Pour conclure dignement cette très belle édition 2015 des Embellies, le festival avait eu la riche idée d’inviter Centenaire, soit un des groupes dont on attendait avec la plus grande impatience la venue sur Rennes. Suspense, le trio allait-il se montrer en live à la hauteur de son brillant dernier disque : Somewhere Safe ?
Nous sommes dimanche 8 mars 2015, il est 18h30. Les pattes et la tête sont encore un peu lourdes de la belle soiré carte blanche de la veille. C’est aussi toujours un peu étrange de partir voir un concert ce jour là et à cette heure là. Pourtant c’est d’un pas guilleret que nous nous dirigeons vers le Jardin Moderne. Nous allons enfin pourvoir entendre de nos propres oreilles ce que vaut sur scène un des groupes français que l’on suit avec le plus d’attention : Centenaire. Nous avions avions découvert le quatuor en 2009 avec leur magnifique second album : The Enemy. Trente petites minutes de grande pop insaisissable et aventureuse qui reste encore à ce jour un de nos disques qu’on se repasse régulièrement et avec un plaisir intact. Nous avions alors découvert que le groupe avait démarré en formule trio en 2006 et qu’il avait déjà sorti un premier album en 2007. Les tonalités plus boisées de ce premier opus leur avait valu un passage sur Rennes à l’édition 2008 du festival Top Of The Folk. Nous les avions lamentablement loupés et nous allions bien nous en mordre les coudes. De retour à trois après le départ d’Axel Monneau, parti retrouver les chouettes aventures psychédéliques de son excellent projet initial Orval Carlos Sibélius, le groupe laisse filer les ans et ce n’est que l’année dernière que sortent coup sur coup l’EP Sainte Croix et l’album Somewhere Safe, tous les deux chez Clapping Music (label aussi de Mermonte, Deerhoof, Egyptology…). Dès Rampage, le furieux premier titre de l’EP le groupe marque un virage vers une musique plus tendue, plus électrique. S’ils n’ont rien perdu de leur sens de la composition, ni de leur soin des arrangements vocaux, leur musique se fait en effet plus brute, plus directe, plus dissonante avec un retour en force de la guitare électrique, un orgue diabolique et une batterie en mode krautrock. D’autres territoires donc, mais explorés avec toujours autant de talent et de singularité. Autant dire que nous avions littéralement bondi au plafond à l’annonce de leur venue à ses Embellies 2015.
Notre enthousiasme ne semble hélas qu’assez peu partagé. Est-ce l’horaire peu habituel ? La concentration ahurissante de bons concerts en ce mois de mars ? Tant est que le public est bien clairsemé en cette fin d’après-midi et que le groupe jouera devant une salle bien peu remplie. Dommage que dans ces cas-là, le public présent se tasse en fond de salle, laissant bien esseulés vidéastes et photographes en bord de scène.
Pourtant malgré un début assez maussade tout à fait compréhensible, le concert va largement être à la hauteur de nos attentes. Côté jardin, on trouve Damien Mingus derrière son micro et son philicorda (un étrange orgue hybride à tubes et transistors produit par Philips dans les années 60). Au centre, il y a Aurélien Potier derrière une batterie réduite à son strict minimum : un tom, un tambourin fixé à l’horizontal et deux cymbales. Enfin, côté cour, c’est Stéphane Laporte et sa superbe guitare branchée sur un improbable assemblage d’amplis antédiluviens.
Ces trois gars là ont de l’expérience et ça va se sentir tout de suite. Après une intro bourdonnante, le trio démarre pile dans le ton de ses deux dernières galettes, qu’ils nous interpréteront d’ailleurs presqu’ intégralement. Leur musique est un subtil numéro d’équilibriste entre fureur dissonante et harmonie mélodique. Un jeu de feu et de glace qui fait merveille en live. La rythmique puissante et tribale d’Aurélien Potier apporte une colonne vertébrale d’une solidité à toute épreuve à ce passionnant jeu du chat et de la souris. La subtilité et la variété des distorsions du son de guitare, la finesse des jeux entre les deux voix sont un vrai bonheur. Le superbe Where to go déjà imposant sur disque, prend une ampleur merveilleuse de la première jusqu’à la dernière note de son long final étouffé. On se laisse jouissivement emporter par l’orgue hypnotique de l’électrifiant Inside War ou par le riff endiablés d’Half Monks. Le set se conclut sur le bien nommé Rampage (saccage) et son étourdissant final en larsens tourbillonnant et orgue spiralaire. Le public certes clairsemé était très enthousiaste et chaleureux et nous aurons même droit à un très beau rappel pour boucler le tout.
Si le peu de monde à avoir fait le déplacement laisse un goût un peu amer en bouche, nous repartons avec au moins la confirmation que Centenaire est aussi un sacré groupe de scène. Reste à espérer qu’ils n’attendront pas encore sept ans pour revenir dans les parages et que notre passion pour cette formation sera un peu plus contagieuse la prochaine fois.
Dommage donc de conclure sur un ton doux amer cette superbe semaine d’Embellies. La sublime fragilité mise à nue du June (mais pas que) de Mansfield.TYA. , la finesse et la classe de Chapelier Fou, la folle générosité de la carte blanche des Fat Supper… autant de moments magiques pour lesquels on remercie mille fois l’équipe. Encore une fois le festival aura prouvé qu’en s’éloignant de ses affinités initiales plutôt « chansons », il a su se construire une nouvelle cohérence, large d’esprit et aventureuse mais jamais snobinarde. Pour ne rien gâcher, c’est aussi une des équipes qui réserve aux altéristes le meilleur accueil. On les remercie aussi pour leur confiance et leur bienveillance et on se donne rendez-vous à l’année prochaine sans aucune hésitation.