L’annonce conjointe du retour d’Electrelane sur les scènes d’Europe après un long break et de leur venue à la Route du Rock est apparue pour certains comme la meilleure nouvelle de l’indie rock de ces derniers mois. Une chance, vous y serez !
Un retour attendu par les fans
Les groupes qui se reforment après une séparation sont pléthores ces dernières années. Souvent les motivations ne sont pas toujours, disons, euh, artistiques. En revanche, certains longs silences sont parfois suivis de très belles réussites (le Third de Portishead, par exemple). Electrelane, quatuor originaire de Brighton formé en 1998 par Emma Gaze et Verity Susman avait annoncé arrêter le groupe pour un « indefinite hiatus » en 2007, alors que tout marchait pour le mieux pour les quatre filles. Quatre albums, rencontrant progressivement un succès de plus en plus étendu, des prestations scéniques qui agrandissaient souvent le cercle de leurs fans, une critique enthousiaste… Du dire même des quatre musiciennes : pas de crise d’égo, d’ambiguïté relationnelle à l’origine de cette décision. Juste le besoin de faire autre chose, de prendre un peu d’air, de recul, de retourner sur les bancs de la fac ou de rejoindre leurs amoureux(ses) respectif(ve)s. Bref de prendre le temps de vivre et de mener à bien d’autres projets.
Et puis, en février dernier, les quatre jeunes femmes ont annoncé reprendre du service. Oh, juste pour donner quelques concerts. Pas de rumeurs de futures compositions, de nouvelles sorties d’album. Juste de la scène.
On espère que les concerts leur manquaient et qu’elles n’ont pas résisté à l’idée de retrouver cette intensité du live. Mais on aurait assez tendance à penser que oui, parce que ces jeunes femmes-là sont avant tout honnêtes avec elles-mêmes et n’ont jamais hésité à défendre leurs choix. On pense par exemple à Axes qui revenait à des expérimentations soniques et instrumentales alors que leur album précédent (The Power out) s’était révélé plus accessible (tout en restant exigeant) avec des morceaux chantés. The Power out avait bien marché et leur avait ouvert pas mal de portes. Elles n’avaient pourtant pas hésité à en refermer quelques unes pour revenir à un format plus aride et expérimental, quitte à laisser devant l’huis plusieurs fans de leur second album.
Un premier album bourré de symphonies retorses
Au départ, Electrelane, ce sont Verity Susman (farsifa, guitare, claviers, arrangements des cordes, saxophone, voix…) et Emma Gaze (batterie) qui recrutent Rachel Dalley (basse) puis Mia Clarke (guitare) à Brighton pour composer à coups d’improvisation, un rock à la fois hypnotique et échevelé, entre krautrock, punk, noise et bande originale de film. Les premières traces de ces compositions du quatuor féminin apparaissent sur leur premier opus Rock it to the moon (2001) qui a la particularité d’être uniquement instrumental. Onze morceaux qui flirtent avec la métronomie du krautrock (cette batterie qui assène, sans fioriture et frappe, sans rien lâcher), avec les ambiances de cordes (de guitares) enchevêtrées d’un post-rock à la Mogwai et les danses épileptiques du post-punk.
Symphonies retorses pour des films invisibles, cette musique cinématographique en montagnes russes s’écrit tout de même aussi à coup de punk et de rentre-dedans énervé. Et dans ces déluges soniques et électriques, des accalmies nuageuses et brumeuses desquelles émergent parfois un quatuor à cordes, un piano nu ou une trompette (et parfois même des clins d’œil désopilants – sur The Invisible Dog, les quatre furies finissent sur un I wanna be your dog Iggy-ien, l’angoissant Long dark cache un Pop Corn sautillant et le morceau caché finit dans un éclat de rire…-). La durée des morceaux varie entre un peu plus d’une minute et 11 minutes : pas de compromission, les quatre Anglaises ne répondent à aucun diktat de la mode (durée, morceaux chantés) et défendent leurs titres. A cette époque, le disque, s’il surprend par son aspect volontairement instrumental, rencontre une critique réellement positive, même si le groupe reste encore relativement confidentiel.
Cet album, Mia Clarke le glisse dans les mains de Steve Albini (producteur reconnu de Chicago, autant pour ses talents de production que pour ses différents groupes : Big Black, Rapeman, Shellac…). Le producteur donne suite en affirmant qu’il serait enchanté de travailler avec elles. Il signe donc la production des deux albums suivants : The Power out (2004) et Axes (2005). Sur ces deux disques, le son va devenir plus brut, plus sec.
The power out : kaléidoscope jouissif !
The Power out, d’abord. Dans ce second opus, les quatre musiciennes laissent de côté l’option « tout instrumental » et introduisent chants et formats plus normés. Exit les longues envolées ou les batailles épiques à coups de guitares et de synthés. Les quatre de Brighton offrent une musique plus directe, moins alambiquée dans l’esprit. Mais tout aussi exigeante et surtout, qui ne laboure pas indéfiniment le même acre de terre. Emma Gaze, qui réalise toutes les pochettes de son groupe, en donne une parfaite image avec l’artwork du disque : onze vignettes, onze diapositives passés et abîmées qui montrent autant de sujets différents : un chat, un lac, un pylône électrique, une pancarte sur une devanture… Tout est dit : les onze morceaux de cet album iront voir dans différentes directions. Un morceau de bravoure On Parade fera sauter/pogoter leur public à chaque concert avec son duel de guitares rock (les guitares y rappellent Sleater Kinney) et ses « hou hou » suraigus. A côté, une symphonie chorale de gospel moderne et revisité (The Valleys) vous offre une pause épique et mystique. Un sonnet de Juan Boscon précède Nietsche. Le chant en français (Gone under sea) côtoie l’espagnol, l’anglais ou l’allemand. Et malgré l’effet kaléidoscopique de ces onze vignettes, l’album offre une réelle cohérence. Les auditeurs ne s’y trompent pas et les retours, qu’il s’agisse du public ou de la critique, sont le plus souvent unanimes : les quatre ont filles ont réalisé un album impressionnant.
Un retour à l’expérimentation
Axes, ensuite. Sur ce nouvel album, les quatre musiciennes prennent tout le monde à contre-pied. Après The Power out, une bonne partie du public et de la critique s’attendait à ce qu’Electrelane continue dans la composition de chansons indie rock percutantes et ramassées. Axes revient au contraire à des formats plus expérimentaux, à un jeu sur les tensions qui grondent puis se libèrent dans un déchaînement sonore, parfois bruitiste (Business or otherwise). Bien sûr, certains morceaux restent chantés et dans l’esprit du second album (The Bells par exemple), mais l’ensemble, comme la pochette du disque reste opaque, sombre. Basse lourde en avant, voix désaxées à l’arrière pourrait ainsi être la devise de Two for joy, comme si on avait mis les doigts de Stereolab dans la prise de 220Volts. Même traitement pour Leonard Cohen qui se retrouve Stoogisé sur la reprise de The Partisan. Avec Axes, Electrelane surprend, déroute, et pourtant adresse un bien beau bras d’honneur aux logiques mercantiles parfois à l’œuvre dans le monde musical. Cet aspect expérimental est aussi renforcé par le fait que pour la première fois, les quatre musiciennes enregistrent toutes dans la même pièce, à la manière d’un live, avec une composition basée sur l’improvisation. Elles envisagent cet album comme une longue suite musicale et non comme différentes chansons juxtaposées. Electrelane y perdra peut-être quelques admirateurs, mais gagnera une nouvelle reconnaissance des amateurs d’intégrité.
Après Bowie à Berlin, Electrelane…
Pour son quatrième Lp, le groupe délaisse Albini à Chicago et migre à Berlin où Verity habite (les quatre Electrelane, dont Ros Murray qui a depuis repris la basse, vivent en effet à l’époque aux quatre coins de la planète). De ses sessions, sortira un album à la fois lumineux et introspectif. Electrelane revient à un format pop-songs indie et livre un album dans l’ensemble plus accessible que le précédent, sans pour autant être facile. Le ton personnel utilisé par Verity dans les paroles donne une proximité nouvelle avec ces derniers morceaux notamment aux chansons d’amour indie-pop que sont To the east ou In Berlin. Mais les décrochages soniques du groupe, entre krautrock lancinant et triturage à la Sonic Youth, ne sont pas absents. C’est comme si, avec son disque sûrement le plus lumineux, sûrement inspiré par cette sorte de nostalgie propre à l’est berlinois, Electrelane avait réuni en un même disque toutes ses aspirations passées. Et comme la maison de disque avait regretté que l’artwork d’Axes soit trop sombre, Emma Gaze réalise une pochette lumineuse en quadrichromie représentant un trois mâts. Ce No Shouts No Calls, à sa sortie en 2007, finit de convaincre une bonne partie des dernières critiques encore réticentes et le groupe rencontre un succès quasi unanime. D’aucuns s’accordent à cette époque à citer le premier passage d’Electrelane à la Route du Rock comme l’un de leurs tous meilleurs lives (pour les avoir vues lors de nombreux concerts auparavant, notre avis personnel est plus mitigé : on a préféré entendre les quatre filles dans de plus petites salles notamment).
Electrelane apparaît alors comme l’un des groupes les plus excitants du moment. Aussi l’annonce de leur break en 2007 surprend et dépite nombre d’indie-popeux (votre humble serviteur qui appela son chat du patronyme du groupe en première ligne). D’autant que plusieurs viennent juste de les découvrir.
L’annonce cette année, de leur retour sur la scène, qui plus est de la Route du Rock en a donc fait exulter plus d’un. Fort à parier que nombreux sont ceux qui se réjouiront de cette folle nuit de retrouvailles… Une chance, vous y serez peut-être…
Retrouvez notre dossier spécial Route du Rock 2011
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Electrelane sera en concert à la Route du Rock collection été au Fort St Père vendredi 12 août 2011 (heure de passage prévue : 21h30)
Le site d’Electrelane : http://www.electrelane.com/
Le site de la Route du Rock : http://laroutedurock.com/wordpress/