseignants et comprendre aussi l’importance des parents-relais. Mais en paraphrasant Lénaïc Briéro « c’est par la mise en cohérence des politiques et des acteurs que nous parviendrons à bouger les lignes. »
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Interview :
[A] : Propos recueillis lors d’une interview mail
[B] : Propos recueillis lors de l’atelier organisé par Rennes Métropole, le 18 Décembre 2015
[C] : Propos recueillis lors d’une interview le 07 Janvier 2016.
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Le Bilan du projet à télécharger ‘En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir !‘ [ici]
Rapport d’information sur les relations entre l’école et les parents de l’Assemblée Nationale‘ à télécharger [ici]
Le Projet Éducatif Local de Rennes
Bibliographie :
[1] : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000564.pdf + http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2013/12/03/classement-pisa-la-france-championne-des-inegalites-scolaires_3524389_1473688.html + http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-119345-lecole-republicaine-en-question-1069993.php
[3] : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=74338 et là http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=74338
[4] : http://www.meirieu.com/COURS/cours11.pdf
[9] : https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/POPELARD/50235
[14] : Le service des personnels enseignants du premier degré ont l’obligation d’effectuer Vingt-quatre heures forfaitaires consacrées « – à des travaux en équipes pédagogiques (activités au sein des conseils des maîtres de l’école et des conseils des maîtres de cycle) ; – à l’élaboration d’actions visant à améliorer la continuité pédagogique entre les cycles et la liaison entre l’école et le collège ;– aux relations avec les parents ; – à l’élaboration et au suivi des projets personnalisés de scolarisation des élèves handicapés. ». « La circulaire ne précise pas de répartition entre ces diverses tâches et qu’il apparaît évident que le quota de 24 heures risque d’être très rapidement atteint entre les temps de relations avec les parents et les temps de travaux en équipe pédagogique. »
[15] : https://www.contrepoints.org/2013/04/16/121686-linegalite-des-chances
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