E & Mistress Bomb H @ Ty Anna : Alphabet Monday

L’association Kfuel confirme son retour en très grande forme avec une soirée du 23 mai au Ty Anna tout simplement immanquable. Ce sera bien un lundi soir mais le retour inespéré du trio de Boston E (au sein duquel on retrouve l’immense Thalia Zedek) vous fera vite oublier toutes vos contraintes calendaires ou professionnelles. Comble de la joie, ce sera de plus le retour en solo sur scène de notre indispensable Mistress Bomb H locale. Deux grandes dames pour une seule date à marquer au feutre rouge sur votre agenda. On vous explique pourquoi.

Alors que dans son roman La Disparition Georges Pérec escamotait la cinquième lettre de l’alphabet pour évoquer ses drames personnels, le choix de la simple lettre E comme patronyme pour la formation américaine regroupant Thalia Zedek, Jason Stanford et Gavin Mc Carthy évoque au contraire un retour gagnant. C’est donc un doux euphémisme de dire que nous avons bondi de joie à la confirmation du retour sur Rennes de cette grande dame qu’est Thalia Zedek, qui plus est avec la formation qui nous avait collé une mémorable mandale en 2017 dans le regretté Bar’Hic.

Originaire de Washington, Thalia Zedek est une de ces légendes discrètes mais chéries, des marges de la musique américaine. Elle s’est d’abord fait connaître dans les années 80 comme la furieuse frontwoman d’Uzi ou Live Skull. Elle quitte ce dernier groupe en 1990 empêtrée dans de terribles conflits personnels envenimés par une sévère addiction à l’héroïne. Aidée par ses ami.e.s, elle parvient tout de même à se sortir de sa dépendance. En compagnie de Chris Brokaw, batteur et guitariste de Codeine, elle fonde dans la foulée le groupe qui aura une place toute particulière dans le cœur de tous ceux qui ont croisé sa musique à l’époque : Come. Entre 1992 et 1998, ils sortiront quatre albums chez Matador Records, tous plus splendides les uns que les autres. Zedek et ses acolytes y développent un blues-noisy, abrasif, furibard et d’une sublime noirceur. Le duo de guitares Zedek/Brokaw apporte une tension saisissante à ces longs morceaux envoûtants. Surtout que plane sur cette musique déjà remarquable, la voix de Thalia Zedek. Une voix âpre et éraillée, où chaque aspérité comme chez le regretté Vic Chesnutt, porte la marque d’une vie tourmentée. Une voix de quelqu’un qui a vu le fond du trou et qui en est remonté. Une voix qui vous dévoile autant qu’elle ne se dévoile elle même.

La dame poursuivra à partir des années 2000 une carrière solo, d’abord sous son propre nom puis sous celui de Thalia Zedek Band, une fois la formation l’accompagnant stabilisée. Son inspiration s’est faite plus inégale malgré des fulgurances toujours aussi bouleversantes. Sa musique s’est également apaisée et ses disques naviguent plus vers des terres folk ou classic rock. Pourtant, cette grande dame n’a rien perdu de sa remarquable intensité même quand elle chante des ballades plus classiques. En témoigne son très bel album EVE, sorti en août 2016 ou son tout aussi recommandable Fighting Season de 2018, tous les deux sortis chez Thrill Jockey.

Sauf que la dame n’en a pas terminé avec l’électricité. En 2013, elle s’associe donc à Jason Stanford (Neptune) et Gavin Mc Carthy (batteur de Karate) pour former E. Les premiers morceaux que nous avions pu écouter de la formation nous avaient filé le grand frisson. La musique du trio se nourrit des parcours assez différents de ses trois protagonistes. Elle combine avec élégance et rugosité un rock fiévreux, une évidence qui vous frappe pile sous le menton et un goût certain pour les sentiers les plus tortueux. Leur premier album sans titre sorti en novembre 2016, toujours chez Thrill Jockey confirmait haut la main la fertilité du projet. Tension remarquable, intelligence des compositions, les dix titres sont rien de moins que des merveilles. Le duo/duel de guitares (et de voix) de Zedek et Stanford apporte une tension remarquable à des compos charpentées de main de maître par les rythmiques de Mc Carthy. Ce  grand disque inaugurait une discographie d’une qualité remarquable. Ont depuis suivis Negative Work en 2018 et Complications en 2020. Ils reviennent sur Rennes avec un quatrième album Any Information tout fraichement sorti chez Silver Rocket et qui n’est ni moins excitant ni moins affuté que ces prédécesseurs.
Les occasions de croiser le chemin d’une artiste aussi singulière qu’intense ne sont pas légions. Louper celle-ci, alors qu’elle est en plus en excellente compagnie, serait donc rien de moins qu’impardonnable.

On retrouvera de plus en ouverture notre indispensable dynamiteuse locale : Mistress Bomb H. Ces derniers temps nous l’avions plutôt retrouvée sur scène au sein des excellents Ex Fulgur et nous sommes donc ravis d’avoir l’occasion de la revoir dans son projet solo. Sur scène,  sur son album Say It Loud : I’m Girl and I’m proud ou sur son excellent split Ep Salle de Shoot (avec Jessica93), on adore son flow acide et langoureux plaqué sur des beats indus froids et galvanisants aux infra-basses telluriques. Les rythmiques sont bien downtempos mais n’espérez aucun instant de répit pour un set qui sera surement électrifiant et punk-no-wave à souhait. Ça sera en plus l’occasion de découvrir ce que la dame nous a mijoté durant cette éprouvante parenthèse COVID.

lundi 23 mai 2022 – Le Ty Anna Tavarn, place, Rennes – 20h – 5€

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